Monday, March 22, 2010

Body of lies entre tournage et visionnage

Body of lies entre tournage et visionnage

"Body of Lies", le film d’espionnage que Ridley Scott a tourné à Rabat n’a pas trouvé dans cette ville de cinéma pour y être projeté. L’unique salle de cinéma qui passait les nouveautés a été transformée en salle de fête avec immobilisation définitive de son appareil de projection. Restent les DVD, Dailymotion et Youtube. L’on se souvient des péripéties de tournage qui avaient sérieusement gêné la circulation au centre ville durant plusieurs jours. Une grande armada bien outillée et des centaines de badauds agglutinés sur les chaussées du boulevard Mohamed V. C’était l’un des grands tournages que la capitale marocaine ait vus. Une grue énorme portant un projecteur était placée à l’angle de la rue Zahla. Un opérateur perché sur le haut de cette machine de levage dirigeait le faisceau lumineux sur la fenêtre d’un appartement style colonial. L’architecte a gravé son nom sur le mur. C’est là que Dicaprio, espion de la CIA, avait choisi son nid. C’est un cabinet médical. Dans le même immeuble se trouvait une école privée. Elle ferma ses portes durant la période de tournage contre une indemnité forfaitaire. Dans la rue, le convoi formé par les grands routiers de la Romana Gruppi société italienne de sous-traitance, renforcé par les engins de la société marocaine et les nombreux Touring-cars servant au transport des acteurs, prit de la place. Le boulevard en a été envahi. A la tète de ce grand convoi on trouvait deux grands ventilateurs attachés en remorque à deux pick-up. Ces accessoires spéciaux attendaient leur tour pour être déployés aux parages de Ouarzazate. Ces étendues pierreuses fouettées constamment par le soleil incarneront dans le film des regs syriens et iraquiens. Les badauds regardaient ce conglomérat d’engins mécaniques et d’outillages perfectionnés avec des yeux curieux et hagards. Les collégiens et collégiennes des Lycées Les Orangers et AL Khayyâm qui voulaient voir le héros romantique de Titanic étaient restés sur leur faim. Ils avaient les yeux rivés sur la grande fenêtre de l’appartement aux murs ocrés et où l’on avait calé un morceau de contreplaqué couvert d’un tissu noir, histoire d’accentuer le contraste lumineux à l’intérieur de la pièce où l’on filmait la scène. Dicaprio y manigançait un de ses diaboliques plans pour mettre dans le filet un présumé membre de la Qaida. Les vigiles en surnombre gardaient l’accès de l’immeuble nerveusement. Ce qui était amusant à noter c’est que les nombreux techniciens avaient chacun, et à la manière des cow-boys, une ceinture garnie de gadgets et de petits outillages pratiques : portatif, gants, instruments d’étalonnage, petits crochets de manutention et je ne sais quoi encore. On était assuré que si le réalisateur avait demandé une épingle ou une aiguille on la lui aurait donnée sans tarder. Pourquoi de tels équipements préventifs? La réponse est simple: les scènes de Ridley Scott coûtent cher. Il ne faut pas qu’une petite défaillance technique ou un manque d’outillage fasse interrompre le tournage. Time is Money et vice-versa Money is Time. Arrêter le tournage et le reprendre après, ce n’est ni professionnel, ni commode. C’est dispendieux et déstabilisant. Les deux premiers rôles sont confiés à Dicaprio (l’agent secret) et Russell Crowe (son chef hiérarchique) .Dans les seconds rôles on trouve une distribution composite: des palestiniens, des marocains, des juifs, des américains… N’oublions pas qu’on devait répéter les scènes plusieurs fois pour en tirer les meilleurs plans. Midi avait sonné mais les acteurs et le metteur en scène n’étaient pas sortis de leur nid. L’immeuble d’en face (Saâda) était sous contrôle des GI dont Ridley Scott était le lieutenant de circonstance. Une voiture calcinée des camions militaires vieillots garés, des jeeps avec des bâches tachetées comme celles qu’on voyait lors de l’invasion de l’Irak et la chose qui nous avait le plus impressionnés c’était la camera de prise de vue. Elle était très sophistiquée. Apparemment ; il faudrait au moins deux années de formation spécialisée pour la manipuler convenablement. C’est l’élément le plus précieux de tout l’outillage. Grâce à cet appareil magique; Rabat l’une des principales villes impériales qui a souvent été négligée par les grands cinéastes a laissé son empreinte dans une méga production que les salles de cinéma les plus fréquentées du monde avaient attendu impatiemment. L’histoire du film n’est pas fameuse mais le tournage est instructif. C'est une adaptation d'un roman écrit par David Ignatius, journaliste au Washington Post. Rappelons furtivement que Ridley Scott est un habitué du Maroc. Il y a tourné plusieurs films dont Gladiator (avec Russell Crowe) , Saladin et La chute du faucon noir, tourné à Salé. C’est un féru des scènes à explosifs. Lors du tournage de ce film de propagande militaire (capture de Farah Aïdid) les détonations se faisaient entendre de loin. Les habitants de salé avaient cru que le pays était entré en guerre. Pour Body of lies (traduction littérale: corps de mensonges, le film est présenté aux francophones sous le titre Mensonges d'état) Scott avait donné, à la place de la poste à Rabat, le premier coup de manivelle. C’était le lundi 1 octobre 2007. J’en avais pris note parce que je croyais que le film allait être captivant, et que La chute du faucon noir n’avait été qu’une erreur de parcours. Par ailleurs on voulait que le réalisateur revienne au pays pour d’autres productions plus percutantes. Beaucoup de tournages étrangers ont connu des irrégularités. D’autres films à gros budget étaient prévus pour être tournés au Maroc mais au dernier moment on y renonça. Michel douglas dupé par des énergumènes malhonnêtes avait juré de ne plus mettre les pieds ici. De même James Cameron qui avait réalisé Titanic avait pensé d’abord au Maroc pour le tournage de ce film. Le Mexique avait eu la primeur. Le manque de communication en été la cause. Scott avait trouvé des facilités exceptionnelles. Il cherchait une ambiance proche orientale. Quelques retouches d’apparat (pancartes écrites en calligraphie koufie, accoutrements spécifiques …) et voila le tour est joué. Enfin, si Michael Curtiz le réalisateur du classique Casablanca s’était contenté d’une reconstitution artificielle de la médina de Casablanca dans un studio de tournage, Scott a préféré imprégner son histoire de l’âme des lieux, de leurs bruits et de leurs odeurs. Cette fois, c’est Rabat qui les lui avait insufflées.
Ce qui est un peu drôle c’est qu’après avoir vu le film l’on est surpris par les nouvelles fonctions de certaines constructions. Ainsi la salle omnisports que les chinois avaient construite entre Rabat et Témara est devenue dans le film le siège de l’ambassade des USA à Amman. Le boulevard Mohamed V si reconnaissable avec ses hauts et minces palmiers devient une artère de la capitale jordanienne. Les spécialistes du trucage photo (infographistes) lui ont rajouté des minarets de type oriental. Dans une autre séquence tournée au quartier Agdal l’on reconnaît la coupole verte de la mosquée Badr. Dans la voiture la vitre plastifiée donnait une image brumeuse de certains endroits parcourus. Personnellement je suis peu convaincu du résultat. Le film n’est pas un chef d’œuvre et l’on se dit après tout le brouhaha : dommage la montagne a accouché d’une souris. Toute une armada pour si peu de choses. L’on préfèrerait de loin le film anglais Shoot on sight inspiré de faits réels et traitant du même sujet épineux. Ce film où l’acteur hindou Naseeruddin Shah interprète le rôle d’un commissaire de la Scotland Yard de confession musulmane expose les arguments des deux parties adverses, tandis que Body of lies suit une ligne unilatérale. Les quelques mots arabes prononcés maladroitement par Dicaprio ont ôté toute épaisseur au personnage. Les grossièretés genre "je veux sauver la civilisation" et les trahisons en série nous autorisent à dire que le tournage était plus enrichissant que le visionnage.
RAZAK

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