Le piratage vidéographique c’est du vol. Tout le monde est d’accord sur la criminalisation de l’acte, mais l'on déplore que l'on se préoccupe peu de la manière et de la fermeté d’y mettre un terme. Hormis l’impératif de combattre cette pratique délictueuse, il ne faut pas oublier qu’il y a au Maroc des gens qui en profitent et font tout pour que ce phénomène dévastateur perdure, s’amplifie pour le rendre plus complexe et difficile à éradiquer. Avant l’avènement du digital, comme support de communication universelle, on ne parlait que de contrefaçon (cosmétique, marques vestimentaires signées, montres, lunettes …) et de tableaux imités ou plagiés. La nouvelle ère numérique, dont nous assistons aujourd’hui à sa flamboyante apogée, a affecté tous les domaines et tous les secteurs de la vie courante. Le réseau des réseaux (l’Internet) en est le summum des summums. Les fruits qu’elle nous a offerts ont eux aussi, leur pépin. Ainsi, la vente accrue des ordinateurs équipés de lecteurs DVD a poussé les gens à faire du «home-cinema» à faible coût. En réalité il s’agit de «home-DVD ». Les duplicata illégaux de vidéogrammes légaux ou volés se vendent comme des petits pains. Les hackers sont constamment branchés sur les fréquences ciné. Inutile d’en citer les longueurs d'onde. Parfois on trouve dans le disque compact la trace digitale du crime: le cigle de la chaîne piratée. Le logo fait partie du transfert. Les logiciels de montage en digital sont difficiles à manier. Une des conséquences fâcheuses de cette «Dévédéfication» non contrôlée, c’est la fermeture imminente de toutes les salles de cinéma que compte le pays. D’aucuns me rétorqueraient: pourquoi en Europe, le phénomène est relativement maîtrisé, et paradoxalement la cinéphilie de salle connaît un boom extraordinaire? Il est question de culture et de niveau de vie. Dans cette région du monde, les habitants ont en plus de l’éducation, un revenu respectable et la manie bienheureuse de respecter l’art et puis possèdent la conscience vigilante vis à vis des droits de propriété intellectuelle. Autre facteur important lié aux moeurs socioculturelles de mondanité: les gens aiment voir un film en salle. Malheureusement, cette conscience suit une échelle descendante, en allant des pays développés vers les pays paupérisés.
Au Maroc, la lutte contre le piratage constitue un véritable casse-tête. Les responsables, parfois en panne d’idées, ne savent plus à quel saint se vouer. De toute évidence, les plus lésés dans cet abattage, ce sont les auteurs. Ils en sont abattus. Mais on les marginalise dans cette opération. Quand au produit visuel marocain, excepté quelques sketches de «marocains-francisants» le piratage de films made in Morocco n’en vaut pas la peine d'être tenté. Un film qui échoue dans les salles n’intéresse personne. Pourquoi et pour qui on va le pirater ? Même distribué gratuitement, peu de gens regarderont les films navets. La concurrence est sévère, car la production filmographique étrangère présente des atouts pleins d’attractivité.
Le piratage (comme on l’a mentionné dans d’autres chroniques) présente un aspect un peu trivial: on ne pirate que ce qui est bon. Les mauvais films seront épargnés. Ce sera une perte de pixels et de volts pour le «gravage». Il n’ont qu’un seul avantage; ils serviront d’alibi pour les contrôleurs écraseurs de CD et DVD. Mais leur cinéma commence à agacer.
Curieusement, on retrouve la même problématique et les mêmes contradictions que celles inhérentes au commerce des stupéfiants. Il y a d’une part, l’intoxiqué qui cherche sa dose quotidienne et d’autre part, il y a le gendarme qui en interdit l’usage. On arrête le trafiquant et on brûle la cargaison, mais deux semaines après, un autre dealer beaucoup plus audacieux reprend le trafic. De manière similaire, les autorités en charge du dossier des disques numériques piratés détruisent les prises au rouleau compresseur, mais l’on remarque que deux jours après ce rituel d’auto-flagellation, la duplication illégale reprend de plus belle. A la longue, tous les efforts d’assainissement déployés seront esquintés par l’essoufflement. Donc il faut chercher d’autres remèdes. La gageure serait de répondre efficacement à cette question: comment combattre le piratage de films sans nuire à la cinéphilie. En Hexagone par exemple, les deux vont de pair : il y a un contrôle rigoureux et les distributeurs de DVD protégés par le copyright ont baissé les prix. Ce qui est salutaire dans cette démarche, c’est qu’on se garde d’endommager sauvagement, un produit qui appartient aux autres. Le rouleau compresseur, dans de telles circonstances, est une calamité. Ecraser «Autant en emporte le vent» ou «Citizen Kane» c’est de la haine anti-cinéphilique. Il y a des chef-d’oeuvres qui n’ont pas été distribués au Maroc mais qui ont péri sous le métal lourd. N’est-ce pas ignominieux? Tout à l’heure, j’ai parlé de «panne d’idée», tenez en voici une qui pourrait résoudre pas mal de tracas: au lieu de démolir, répertorier les vidéogrammes piratés et les conserver; ensuite acheter les droits de diffusion numérique et puis les distribuer en toute légalité à des kiosquiers ayant leur patente et leur registre de commerce. Il serait judicieux d’apposer (ou graver) une marque graphique (âlama) sur les disques pour les distinguer du reste. L’exemple de la régie des tabacs est à méditer. Grâce aux kiosques à tabac éparpillés sur tout le territoire national, on voit de moins en moins de cigarettes de contrebande. Si on appliquait le même système aux vidéogrammes, on ferait d’une pierre deux coups: encourager la cinéphilie numérique et renforcer la légalité et la fluidité de ce commerce.
RAZAK
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