Wednesday, September 24, 2014

Quand la caméra rit en cachette


La caméra de prise de vue, qu’elle soit au service d’une télé ou du cinéma,qu’elle soit fixée à un trépied amovible ou portative (steadicam),glissant sur des rails ou suspendue à une grue, ne cherche pas à capter uniquement les choses sérieuses (dégâts tectoniques, crashs d’avions, inondations, conflits armés, accidents de la circulation…) et à filmer les apparences pudibondes (films religieux…), les parures élégantes (romances aristocratiques) et puisà se remémorer des allures chevaleresques (péplums, fresques historiques …). Parfois,elle trouve sa recréation dans le comique, quand ce n’est pas un Chaplin ou un BusterKeatonqui,en gagman initié,lui impose le monostyle.


Pour le cinoche, on peut dire que cet humour qu’elle veut rendre publique,via la cellophane, comme support d’incrustation des images, n’est pas dans son élément, c’est-à-dire (ajoutons un peu de péjorationau stéréotypemachiniste) qu’elle n’est pas dans son état naturel,puisque tout est prémédité, artificiel et calculé à l’avance. C’est un humour qui manque de spontanéité et qui est préalablement concocté, puisque c’est inscrit en lettres lisibles et aseptisées sur une page de scénario, sans oublier le dessin du story-board qui en délimitespatialement l’élan expansif et évasif. Tout est à l’état frigorifié, de la moindre grimace au plus drôle des faux pas et trébuchements.

Quant à la caméra de télé, elle a plus de choix, notamment dans le direct. En matière d’humour télévisuel, on peut dire qu’elle voit double, non pas par myopie mais par malice. Il y a du frigorifié, notamment quand la chaine tv,en manque de nouveautés, se contente du réchauffé en revenant auxémissions anciennes; etil y a de l’humour spontané, quand elle fait du direct, en se mêlant à la foule dans les grands espaces clos ou ouverts, comme les grands stades de foot, les arènes de tennis, les rings de boxe ou de kick-boxing, les salles de théâtreoude concert lyrique ...

Dans ces lieux mondains bondés de gens, absorbés par ce qu’ils regardent, il arrive parfois que le spectateur,en commettant inconsciemment un geste ridicule ou risible, devienneà son tour un acteur comique sans le vouloir. C’est l’œil malindu caméramanqui,faisant de son visible instrumentune sorte de caméra invisible,guette ces gestes drôles et ces instants insolites, volés au programme officiel. L’un sommeille en plein concert de musique classique et qui tombe de sa chaise, l’autre baille en se grattant le nez. Un maestro qui laisse tomber sa baguette, mais qui n’ose pas la ramasser devant le public. Un fan qui veut offrir un bouquet de fleurs à son idole préférée mais qui tombe sur scène. L’autre qui, en se courbant, déchire son pantalon au mauvais endroit et au mauvais moment. Les photographes-snipers du Web proposent aux internautes toute une multitude de gags véridiques de ce genre, captés sur le vif.

Même au dernier mondial brésilien, on était vraiment gâtés. On a vu d’étonnantes apparitions et d’hilarantes réactions qui excitaient le rire. Prises hors du contexte footballistique, elles auraient une autre signification; et en cas de mauvaise interprétation, ellesauraient pu entrainer, comme conséquences, des poursuites judicaires,vis-à-vis des paparazzis qui les auraient captées.

Ainsi, compte-tenu des perfections apportées auxcaméras digitales qui retransmettaient en direct les péripéties de ce mondial qui a souri,à nouveau, aux Germaniques,on a injectéde l’humour à travers les spectaculaires ralentis. Avec ce mode de retransmission, les gestes et les paroles aphones des joueurs deviennent d’une autre sémantique. Cela a permis de décrisper l’humeur des férus du football et même aux fanatiques du «foot-à-mort» (le contraire du «foot-amour») chauffés à blanc et prêts à faire du grabuge, que ce soit dans les gradins ou dans les rues de la ville.

Vu le côté dramatique qui accompagne intrinsèquement le football, dorénavant le recours à l’humour doit aller crescendo. C’est l’antidote au poison qui envenime les stades.

Dorénavant, l’humour et le football devront faire bon ménageet être logés à la même enseigne, si on veut que les choses se passent sans heurts. N’avions-nous pas vu juste, en auréolant le sport footballistique du 9ePrix International de l’Humour (Bouzghiba-Awards) que nous supervisons, dans l’intérêt général ? (Le 3e tome de la monographie relative à ce prix culturel est en cours de parachèvement. Il paraitrait probablement au début de 2015, l’année où l’on va célébrer avec solennité la 10ème édition du PIH).

Les gags télévisés du Mondial-2014 sont innombrables et c’est grâce à la malice descaméramans qu’on les a mémorisés.Parmi les fans de sexe féminin, on avait vu des «top-modèles» en herbe et des «stars bénévoles» dont certaines sont plus belles que Kidman et Penelope Cruz.

Certaines images dérobées aux matchs sont devenues anecdotiques. Qui n’a pas ri jusqu’à tordre le cou,en regardant l’entraineur argentin perdre sa verticalité, en reculant en arrière, pour s’écrouler sur le banc de touche ? Son homologue mexicain, lui aussi, a perdu son équilibre. En voulant serrer dans ses bras un joueur,il le descend comme un catcheur.

Revenons un peu en arrière, qui a oublié le coup de crâne de Zidane qui a été vu par des dizaines de millions de téléspectateurs et qui a été perçu non seulement comme une incongruitépour un joueur réputé pour son calmelégendaire, mais aussi pour l’aspect anecdotique ? La preuve: on en a fait une statuette, presque grandeur nature, pour en immortaliser l’impact humoristique. Il en est de même pour Tyson, l’arracheur des oreilles à l’aide de ses tranchantes incisives. Ce qu’il n’avait pas réussi avec ses gants, il l’avait obtenu avec ses dents.

Ce qui est encore drôle, c’est qu’au début, ces images nous étonnent désagréablement, mais avec le temps; en s’en souvenant, on en rit. Le gag domine le fait historique.


Enfin, outre ces gestes qui sortent de l’habitude, il y a aussi des pleurs de spectateurs qui ont fait rire les téléspectateurs. Dans les phases finales du Mondial-2014 on a vu des arrêts-sur-image qui suscitent à la fois le rire et la pitié. Quand aux drôles accoutrements, on avait droit à tout un festival. En guise de coiffure, certains supporters avaient mis des carottes. Les gosses lunettes et les masques de tous genres nous faisaient penser à un carnaval. N’étions-nous pas au royaume élu des carnavals ? Celui de Rio n’en est-il pas le plus célèbre?

Que dire en conclusion? Quand la caméra veut rire, elle s’ingénie à le faireplus dans la clandestinité, que dans les lieux balisés topographiquement, comme les studios dont la majorité manque d’air frai. Le rire naturel est le don des hommes libres, il a horreur des carcans routiniers et des récidives nauséabondes.

Qu’est-ce qui pousse le caméraman à fouiller dans les tribunes au milieu de la fourmilière,alors que le ballon rond est censé être la véritable vedette ? La télé pense à nous. Elle ne veut pas que l’on s’ennuie dans les arrêts de jeux. Ces derniers dictent ces petites récrés de divertissement.

Pourquoi les séries télévisées (Friends…)et les cartoons les plus comiques, comme la saga des «Simpson» n’ont pas fait long feu ? On s’en est vite lassés, parce que l’ingrédient de base leur manquait: la spontanéité. Le rire vrai comme le dire vrai surgissent des zones inexplorées de l’imprévisible.

RAZAK

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