Extrait
« Dans le night-club étagé, que les entraîneuses
sexuelles surnomment «Le Pillage» (on a remplacé une consonne par une autre,
comme pour «Al Kintra» de Casablanca),
il faut rester vigilant, sinon l’on risque d’être dépouillé de ce qu’on a dans
les poches, comme argent ou gadgets électroniques de communication. On devra
surveiller son iPad ou son iPhone, si on en a un de plus coûteux. C’est une
autre «boîte d’ennuis» à ajouter aux autres, malfamées et pernicieuses et puis que
ce péage non réglementaire rend encore plus ennuyeuses. L’accès est gratuit,
mais en analysant la situation, on découvre l’inverse. Cette dîme de passage est imposée aux filles de joie,
par les videurs avec la secrète approbation des flics de mauvaise réputation.
En tant qu’usager de la plume, j’ai eu ma part d’ennuis.
Les journalistes intègres, comme il est
devenu très rare d’en rencontrer quelques uns et les écrivains qui écrivent
vrai sont très suspectés, même s’ils viennent à la discothèque pour se défouler
un peu, comme le commun des mortels et les bons vivants. On ne leur accorde ni
faveur, ni passe-droit. Pire, on les surveille de plus près, comme s’ils
étaient des gens peu recommandables ou des types à craindre. J’y viens souvent
en anonyme et en solitaire. Mais il arrive un moment où on vous dévoile et ce
sera le début des tracas. Le cas des écrivains est encore pire, car on sait ni
où, ni quand leur livre sortirait et ce qu’il contiendrait comme révélations.
On ne veut pas que les mauvais secrets de la boîte soient divulgués.
-«J’ai arrêté d’écrire dans les journaux. D’ailleurs, je ne
m’intéresse qu’à l’art et non aux affaires de mœurs», leur ai-je dit en toute sincérité, pour essayer de les
tranquilliser. Mais, têtus comme ils sont, ils n’ont pas voulu me croire. Par
ailleurs, on ne peut pas cajoler des ours mal léchés et des bisons hérissés. Il
y a quelque chose de génétiquement zoophilique qu’on ne peut pas défaire
rapidement. Seule et à long terme, l’Évolution darwinienne pourrait en décider.
Cette paranoïa est due à la cupidité, car chaque nuit, il y
a de grosses sommes d’argent en jeu. La flicaille corrompue prend sa part, en
fermant l’œil ou en se vengeant de ceux qui dénoncent ce pillage nocturne, dont
sont victimes les dites «filles de joie» et une partie des clients qui perd le
contrôle de ses réflexes. On a tout fait pour m’empêcher de revenir au même
endroit. On m’a fait doubler plusieurs fois la consommation, malicieusement et
illégalement pour que j’en aie marre. La manœuvre n’a pas réussi. Quant
aux dérèglements intestinaux et aux diarrhées qu’ils provoquent, j’en ai eu ma
dose. Mais têtu et obstiné comme eux, je résiste. Je reviens à la même case de
départ, à mes risques et périls évidemment.
Ainsi, quand l’envie de changer de ville me saisit et le
besoin de rincer le gosier devient pressant, je reprends le train. 20 minutes
et me voilà dans la ville de «Halala». Cette plante aux fleurs jaunes, hissée
au rang d’emblème régional, a un goût de moutarde. Enfants, nous l’utilisions
pour sortir les scorpions de leur trou. Mais les scorpions à visage humain
semblent indomptables et plus nocifs (….)
La femme de nuit ,
qui parodiant à sa guise, a utilisé pour la première fois le mot «pillage» à la
place de ’’village’’, pour révéler le sens caché et sanguinaire de l’enseigne,
semble avoir vu juste.
Un serveur m’a
raconté qu’un de ses confrères d’origine berbère, travaillant la nuit
dans la cave du sous-sol, réaménagée dangereusement en piste de danse a eu la mort par manque
d’aération. Beaucoup de gens ont été traumatisés par ce décès suspect. Comme
subterfuge de simulation, on a posé des ventilateurs fonctionnant en vase clos.
La police judiciaire n’a pas enquêté sur ce décès suspect. C’est un pauvre
chleuh qui vivait plus des pourboires de la clientèle que des quatre sous que le propriétaire israélite lui donne
mensuellement. En serait-il ainsi si l’homme asphyxié était le rejeton d’un
haut fonctionnaire ou un juif ? Le bar serait fermé et le propriétaire mis en examen,
voire incarcéré en cas de négligence préméditée entraînant la mort. Un détail
importantissime pour revoir ce dossier: il y avait litige au sujet de
cette cave entre le propriétaire du dancing et celui du café voisin. Ce dernier
a fini par avoir gain de cause. Le tribunal lui a restitué son bien, mais la
mort du serveur demeure un mystère, une
énigme et un point noir qu’il faudrait un jour éclairer. Le serveur qui connaît
les détails de cette affaire est toujours en service. L’heure de sa retraite
n’a pas encore sonné. Quand pour la première fois il m’avait parlé de ce qui
était arrivé à son collègue, sa voix pleine de tristesse, avait besoin d’être
consolée. Mais par delà le larmoyant souvenir,
c’est la justice qui devrait consoler tous les Sans-voix et les Sans-familles.
Pourvu qu’il y’ait un vaillant justicier qui
se soumette à son urgent appel.
Est-ce de l’audace de m’en avoir informé ou un piège?
Suis-je un enquêteur? Faire des enquêtes n’est pas de mon ressort, même si par
compassion, l’on éprouve le besoin naturel de se solidariser avec les victimes,
en souhaitant le châtiment aux personnes qui ont commis le forfait. C’est le
boulot des inspecteurs, pourvu que ces derniers exercent leur
devoir dans la légalité, loin des bavures et des insidieuses tournures.
Parmi les autres histoires dramatiques que l’on m’a
racontées, il y en a une qui chagrine. Un homme entre en bon état physionomique
dans cette discothèque où a eu l’asphyxie. Il en sort tout défiguré, avec des
brûlures au visage et le portefeuille vide. L’arcade souricière a été épargnée
de justesse. Il aurait perdu un œil, si les agresseurs avaient poussé la
cruauté à son paroxysme sauvage et inhumain. Il avait 7000 dirhams sur lui et
il a commis l’imprudence de montrer ses billets de banques, dans un lieu où il
ne le fallait pas et la folie de venir seul. Avec un copain, même pris en
charge financièrement, on assure le «gardiennage» de la table et ce qu’on a
posé dessus comme liqueur. Celui qui m’a raconté cette histoire dit qu’on a
versé un somnifère dans le verre de la victime. Quand l’homme drogué se
réveille, il trouve que sa main et son visage portent des traces de brûlures,
provoquées par des cigarettes allumées. Il se rend compte qu’on lui a tout
pris. C’est un vol de vengeance. Pas la peine de jouer à Kojak ou à Columbo. Un
«voleur normal» ne peut pas montrer de telles hargnes sadiques. Ce qui
l’intéresse, c’est le pognon. Il prend le magot et il file. Ces criminels ont
bien préparé leur coup. Ils savent combien dure le sommeil artificiel qu’ils
ont provoqué. Ils ont pris le temps de «disséquer» leur victime.
L’homme agressé voulut porter plainte, mais il ne sut pas
contre qui? Contre le propriétaire de la discothèque où l’agression a eu lieu?
Contre les videurs qui, dit-on, sont payés pour assurer la sécurité des clients
et qui ont laissé ces voleurs pénétrer dans l’enceinte?
Un autre individu a pissé du sang et il regrette d’avoir
commis l’imprudence de ne s’être pas servi d’un verre pour bien voir ce qu’il y
a dedans. Voulant boire à l’américaine,
on lui a bousillé les reins à la marocaine, avec une farine de verre bien pilé. On lui a dit que c’est de l’usine que ça vient. Un
subterfuge que l’on utilise insidieusement pour se désinculper.
Il y a des situations paradoxales et ingérables où le fil
de la vérité se perd dans la filasse des incertitudes. Mais quelles que soient
les circonstances, le client a droit à un minimum de sécurité. Il faut qu’il se
sente en confiance et dans un établissement en bonne et due forme, mais non dans un atelier de torture. Quant à
ceux que l’on fourgue à la moindre désinvolture, ils sont innombrables, mais
leur criarde magnanimité est à plaindre. Ils oublient qu’il y a des associations de droits de l’homme qui
militent contre la dictature policière. Pourquoi ne pas faire recours à leur
précieux secours. Personnellement, je
les plains de ne pas avoir poussé le bouchon jusqu’au bout, puisque d’une part,
ils n’ont rien à perdre, d’autre part, même si on ne donnait pas de suite à leur
plainte, il y aurait leur dossier dans les archives de police. Si des
agressions de ce genre se répètent plusieurs fois, on en déduira que la boîte
et les vigiles sont dans le coup. Voilà pourquoi j’ai souhaité que toutes ces
victimes plaident leur cause, ne
serait-ce que pour sauver leur dignité. Je sais qu’ils savent qu’il y a
anguille sous roche et que les représentants de la loi ne sont pas ceux qu’on croit.
La
corruption a fracturé ce corps d’Etat, de surcroît porteur d’arme et censé
protéger les citoyens faibles du mal des puissants. Hélas, de nombreux
agents incontrôlés ont fait pacte avec
le diable. Profitant de l’absurdité d’un texte de loi plein de contradictions
et d’ambivalences, ils tyrannisent les consommateurs marocains au nom d’un
puritanisme religieux truqué et désuet. »
RAZAK
»
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