Saturday, June 11, 2016

Bziz et la débâcle d’un système audiovisuel malade de ses dirigeants



Si Bziz  avait imité les amuseurs publics qui font des pitreries leur gagne-pain, il aurait damé le pion aux cancres de la télévision d’Etat qui s’échinent et se plient en quatre pour espérer tirer une grimace de la populace marocaine qui regarde la télé. Bziz ne blague pas et même s’il a un sens aigu de l’humour, il ne triche pas avec les mots. Or cette télévision d’Etat, dirigée  d’une main de fer par des gens du sérail, ne veut pas d’un humoriste farouchement politisé qui dit la vérité. C’est contagieux et dangereux pour l’ordre conservateur établi. Un humoriste qui fait de la lutte contre la corruption son  cheval de bataille ne trouve qu’embûches et crevasses sur son chemin. On est dans un pays où les justes sont réprimés et les magouilleurs se la coulent douce. Bziz est mis ostensiblement à la marge parce qu’il dérange. Pour un artiste qui cherche un contact direct avec ses  admirateurs, l’indifférence est pire que la réclusion. On devine son courroux. Considéré injustement comme  persona non grata, cet humoriste ne fait que subir le calvaire  en attendant des jours meilleurs. Les nombrilistes haut perchés y voient une menace potentielle pour leurs intérêts. Peut-être que ce serait paranoïaque de voir les choses sous cet angle si mesquin et si frileux. Le rire édifiant est mieux que le rire bête. Dans le premier on émancipe, dans le second on dissipe.
Quelle démocratie ferait le Maroc si tout un chacun trouvait la liberté de dire ce qu’il a à dire sans craindre les tracasseries du lendemain.
En accumulant les interdictions,  Ahmed Senoussi (alias Bziz) est devenu un symbole, qui au-delà de l’être proscrit, interpelle l’Histoire da la nation. Dans les décennies à venir, les Marocains qui par nostalgie regarderaient en arrière diraient: ’’dommage pour le pays, on aurait saisi la balle de la démocratisation en plein vol. Au lieu de le museler, on aurait laissé cet artiste s’exprimer. Après tout les mots ne sont pas des cartouches ou des Kalachnikovs’’.
            Le problème est d’ordre culturel. Quand, en homme cultivé et sagace,  Dr Mahdi el Manjra était aux commandes de cette télé, il y avait plus de débats politiques et  plus de liberté, malgré les réticences et susceptibilités du régime. Autre boniment: les retransmissions télévisuelles étaient en direct. Mais à cette époque-là, malgré les vicissitudes de la guerre froide, il n’y avait ni meute répressive, ni émeute  après  la mise ’’on air’’ de ces brûlantes émissions. En principe, cette brèche de tolérance devait aller en s’élargissant et englober d’autres secteurs. Hélas, rien n’en fut. Quand la deuxième chaîne envoya en prison un citoyen pour une opinion, les Marocains ont compris que le fameux système de ’’deux  poids deux mesures’’ est toujours de rigueur et qu’il fallait faire gaffe.  
Comment Bziz pourrait-il trouver son aise au sein de cette marmite où bouillonne un mélange fait de  suspicions, d’incriminations et  de persécutions ? Cet humoriste qui se distingue par son style et par son audacieux militantisme en voudrait aux patrons de l’audiovisuel qui l’avaient trahi. A un certain moment, on avait cru qu’on allait mettre un terme à son inique et absurde proscription. C’était une bulle de savon. On manquait de culot pour prendre une  décision salutaire et apaisante pour tous.
Par ailleurs, tout homme inapte  hissé dans des circonstances douteuses au rang de PDG ne peut apporter  que la perversité  et la gabegie, car il cherchera toujours des employés plus inaptes que lui  pour les dominer facilement. C’est en fait le constat le plus navrant  et le plus amer que nous ayons à supporter et qui fait du système audiovisuel marocain ce qu’il est, c’est-à-dire un secteur sclérosé et  improductif. Un secteur moribond où  les lamentations et les jérémiades sont plus retentissantes que les progrès accomplis. D’ailleurs quant aux petites éclaircies constatées sporadiquement, c’est aux étrangers qu’on les doit et non aux bras cassés qui épuisent le budget de l’Etat à regarder les autres faire leur travail. Ce qui est essentiel pour cette  téloche qui porte des œillères comme les chevaux de course, ce sont les actualités royales. Tout le reste est secondaire. Ce n’est pas la peine de chercher des programmes culturels. Il n’y en a pas, parce que c’est voulu.                
Rappelons qu’au Maroc et depuis son avènement, la télévision a été un instrument dirigiste de formatage et non un outil d’émancipation sociétale et puis d’épanouissement intellectuel. L’Etat a mis de son côté les médias audiovisuels, en laissant la presse écrite aux partis de l’opposition. Mais comme cette dernière était devenue puissante on changea de méthode. Au lieu du bâton on donne la carotte. La presse rentière remplace la presse militante. L’opposition cède la place à la juxtaposition. Ainsi,  tous les journaux de quel que bord qu’ils soient  obéissaient aux mêmes contraintes et impératifs.
 Parfois l’anecdotique s’insère dans le tragique.  Quand toute cette armada de journalistes affiliée au pouvoir atteint la méningite on se déploie en long et en large pour trouver un remède. Il ne faut pas que le futile gaspillage des deniers publics submerge tout. L’ère basriste est pleine de sobriquets qui au-delà des drames qu’elle génère donnent à rire. La première invention pour laquelle  le pays devrait entrer dans les annales des faits pervers, c’est d’adjoindre  l’information au ministre de l’intérieur. Même au temps de la colonisation où Hubert Lyautey le conquérant se vantait d’avoir pacifié des tribus en furie n’avait pas pensé à de telles prouesses. L’hybridation était à la mode. L’information en avait subi une des plus spectaculaires. Et pour lui donner un semblant de validité, on organisa un colloque pour faire bourdonner le bourdon à l’intérieur de la bouteille. On l’appela INFOCOM. Cette adjonction contre nature visait le journalisme d’opposition, qui commençait à dominer son vis-à-vis, rattaché organiquement au pouvoir. Le but non avoué était  de faire des journalistes des auxiliaires de l’autorité. C’était aussi l’époque où l’on collait des étiquettes aussi farfelues qu’inquiétantes aux opposants qui refusaient de courber l’échine. Un ingénieur marocain en pétrochimie qui devint brésilien,  mais ironie du sort, ce juif brésilien retrouva miraculeusement sa marocanité quand une amnistie fut décrétée en sa faveur. 
En  rattachant l’audiovisuel à l’administration centrale, les caïds relevant directement de ce département, et sans en avoir les capacités requises avaient rétréci le champs des libertés et même après la mort du ministre  Basri, le basrisme audiovisuel que l’on reconnaît aisément à travers son allure liberticide et inquisitrice, est toujours omniprésent. Quand l’information est asservie pendant deux  décennies, il en faudrait le double  pour l’aider à se relever  et encore faut-il avoir la bonne volonté pour accepter le changement de cap. Hélas, nous constatons les mêmes  réflexes et les mêmes impasses malgré l’entrée de la société marocaine dans le 3ème  millénaire.          
La télévision d’Etat dont le monopole semble entier et indivise jusqu’à nouvel ordre, a ses rites. Elle n’en rate aucun. Au mois du Ramadan, on la voit imposer, comme à l’accoutumée, son triste et débilitant  humour aux jeûneurs. Est-ce que la faim a besoin du rire pour recharger les batteries?  Cette tendance est à psychanalyser. La rupture du jeûne a-t-elle besoin d’un chatouillement d’humeur ? C’est devenu une embarrassante coutume, qui plonge à bras le corps dans le ridicule. Comme les cancres  de la téloche officielle voient toujours les petites choses au fort grossissement, alors ils pensent qu’il faut faire rire les gens pour qu’ils ne se révoltent pas. Une faim collective pourrait engendrer une grogne collective. Sur ce point ils n’ont peut-être pas tort, car le mois du carême est (les statistiques des hospitalisations le prouvent) le mois des bagarres sanglantes.  On se dispute à couteaux tirés pour des petites futilités. Ce mois dont les exégètes religieux  disent qu’il est le mois idoine du repentir et de la magnanimité laisse penser plutôt au contraire. Cette recrudescence sanguinolente ne peut être jugulée ni par la télé ni par ses clownesques guignols. Cela voudrait dire aussi que l’approche télévisuelle ’’pacificatrice’’ n’est pas la bonne, mais que c’est  l’affairisme le plus niais qui dicte de telles démarches.
Signalons en passant que c’est au  mois de ramadan que la télévision renfloue ses caisses avec les entrées de publicité et du sponsoring. Comme l’objectif n’est pas aussi noble qu’on le croit, alors on cherche  des farceurs et des bouffons pour jouer aux comparses. Ainsi, face à l’embargo dressé contre les vrais artistes comme Bziz, les intrus ont pris leur place. Abandonnant leur classe à l’oisiveté, certains instituteurs ratés mais qui croient avoir  le don d’amuser autrui, sont venus  concurrencer  les vrais humoristes. Conséquence, on tombe dans le simulacre, mais rien ne se fait dans la spontanéité. La caméra cachée est un jeu truqué, les sitcoms sont mal dirigés et infantiles, les sketchs sont dégoûtants. Enfin, si l’on s’obstine à ressasser et repasser les mêmes inepties, cela voudrait dire qu’on n’a pas de génie pour les idées neuves afin de présenter une alternative. Bziz et d’autres talents marginalisés en ont la leur, mais elle ne rentre pas dans le moule conçu par les décideurs du moment, qui font partie des principaux détracteurs du vrai génie du rire instructif.
Bziz a bien fait de refuser ce jeu malsain. S’il avait cédé à la tentation dépravatrice, sa crédibilité y aurait encaissé un sacré coup. Un artiste que la bêtise humaine offusque et que les injustices sociales font hérisser outre mesure, doit attendre des jours meilleurs où la démocratie imposera ses vedettes les plus matures et gommera les ratures du passé obscur.
RAZAK


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