Si Bziz avait imité les amuseurs
publics qui font des pitreries leur gagne-pain, il aurait damé le pion aux
cancres de la télévision d’Etat qui s’échinent et se plient en quatre pour
espérer tirer une grimace de la populace marocaine qui regarde la télé. Bziz ne
blague pas et même s’il a un sens aigu de l’humour, il ne triche pas avec les
mots. Or cette télévision d’Etat, dirigée d’une main de fer par des gens du sérail, ne
veut pas d’un humoriste farouchement politisé qui dit la vérité. C’est contagieux et dangereux
pour l’ordre conservateur établi. Un humoriste qui fait de la lutte contre la corruption
son cheval de bataille ne trouve qu’embûches
et crevasses sur son chemin. On est dans un pays où les justes sont
réprimés et les magouilleurs se la coulent douce. Bziz est mis ostensiblement à la marge parce qu’il
dérange. Pour un artiste qui cherche un contact direct avec ses admirateurs, l’indifférence
est pire que la réclusion. On devine son courroux. Considéré injustement comme persona non grata, cet humoriste ne fait que subir
le calvaire en attendant des jours meilleurs.
Les nombrilistes haut perchés y voient une menace potentielle pour leurs
intérêts. Peut-être que ce serait paranoïaque de voir les choses sous cet angle
si mesquin et si frileux. Le rire édifiant est mieux que le rire bête. Dans le premier on
émancipe, dans le second on dissipe.
Quelle démocratie ferait le Maroc si tout un chacun trouvait la
liberté de dire ce qu’il a à dire sans craindre les tracasseries du lendemain.
En accumulant les interdictions, Ahmed Senoussi (alias Bziz) est devenu un symbole, qui au-delà de
l’être proscrit, interpelle l’Histoire da la nation. Dans les décennies à venir,
les Marocains qui par nostalgie regarderaient en arrière diraient: ’’dommage
pour le pays, on aurait saisi la balle de la démocratisation en plein vol. Au
lieu de le museler, on aurait laissé cet artiste s’exprimer. Après tout les
mots ne sont pas des cartouches ou des Kalachnikovs’’.
Le problème est
d’ordre culturel. Quand, en homme cultivé et sagace, Dr Mahdi el Manjra était aux commandes de
cette télé, il y avait plus de débats politiques et plus de liberté, malgré les réticences et
susceptibilités du régime. Autre boniment: les retransmissions télévisuelles étaient
en direct. Mais à cette époque-là, malgré les vicissitudes de la guerre froide,
il n’y avait ni meute répressive, ni émeute
après la mise ’’on air’’ de ces brûlantes
émissions. En principe, cette brèche de tolérance devait aller en s’élargissant
et englober d’autres secteurs. Hélas, rien n’en fut. Quand la deuxième chaîne envoya
en prison un citoyen pour une opinion, les Marocains ont
compris que le fameux système de ’’deux poids
deux mesures’’ est toujours de rigueur et qu’il fallait faire gaffe.
Comment Bziz pourrait-il trouver son aise au sein
de cette marmite où bouillonne un mélange fait de suspicions, d’incriminations et de persécutions ? Cet humoriste qui se
distingue par son style et par son audacieux militantisme en voudrait aux patrons
de l’audiovisuel qui l’avaient trahi. A un certain moment, on avait cru qu’on
allait mettre un terme à son inique et absurde proscription. C’était une bulle
de savon. On manquait de culot pour prendre une décision salutaire et
apaisante pour tous.
Par ailleurs, tout homme inapte hissé dans des circonstances douteuses au rang
de PDG ne peut apporter que la perversité et la gabegie, car il cherchera toujours des employés
plus inaptes que lui pour les dominer
facilement. C’est en fait le constat le plus navrant et le plus amer que nous ayons à supporter et
qui fait du système audiovisuel marocain ce qu’il est, c’est-à-dire un secteur
sclérosé et improductif. Un secteur
moribond où les lamentations et les
jérémiades sont plus retentissantes que les progrès accomplis. D’ailleurs quant
aux petites éclaircies constatées sporadiquement, c’est aux étrangers qu’on les
doit et non aux bras cassés qui épuisent le budget de
l’Etat à regarder les autres faire leur travail. Ce qui est essentiel pour cette
téloche qui porte
des œillères comme les chevaux de course, ce sont les actualités royales. Tout
le reste est secondaire. Ce n’est pas la peine de chercher des programmes
culturels. Il n’y en a pas, parce que c’est voulu.
Rappelons qu’au Maroc et depuis son avènement, la télévision a été
un instrument dirigiste de formatage et non un outil d’émancipation sociétale et
puis d’épanouissement intellectuel. L’Etat a mis de son côté les médias
audiovisuels, en laissant la presse écrite aux partis de l’opposition. Mais
comme cette dernière était devenue puissante on changea de méthode. Au lieu du
bâton on donne la carotte. La presse rentière remplace la presse militante.
L’opposition cède la place à la juxtaposition. Ainsi, tous les journaux de quel que bord qu’ils
soient obéissaient aux mêmes contraintes
et impératifs.
Parfois l’anecdotique
s’insère dans le tragique. Quand toute cette armada de
journalistes affiliée au pouvoir atteint la méningite on se déploie en long et en large pour trouver un
remède. Il ne faut pas que le futile gaspillage des deniers publics submerge
tout. L’ère basriste est pleine de sobriquets qui au-delà des drames qu’elle
génère donnent à rire. La première invention pour laquelle le pays devrait entrer dans les annales des
faits pervers, c’est d’adjoindre l’information
au ministre de l’intérieur. Même au temps de la colonisation où Hubert Lyautey
le conquérant se vantait d’avoir pacifié des tribus en furie n’avait pas pensé
à de telles prouesses. L’hybridation était à la mode. L’information en avait
subi une des plus spectaculaires. Et pour lui donner un semblant de validité,
on organisa un colloque pour faire bourdonner le bourdon à l’intérieur de la
bouteille. On l’appela INFOCOM. Cette adjonction contre nature visait le
journalisme d’opposition, qui commençait à dominer son vis-à-vis, rattaché organiquement
au pouvoir. Le but non avoué était de
faire des journalistes des auxiliaires de l’autorité. C’était aussi l’époque où
l’on collait des étiquettes aussi farfelues qu’inquiétantes aux opposants qui
refusaient de courber l’échine. Un ingénieur marocain en pétrochimie qui devint
brésilien, mais ironie du sort, ce juif
brésilien retrouva miraculeusement sa marocanité quand une amnistie fut décrétée
en sa faveur.
En rattachant l’audiovisuel
à l’administration centrale, les caïds relevant directement de ce département, et
sans en avoir les capacités requises avaient rétréci le champs des libertés et même
après la mort du ministre Basri, le
basrisme audiovisuel que l’on reconnaît aisément à travers son allure
liberticide et inquisitrice, est toujours omniprésent. Quand l’information est
asservie pendant deux décennies, il en faudrait
le double pour l’aider à se relever et encore faut-il avoir la bonne volonté pour
accepter le changement de cap. Hélas, nous constatons les mêmes réflexes et les mêmes impasses malgré l’entrée
de la société marocaine dans le 3ème
millénaire.
La télévision d’Etat dont le monopole semble entier et indivise
jusqu’à nouvel ordre, a ses rites. Elle n’en rate aucun. Au mois du Ramadan, on
la voit imposer, comme à l’accoutumée, son triste et débilitant humour aux jeûneurs. Est-ce que la faim a
besoin du rire pour recharger les batteries?
Cette tendance est à psychanalyser. La rupture
du jeûne a-t-elle besoin d’un chatouillement d’humeur ? C’est devenu une embarrassante
coutume, qui plonge à bras le corps dans le ridicule. Comme les cancres de la téloche officielle voient toujours les
petites choses au fort grossissement, alors ils pensent qu’il faut faire rire les
gens pour qu’ils ne se révoltent pas. Une faim collective pourrait engendrer
une grogne collective. Sur ce point ils n’ont peut-être pas tort, car le mois
du carême est (les statistiques des hospitalisations le prouvent) le mois des
bagarres sanglantes. On se dispute à
couteaux tirés pour des petites futilités. Ce mois dont les exégètes religieux disent qu’il est le mois idoine du repentir et
de la magnanimité laisse penser plutôt au contraire. Cette recrudescence sanguinolente
ne peut être jugulée ni par la télé ni par ses clownesques guignols. Cela
voudrait dire aussi que l’approche télévisuelle ’’pacificatrice’’ n’est pas la
bonne, mais que c’est l’affairisme le
plus niais qui dicte de telles démarches.
Signalons en passant que c’est au mois de ramadan que la télévision renfloue ses
caisses avec les entrées de publicité et du sponsoring. Comme l’objectif n’est
pas aussi noble qu’on le croit, alors on cherche des farceurs et des bouffons pour jouer aux comparses.
Ainsi, face à l’embargo dressé contre les vrais artistes comme Bziz, les intrus
ont pris leur place. Abandonnant leur classe à l’oisiveté, certains instituteurs
ratés mais qui croient avoir le don
d’amuser autrui, sont venus
concurrencer les vrais
humoristes. Conséquence, on tombe dans le simulacre, mais rien ne se fait dans
la spontanéité. La caméra cachée est un jeu truqué, les sitcoms sont mal dirigés
et infantiles, les sketchs sont dégoûtants. Enfin, si l’on s’obstine à
ressasser et repasser les mêmes inepties, cela voudrait dire qu’on n’a pas de
génie pour les idées neuves afin de présenter une alternative. Bziz et d’autres
talents marginalisés en ont la leur, mais elle ne rentre pas dans le moule
conçu par les décideurs du moment, qui font partie des principaux détracteurs
du vrai génie du rire instructif.
Bziz a bien fait de refuser ce jeu malsain. S’il avait cédé à la
tentation dépravatrice, sa crédibilité y aurait encaissé un sacré coup. Un
artiste que la bêtise humaine offusque et que les injustices sociales font hérisser
outre mesure, doit attendre des jours meilleurs où la démocratie imposera ses vedettes
les plus matures et gommera les ratures du passé obscur.
RAZAK
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