La qualité dans l’art a pour synonyme beauté. Elle devient exquise quand tout baigne dans l’harmonie et
la perfection. Cependant, comme une vérité fuyante, il n’est pas aisé d’en
apprivoiser ce qui fuit et il faut parfois un peu d’espièglerie pour en déceler
l’insaisissable contour et repérer sa virtuelle trace. La beauté est volatile.
Elle a son parfum spécifique. Quand le sentier est dépourvu d’embûches et
d’épines, ses enivrants effluves la devancent, comme les guides cérémonieux qui
précèdent le cortège des nymphes. Là où elle fait escale, elle laisse une
trace, rehaussée de sa bellissime et vaporeuse signature.
Quant à la laideur, elle est lourdaude et mollassonne. Elle empeste les
pistes que nonchalamment elle arpente, comme une dévergondée, non désirée par
tous. Tout derrière elle est nauséabond
et putride.
La jalousie est une laideur, la traîtrise est une horreur. Shakespeare a
bâti son œuvre sur les décombres de ces deux lacunes qui entravent les
relations et enveniment l’existence humaine.
’’Plus doué que moi, tu meurs’’, les cancres qui ont un cœur décimal,
répètent sans cesse ce décadent ultimatum. Mais la beauté de l’intelligence
finit toujours par sauver celui qui se soumet à son suave culte.
Où se trouve donc la beauté dans Hamlet que moult cinéastes ont remis au
goût du jour après la déferlante théâtrale? Dans le suicide de l’innocente
Ophélie. La mort pourrait-elle être belle ? Là réside le paradoxe
shakespearien. Ses illustres personnages féminins, autour desquels les passions
s’enchevêtrent fiévreusement, meurent dans l’absolu désarroi, en laissant de
beaux cadavres. Or un beau cadavre peut-il signifier une belle mort ?
Desdémone (Othello) et Juliette
sont des Ophélie que les clivages familiaux ou ethniques, aggravés par la
mauvaise rumeur, mènent à la mort prématurément. Décédées avant le temps, elles laissent de très beaux cadavres sans
toutefois avoir une belle mort. Desdémone fut assassinée injustement par son
propre mari (Othello le Maure), quant à Juliette elle se sacrifia à son
amoureux en buvant du poison. Ces jeunes
femmes exceptionnelles, belles et généreuses par essence, forment l’ossature
des tragédies de ce brillantissime auteur. On ne saurait imaginer une
dramaturgie Shakespearienne sans leur fugace et magique apparition.
Shakespeare avait le don inné de jongler avec les paradoxes sentimentaux
et pour le choix des familles où se joue l'intrigue il voyait haut. Si Hugo avait déifié des petites
gens comme Cosette et des sans famille comme Gavroche, le poète-dramaturge britannique s’intéressait à la vie des rois et des aristocrates. Cependant, son œuvre est
tapissée d’oxymores existentialistes. Il
en fait son gisement esthétique. Ainsi, telle une pépite d’or, la beauté
ressurgit au détour d’une réplique ou d’une phrase sentencieuse : «To be
or not to be. That’s the question» (être ou ne pas être, telle est la question). Sartre en a la
sienne : «l’enfer, c’est les autres»
En bon joaillier de mots, Shakespeare ciselait ses pépites langagières en
retravaillant la rhétorique et perfectionnant l’intonation sonore. C’est pour
cela que ces drames s’achèvent dans l’harmonie et s’exaltent savoureusement
dans la pertinence. Ces belles femmes qui retrouvent la tombe à la fleur de
l’âge nous rappellent, par delà la
juxtaposition métaphorique, une chose fondamentale : la beauté est
extrêmement fragile et éphémère. Elle est
constamment menacée. Le leitmotiv shakespearien retentit dans le
tréfonds de notre être. Il laisse des traces indélébiles dans les esprits.
C’est toujours l’être le plus frêle qui suscite les passions les plus fortes et
les plus folles. La preuve, on a consacré plus d’œuvres iconiques à ces femmes
fragiles qu’aux autres personnages masculins, malgré l’allure chevaleresque de
certains d’entre eux. Il existe une immense galerie de portraits d’Ophélie et
de Desdémone et puis les peintres inspirés emphatiquement par ces personnages de fiction ne sont pas des
moindres (Delacroix, Arthur Hugues, John Millais ….). Il y a même un poète innovateur (Arthur Rimbaud) qui a écrit un très beau texte poétique sur
Ophélie et qui a été transmué par la suite en opéra avec la sublimissime Maria
Callas. Enfin, une des plus belles chansons de Johnny Hallyday que beaucoup de
gens apprécient reste Ophélie. Il l’a chantée avec le London Philharmonic. Son lyrique
est un des plus pathétiques. Bien choisis, les vers sont d’une frémissante
beauté:
« Ophélie
tressant des guirlandes
Vient présenter comme une offrande
Des fleurs, des branches
Pour caresser ses boutons d'or
Pour respirer son jeune corps
Le saule se penche »
Vient présenter comme une offrande
Des fleurs, des branches
Pour caresser ses boutons d'or
Pour respirer son jeune corps
Le saule se penche »
RAZAK
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