Qu’est-elle devenue Cinecittà, la fameuse cité
italienne de tournage cinématographique où furent tournés ''Ben Hur'', ‘’Quo Vadis’’
et
’’La Guerre de Troie’’ ?
Incendiée en 2009, on l’a réhabilitée pour sauver les apparences, car
l’essentiel de sa courte vie est derrière elle. La Cinecittà reliftée diffère
de celle qu'une fuite électrique ou une main criminelle aurait brûlée. Avant le sinistre, elle commençait à
donner des signes d’agonie. Elle n'avait pas pu résister à l’inflation. Le
déficit était énorme. Cette inflation
n'avait pas été provoquée par la chute
brutale de la lire italienne, mais par le déclin cinéphilique sans précédent
que connut cette péninsule ayant la forme d’une botte de mousquetaire.
Pourquoi faire des films s'il n'y a personne dans les
salles pour les regarder? Cette logique a gelé
le sang dans les veines de Cinecittà.
Quand en 2011 elle a rouvert à nouveau ses portes,
la nostalgie s'est emparée des rêveurs
parmi les rares ciné-investisseurs qui restent accrochés aux lumières du passé.
Mais ces professionnels du cinoche ne savent pas que la donne a complètement et
radicalement changé. Les péplums qui avaient fait sa gloire, c'est désormais,
de l'histoire ancienne. Par ailleurs, on
en était à la saturation. Les
''Cléopâtre'', ''Hercule'' et ''Ulysse''
avaient été copieusement
cinématographiés. Il n'y a plus d'autres Odyssées et l'Iliade a été
mille fois feuilletées par les adaptateurs les plus ambitieux.
A moins de jouer aux amnésiques pour reprendre tous
les remakes, mais dans ce cas, on risque
de tomber dans la répétition et la redondance, ce qui nuirait inévitablement à toute éventuelle reprise positive du box-office.
Quand les péplums ont expiré, le western italien, (genre
’’Ringo creuse ta tombe’’ ) voulait prendre la relève, mais il n’ y parvenait
que partiellement et sporadiquement,
parce que fantaisiste et gauchement comique, il ne plaisait pas aux
Américains, qui disposaient des plus grands distributeurs de la planète. Même
chez eux, le western est tombé en désuétude par rapport aux années 50 où il fut
apprécié par la multitude. Le dernier western crépusculaire remonte à plus de
trois décennies. Par ailleurs, les gros producteurs américains qui veulent investir dans le genre
préfèrent le ''Canyon Walley'' et le Mexique, pays voisin dont l'histoire et la
géographie sont proches de ce qui est décrit dans les scripts. Alors pourquoi
aller plus loin quand les parages du
Colorado et du Mississipi offrent des opportunités insoupçonnées et présentent
des atouts considérables ?
Actuellement, Cinecittà est devenue l’ombre d’elle
même. Elle ne fait que vivoter. Le loisir remplace les tournages. Une manière
de se recueillir sur un cinéma décédé avant le temps. Le tragique avait été imprimé dans ses gènes dès le premier
vagissement. Elle avait une naissance perturbée. Créée par Mussolini en 1936, pour
rivaliser Hollywood les intellectuels anti-fascistes de l’après-guerre ne
voulaient pas d'un héritage embarrassant, légué par un farouche allié
d'Hitler. Vaincue dans ce challenge, la
pauvre Cinecittà n'avait eu comme alternative que de livrer son sort à la
magnanimité des amateurs de cinéma restés
fidèles au grand écran et à la générosité de quelques producteurs de films se
souciant peu de la rentabilité de leur mise. Cela ne pouvait pas durer
longtemps, d'où l'inévitable débandade. Cinecittà a été condamnée à l'oubli. Les
travailleurs de cette usine de fabrication des images ont été jetés au chômage.
Autre inconvénient, l'hermétisme de la
langue lui avait verrouillé les issues, alors que l’essor de la langue anglaise
en déverrouillait d’autres de plus
juteuses.
Ce complexe de tournage a eu a eu une vie en dents de
scie avec des hauts exaltants et des bas inquiétants. Ainsi, comme par malédiction, un grand dépôt de
ferrailles occupe actuellement son voisinage immédiat. Cette fourrière de la
casse où les sons d’enclume étouffent les sons épiques des
péplums commence au peu qui reste de sa vocation primordiale. On raconte
même qu'on a failli en faire un complexe hôtelier, pour fermer à jamais son
journal de tournage. Cette mutation contre nature aurait été une honteuse
incongruité pour un pays qui a enfanté des génies de cinéma tels Fellini, Vittorio
De Sica et Sergio Leone.
C’est en
fait un des premiers désagréments que la capitale italienne a réservés à mon
furtif passage, du mois de janvier 2016. Je
voulais assister à d'éventuels tournages, je trouvais un sarcophage, enjolivé par les apparats de
circonstance. Certes, les hectares fonciers ont été épargnés, et les pavillons
remis au goût du jour, avec plus ou moins de sobriété, mais ce qui a disparu
c'est le cœur du cinéma, c'est-à-dire l'art de faire les grandes fresques cinématographiques comme jadis, avec
le concours des bons metteurs en scène et des meilleurs
décorateurs-accessoiristes. Hormis quelques sériés télévisées où le simulacre
historique prend le dessus sur les faits réels, les locataires ne se bousculent
pas devant le portail. Le cinéma de masse qu’elle alimentait avec de nets
bénéfices, a été jeté aux calendes
grecques.
Certes, elle refait surface, mais il lui est difficile de surmonter la pente,
notamment à une époque conquise totalement
par le digital et où le numérique dans tous ses états s'est accaparé tous les
substrats imagés, urbains et ruraux. La cinéphilie de salle subit toujours la
même érosion dévastatrice. Comme alternative salutaire, il ne lui reste que la
voie muséale où les visiteurs se laisseraient émouvoir furtivement par sa
courte histoire. Ainsi, comme le
Colosseo, elle raviverait la mémoire collective.
Qui s’assemble se
ressemble, Cinecittà et le Colisée ont toujours fait bon voisinage, malgré leur
relatif éloignement sur la carte de la ville dont la légende dit qu’elle est éternelle. L’une est parodie de
l’autre. En effet, comme
vestige d’une époque avide de conquêtes
et de sang, l’ex-arène de gladiateurs bâtie par Vespasien et achevée par son
fils Titus avec le butin des conquêtes,
a été plusieurs fois ressuscitée par Cinecittà. Les bobines de la cinémathèque
en témoignent. Son histoire se confond avec les drames humains qu’elle
abritait. C’était un véritable mouroir. Son sol s’est longtemps imbibé du sang
des duellistes. On s’y entretuait devant les
regards amusés des anciens Romains, avec à leur tête l’insolent empereur
Jules César et son entourage immédiat qui cachait à peine son tempérament
sadique. On se délectait de la mort d’autrui. Ce torero à la romaine faisait jouir outre
mesure les sujets de l’ex-empire. Seuls, les plus forts ayant l’agilité
surhumaine et la chance d’échapper aux griffes d’un lion féroce ou au
trident pointu d’un adversaire en furie en sortaient indemnes, affranchis de
l’esclavage et éventuellement couverts de lauriers du vainqueur.
Cinecittà
va inéluctablement dans le sillage archéologique du Colisée, avec la primauté
du touristique sur le cinématographique. Peut-être, le futur «Musée Cinecittà»
trouverait dans sa nouvelle orientation une autre raison d’être.
RAZAK
No comments:
Post a Comment