Au Maroc, la lutte contre le piratage constitue un véritable casse-tête. Les responsables, parfois en panne d’idées, ne savent plus à quel saint se vouer. De toute évidence, les plus lésés dans cet abattage, ce sont les auteurs. Ils en sont abattus. Mais on les marginalise dans cette opération. Quand au produit visuel marocain, excepté quelques sketches de «marocains-francisants» le piratage de films made in Morocco n’en vaut pas la peine d'être tenté. Un film qui échoue dans les salles n’intéresse personne. Pourquoi et pour qui on va le pirater ? Même distribué gratuitement, peu de gens regarderont les films navets. La concurrence est sévère, car la production filmographique étrangère présente des atouts pleins d’attractivité.
Le piratage (comme on l’a mentionné dans d’autres chroniques) présente un aspect un peu trivial: on ne pirate que ce qui est bon. Les mauvais films seront épargnés. Ce sera une perte de pixels et de volts pour le «gravage». Il n’ont qu’un seul avantage; ils serviront d’alibi pour les contrôleurs écraseurs de CD et DVD. Mais leur cinéma commence à agacer.
Curieusement, on retrouve la même problématique et les mêmes contradictions que celles inhérentes au commerce des stupéfiants. Il y a d’une part, l’intoxiqué qui cherche sa dose quotidienne et d’autre part, il y a le gendarme qui en interdit l’usage. On arrête le trafiquant et on brûle la cargaison, mais deux semaines après, un autre dealer beaucoup plus audacieux reprend le trafic. De manière similaire, les autorités en charge du dossier des disques numériques piratés détruisent les prises au rouleau compresseur, mais l’on remarque que deux jours après ce rituel d’auto-flagellation, la duplication illégale reprend de plus belle. A la longue, tous les efforts d’assainissement déployés seront esquintés par l’essoufflement. Donc il faut chercher d’autres remèdes. La gageure serait de répondre efficacement à cette question: comment combattre le piratage de films sans nuire à la cinéphilie. En Hexagone par exemple, les deux vont de pair : il y a un contrôle rigoureux et les distributeurs de DVD protégés par le copyright ont baissé les prix. Ce qui est salutaire dans cette démarche, c’est qu’on se garde d’endommager sauvagement, un produit qui appartient aux autres. Le rouleau compresseur, dans de telles circonstances, est une calamité. Ecraser «Autant en emporte le vent» ou «Citizen Kane» c’est de la haine anti-cinéphilique. Il y a des chef-d’oeuvres qui n’ont pas été distribués au Maroc mais qui ont péri sous le métal lourd. N’est-ce pas ignominieux? Tout à l’heure, j’ai parlé de «panne d’idée», tenez en voici une qui pourrait résoudre pas mal de tracas: au lieu de démolir, répertorier les vidéogrammes piratés et les conserver; ensuite acheter les droits de diffusion numérique et puis les distribuer en toute légalité à des kiosquiers ayant leur patente et leur registre de commerce. Il serait judicieux d’apposer (ou graver) une marque graphique (âlama) sur les disques pour les distinguer du reste. L’exemple de la régie des tabacs est à méditer. Grâce aux kiosques à tabac éparpillés sur tout le territoire national, on voit de moins en moins de cigarettes de contrebande. Si on appliquait le même système aux vidéogrammes, on ferait d’une pierre deux coups: encourager la cinéphilie numérique et renforcer la légalité et la fluidité de ce commerce.
RAZAK