Monday, April 19, 2010

Un remède contre le piratage vidéographique

Le piratage vidéographique c’est du vol. Tout le monde est d’accord sur la criminalisation de l’acte, mais l'on déplore que l'on se préoccupe peu de la manière et de la fermeté d’y mettre un terme. Hormis l’impératif de combattre cette pratique délictueuse, il ne faut pas oublier qu’il y a au Maroc des gens qui en profitent et font tout pour que ce phénomène dévastateur perdure, s’amplifie pour le rendre plus complexe et difficile à éradiquer. Avant l’avènement du digital, comme support de communication universelle, on ne parlait que de contrefaçon (cosmétique, marques vestimentaires signées, montres, lunettes …) et de tableaux imités ou plagiés. La nouvelle ère numérique, dont nous assistons aujourd’hui à sa flamboyante apogée, a affecté tous les domaines et tous les secteurs de la vie courante. Le réseau des réseaux (l’Internet) en est le summum des summums. Les fruits qu’elle nous a offerts ont eux aussi, leur pépin. Ainsi, la vente accrue des ordinateurs équipés de lecteurs DVD a poussé les gens à faire du «home-cinema» à faible coût. En réalité il s’agit de «home-DVD ». Les duplicata illégaux de vidéogrammes légaux ou volés se vendent comme des petits pains. Les hackers sont constamment branchés sur les fréquences ciné. Inutile d’en citer les longueurs d'onde. Parfois on trouve dans le disque compact la trace digitale du crime: le cigle de la chaîne piratée. Le logo fait partie du transfert. Les logiciels de montage en digital sont difficiles à manier. Une des conséquences fâcheuses de cette «Dévédéfication» non contrôlée, c’est la fermeture imminente de toutes les salles de cinéma que compte le pays. D’aucuns me rétorqueraient: pourquoi en Europe, le phénomène est relativement maîtrisé, et paradoxalement la cinéphilie de salle connaît un boom extraordinaire? Il est question de culture et de niveau de vie. Dans cette région du monde, les habitants ont en plus de l’éducation, un revenu respectable et la manie bienheureuse de respecter l’art et puis possèdent la conscience vigilante vis à vis des droits de propriété intellectuelle. Autre facteur important lié aux moeurs socioculturelles de mondanité: les gens aiment voir un film en salle. Malheureusement, cette conscience suit une échelle descendante, en allant des pays développés vers les pays paupérisés.
Au Maroc, la lutte contre le piratage constitue un véritable casse-tête. Les responsables, parfois en panne d’idées, ne savent plus à quel saint se vouer. De toute évidence, les plus lésés dans cet abattage, ce sont les auteurs. Ils en sont abattus. Mais on les marginalise dans cette opération. Quand au produit visuel marocain, excepté quelques sketches de «marocains-francisants» le piratage de films made in Morocco n’en vaut pas la peine d'être tenté. Un film qui échoue dans les salles n’intéresse personne. Pourquoi et pour qui on va le pirater ? Même distribué gratuitement, peu de gens regarderont les films navets. La concurrence est sévère, car la production filmographique étrangère présente des atouts pleins d’attractivité.
Le piratage (comme on l’a mentionné dans d’autres chroniques) présente un aspect un peu trivial: on ne pirate que ce qui est bon. Les mauvais films seront épargnés. Ce sera une perte de pixels et de volts pour le «gravage». Il n’ont qu’un seul avantage; ils serviront d’alibi pour les contrôleurs écraseurs de CD et DVD. Mais leur cinéma commence à agacer.
Curieusement, on retrouve la même problématique et les mêmes contradictions que celles inhérentes au commerce des stupéfiants. Il y a d’une part, l’intoxiqué qui cherche sa dose quotidienne et d’autre part, il y a le gendarme qui en interdit l’usage. On arrête le trafiquant et on brûle la cargaison, mais deux semaines après, un autre dealer beaucoup plus audacieux reprend le trafic. De manière similaire, les autorités en charge du dossier des disques numériques piratés détruisent les prises au rouleau compresseur, mais l’on remarque que deux jours après ce rituel d’auto-flagellation, la duplication illégale reprend de plus belle. A la longue, tous les efforts d’assainissement déployés seront esquintés par l’essoufflement. Donc il faut chercher d’autres remèdes. La gageure serait de répondre efficacement à cette question: comment combattre le piratage de films sans nuire à la cinéphilie. En Hexagone par exemple, les deux vont de pair : il y a un contrôle rigoureux et les distributeurs de DVD protégés par le copyright ont baissé les prix. Ce qui est salutaire dans cette démarche, c’est qu’on se garde d’endommager sauvagement, un produit qui appartient aux autres. Le rouleau compresseur, dans de telles circonstances, est une calamité. Ecraser «Autant en emporte le vent» ou «Citizen Kane» c’est de la haine anti-cinéphilique. Il y a des chef-d’oeuvres qui n’ont pas été distribués au Maroc mais qui ont péri sous le métal lourd. N’est-ce pas ignominieux? Tout à l’heure, j’ai parlé de «panne d’idée», tenez en voici une qui pourrait résoudre pas mal de tracas: au lieu de démolir, répertorier les vidéogrammes piratés et les conserver; ensuite acheter les droits de diffusion numérique et puis les distribuer en toute légalité à des kiosquiers ayant leur patente et leur registre de commerce. Il serait judicieux d’apposer (ou graver) une marque graphique (âlama) sur les disques pour les distinguer du reste. L’exemple de la régie des tabacs est à méditer. Grâce aux kiosques à tabac éparpillés sur tout le territoire national, on voit de moins en moins de cigarettes de contrebande. Si on appliquait le même système aux vidéogrammes, on ferait d’une pierre deux coups: encourager la cinéphilie numérique et renforcer la légalité et la fluidité de ce commerce.

RAZAK

Friday, April 09, 2010

Quand la diva Maria Callas se mêla à la mélancolie d’un sidé


L’une des séquences les plus pathétiques du film Philadelphia de Jonathan Demme (2 oscars) est sans doute celle où Andrew (Tom Hanks) avocat licencié à cause de la maladie du sida se réunit avec son avocat Joe Miller (Denzel Washington) pour compléter un questionnaire d’appui, nécessaire à la plaidoirie. Au lieu d’y répondre, Andrew préfère commenter mélancoliquement le morceau de musique classique qu’il écoute. Il se passionne pour le chant d’opéra. Mais malgré la douleur qu’il ressent, le malade victime du VIH trouve dans cette musique espoir et délivrance. Il s’identifie à une maison en flammes. La scène est émouvante. Elle se présente comme suit: Joe est assis sur une chaise. Il demande à Andrew de lui raconter les circonstances de son entrée au cabinet juridique d’où on l’a chassé. Le malade traînant la tige métallique de suspension du sérum lui dit : «Tu aimes l’opéra ?». L’avocat répond: «Je n’ai pas tellement l’habitude d’en écouter». Ainsi, Andrew augmente le volume de l’appareil audio et entame sa pathétique déclamation sur cette composition musicale ( La Mamma Morta, opéra Andrea Chénier d' Umberto Jiordano) et la puissante voix qui l’accompagne. La voix tristement belle de la diva Maria Callas. L’interprétation est théâtrale mais la musique et les propos qu’elle suscite sont réels. Ce mariage fiction et réalité est d’une épatante subtilité. On pourrait longtemps disserter sur les ingrédients sémantiques de cette séquence: les bougies allumées et leur rapport confessionnel avec la prière et la mort, les nombreuses pauses en plongée, les flammes vivaces de la cheminée et la lumière rougeoyante reflétée sur le visage …Est-ce une parabole vers le géhenne? Andrew anticipe les choses. Avant de se laisser entraîner par la suavité du chant, il parle du testament et du don destiné aux oeuvres caritatives. Il se sait agonisant, mais avant le purgatoire, il a ce petit moment fugace comme l’éclair pour jouir de son hobby.
« C’est mon area favorite poursuit Andrew, Maria Callas… Elle c’est Madeleine. Elle raconte que pendant la révolution française des émeutiers ont mis le feu à sa maison et que sa mère est morte dans la souffrance. »
Andrew, imitant l’attitude des non-voyants et sentimentalement affecté poursuit son commentaire artistique avec mélancolie: «Ecoute, le berceau de ma naissance est en flammes. Je suis ça. Tu entends la douleur dans sa voix, tu entends sa souffrance Joe. C’est là qu’arrivent les instruments à corde, soudain tout change. La musique devient pleine d’espoir et là ça change encore écoute, écoute, j’apporte le malheur à tout ce qui m’aime. Oh ! Ce solo de violoncelle. C’est au sein de ce malheur que l’amour est apparu. Une voix se leva pleine de vie. Elle dit: vis encore. Je suis la vie. Le ciel est dans tes yeux. Ne vois-tu autour de toi que poussière et malheur. Je suis la force céleste. Je suis le péché. Je suis le dieu qui vient du paradis sur la terre pour faire de la terre un paradis, car j’ai en moi l’amour, car je suis l’amour. »
Andrew qui sait qu’il est condamné mais qui parle avec poésie d’un drame historique sublimé par la musique veut nous dire par le truchement de cette escapade musicale que si le physique est enlaidi par tant de meurtrissures et de lésions hideuses, l’âme est restée intacte. Une leçon magistrale. Même face au malheur et face à la mort, on doit se délecter de la beauté de l’espoir. Joli psaume posthume. L’avocat, tout ému, voit la scène avec une grande compassion. Le jeu de lumière fait suinter une larme sur son visage. Il rejoint son domicile tout bouleversé et le son hors-champs (voix de Maria Callas) suit ses pas et couvre les gestes de tendresse pour les êtres qui lui sont chers à savoir son bébé et sa femme. Cette séquence est d’une poignante beauté. La réussite du film serait due notamment à cette séquence travaillée avec art et sensibilité. L’oscar du meilleur acteur n’était pas un cadeau mais une récompense bien méritée.
RAZAK