CINEMA, CRITIQUE ET FESTIVALS
Tout le monde sait au point que on s’étonne plus que le cinéma traverse actuellement une crise structurelle sans précédant non seulement dans les cinématographies tâtonnantes comme celles des pays du Maghreb mais aussi dans les pays évolués où les fréquentations de jadis se comptaient par dizaines de millions .Le financier s’éloignant du culturel et l’artistique est conditionné par l’économique , c’est le pragmatisme pur et dur qui , s’attaquant à tout le substrat , régule cette activité vitale. Le cinéma US a toujours su s’adapter aux situations de crise .En effet dès 1929 aux USA l’industrie du cinéma a eu un coup de frein à cause de la crise économique et de la guerre .L’avènement de la télévision a accentué cette décélération. Mais Hollywood a su maintenir sa flexibilité .Il n’ jamais cédé d’un iota de sa domination hégémonique. Les majors ,en vrais capitalistes, ont dès le départ considéré le cinéma comme une industrie et un commerce obéissant à la loi du marché .Ils n’ont jamais cru en la possibilité du subventionnement fédéral . Mais en mettant les capitaux qu’il fallait dans les projets dont la faisabilité à long terme paraissait probante un hyper cinéma a été lancé pour conquérir la monde .Les grands studios de tournage (rien à avoir avec les entrepôts de Ouarzazate) ont fait perpétuer le gigantisme des pionniers .On ne lésinait ni sur les moyens (le cinédollar voulait supplanter le pétrodollar) ni sur les compétences (star-system) malgré les menaces permanentes de récession .Le cinéma américain a résisté pour plusieurs raisons : Primo : le pays est une hyper-puissance. Il est plus fort économiquement, militairement et culturellement .Deusio : les USA détiennent le plus grand nombre de cinéphiles potentiels de la planète. (statistiquemnt les indiens sont les plus cinephiles mais les recettes ne sont pas proportionnelles ) Tercio : les impôts sont relativement moins contraignants .Il est évident que cette industrie cinématographique trouve à chaque fois un débouché. L’écrivain Zbignew Brzezinski (ancien conseiller du Président Carter) écrit dans Le Grand Echiquier l'Amérique et le reste du mond ( Bayard, 1997).) : « On décline un cocktail unique d'ingrédients dont les Etats-Unis sont, pour l'heure, les seuls à disposer : la puissance militaire et le pouvoir culturel, le Pentagone et Hollywood, le dollar et la nouvelle économie, Wall Street et la Silicon Valley, la langue et l'idéologie à la mode, l'anglais et le libéralisme économique (…)Ce mélange américain - université/recherche/entreprise/bourse attire les meilleurs étudiants du monde, il explique que les États-Unis monopolisent plus de la moitié des prix Nobel distribués chaque année. La traduction monétaire de cette conjonction de forces est un dollar fort, plus que jamais monnaie de réserve mondiale ».
La déroute des cinématographies européennes pourrait être perçues comme une sanction du pragmatismes mal exploité .Elle est perceptible à tous les nivaux de la profession (production , distribution , exploitation ) . Actuellement , la mévente de ce produit de consommation qu’est le cinéma (cinéma est l’abréviation apparue en 1900 de cinématographe 1892 issu du grec « kinema » signifiant mouvement et « graphein » : écrire ) a déstabilisé le système. Les parts du marché mondial sont détenus à hauteur de 80 % par les Nord-américains .Inutile de revenir aux statistique elles sont éloquentes à plus d’un titre .On rappellerait qu’en dix ans la fréquentation des salles de cinéma au Etats-Unis a passé de 1141 milliards d’entrées en 1991 à 1420 milliards en 2000 alors les productions nationales ne représente que 19 % des entrées en Grande Bretagne, 15, 5 % en Italie 12,5 % en Allemagne 10% en Espagne et le cinéma américain atteint des scores entre 70% et 80% dans chacun de ces pays . Des statistiques plus anciennes auguraient de la même suprématie .Ainsi aux Etats-Unis les recettes de cinéma atteignirent 1250 millions de dollars soit plus de six fois le montant des recettes du marché français . A cette époque le cinéma anglais a été le plus vulnérable il perdit 31 % de ses salles et 68% de ses spectateurs. Remontons un peu plus loin aux années vingt du XXeme siècle où la cinématographie française fut la première du monde. La guerre lui a assené un coup fatal. Il commence progressivement à perdre toute compétitivité tout comme le cinéma allemand et le cinéma italien qui en abandonnant sa Cine-Citta se retrouve orphelin. Le cinéma du tiers monde, hormis les efforts considérables déployés récemment par l’Inde pour élargir son public , en faisant valoir ses atouts, et excepté le cinéma Hongkonguais qui ne peut se concevoir sans arts martiaux le reste subit la même déroute dévastatrice , que l’on soit en Europe en Afrique ou en Asie. L’Australie fait de bons films mais la quantité ne lui permet pas de se mesurer aux américains .Au Maghreb certains continuent d’espérer un décollage alors que la mécanique est rouillée il y a belle lurette. Les africains ne sont pas mieux lotis .Entre le rêve et l’utopie les visions s’enchevêtrent .Les pragmatiques se référent à la boutade de Serge Daney ex -directeur des Cahiers de Cinéma : « Je ne parle pas de ce qu’on n’ose plus appeler le « tiers-monde » , du cinéma d'Afrique noire par exemple, parce qu il qu'il paraît évident qu'il n'y aura jamais de cinéma là-bas. Des films, oui,mais pas de cinéma ». Une bonne partie des choses qui se passent sur terre n’est plus vouée au cinéma ».
La critique et les festivals peuvent-ils redresser la situation dans ces pays touchés par le ciné-atrophie ?Il est malheureux de constater que les médiateurs de cinéma ont perdu tourte faculté de médiation entre les centres émetteurs (producteurs) et les récepteurs (le public) .Les festivals excepté quelques estrades de démonstration restées vivaces sont gangrenés par le snobisme et la sclérose .
« Aujourd’hui, les festivals de cinéma sont comme les congrès de dentistes. C’est tellement folklorique que c’en est déprimant » ironise Jean- Luc Godard .Quand aux criticailleurs de cinéma , Peter Muller leur dédie cette parodie : « Le cinéma c’est comme le foot un jeu simple compliqué par des idiots ». Soyons clairs tant que la télévision usurpe le rôle d’une salle de cinéma l’érosion de la cinéphilie sera continuelle jusqu’à la fermeture de toutes les salles de cinéma . Maintenant doit-on faire fi de la critique et de ces festivals budgétivores puisque leur inutilité est plus qu’ avérée par les temps grincheux qui courent ? Evidemment non ce serait une preuve de manque de civilité .Evidemment l’on parle des vrais critiques et non des usurpateurs plus ou moins fonctionnarisés .D’abord pour être un critique de cinéma il faut le prouver noir sur blanc .Seuls les écrits publiés dans la presse digne de ce nom ou chez des éditeurs ayant une certaine crédibilité entrent en compte .Le reste n’est qu’usurpation .Louis Delluc (1890-1924) était un vrai critique de cinéma et un réalisateur remarquable . Mort subitement à l’âge de 34 ans il a laissé une foultitude d’articles. Il a fallu plusieurs volumes pour éditer les commentaires et analyses filmiques de ce grand cinéphile. Serge Toubiana, Canudo et Serge Daney n’étaient pas des paresseux .Ils étaient très féconds .Mais critiquer un film c’est quoi au juste ?C’est l’ analyser , le disséquer et y trouver de la matière fonction du système financier qui lui a donné naissance .C’est montrer la véracité du contenant par rapport au contenu .En d’autres termes plus simples ; c’est être un cinéphile assidu et prolifique .Il serait opportun de rappeler la règle amusante du 1-2-3 qu’un analyste ludique a pu déceler à travers le foisonnement des écrits-tic de cinéma à savoir :
-1er film : On a découvert Machin , le nouveau petit génie du cinéma .
-2eme film : On vous l’avait dit : Machin est génial , il confirme avec son deuxième film.
-3eme film de Machin est un ratage .Quelle déception. Comme par hasard, c’est à ce moment là que Machin rencontre son premier succès grand public .
Le cinéma ne peut être occulté que par la critique robotique partisane ou publicitaire .Le pire c’est qu’ au Maroc les nouveautés cinématographiques sont devenus une denrée rare du fait de la baisse dramatique des fréquentations et de la fermeture de nombreuses salles de cinéma .Mais paradoxalement les festivals de cinéma essaiment la carte du pays et les publications éditées à fond perdu à l’avance voient le jour. L’une d’elles est de périodicité saisonnière et elle est sponsorisée par l’institution officielle qui régit l’activité cinématographique .Elle a été lancée dans le but nous dit-on de servir les « partenaires ».Pourrait- elle garder son indépendance vis à vis des puissants sponsors et des partenaires ? Serait-elle en mesure de dénoncer les nombreux dérapages de ceux-ci ?Rien n’est sûr , car ne dit-on pas que « celui qui paie l’orchestre signe la partition ».Le cabotinage ne fait jamais un magazine et le clientélisme lui ôte toute crédibilité .D’ailleurs des études sociologiques sérieuses ont montré que les critiques que publient les journaux européens sur les films ont une influence très limitée sur le succès ou l’échec du film .Aucun critique aussi cultivé soit-il ne peut faite échouer un film quand c’est le public qui le soutient. L’inverse est aussi vraie .Un navet reste un navet .Le matraquage publicitaire ne sert que ceux qui s’en servent. Tandis que la critique qui confond culture et embrigadement , esthétique et endoctrinement , organe de presse et tract , éthique et tactique est vouée à l’échec. Vous voulez que les choses marchent bien, alors ôter les films de la programmation télévisuelle et combattre avec fermeté le piratage. Vous verrez que la cinéphilie reprendra de plus belle .Le malheur du cinéma fiat le bonheur de la télévision .La cinéphilie meurt mais la télévision croit sans cesse .
RAZAK