Que feriez-vous si, après accouchement de votre femme, le bébé que vous attendiez impatiemment portait les rides d'un vieillard ? Feriez-vous comme le père de Benjamin qui dans la furie de la surprise, s’en débarrassa honteusement en le déposant sur les marches de l’escalier d’une demeure inconnue, ou plutôt avoir la vertu humaine de le garder comme un « bien » génétique issu de votre sang et laisser le Maktoub exécuter ce qui est écrit?
Scott Fitzgerald qui a écrit cette histoire où les aiguilles de la montre se déplacent de droite à gauche et où la notion de temps semble marcher à l’envers, présente une réflexion assez drôle , curieuse et (pourquoi pas) philosophique de cette incongrue situation. Dans la nouvelle intitulée L'Etrange histoire de Benjamin Button , le personnage principal vit une spectaculaire métamorphose physiologique. Il naquit à quatre-vingts ans mais, plus il grandissait, plus il rajeunissait. Le film que David Fincher a adapté de l’histoire surréaliste de ce nourrisson-vieillard inventée par Fitzgerald et dont la vie sert aussi à déballer les particularismes des époques traversées, est plein de flash-back. Né en 1918 à la Nouvelle Orléans, Benjamin voyageait beaucoup et se fiait toujours au hasard. Comme dans le film Titanic de James Cameron, le schéma narratif veut qu’une vieille femme ayant aimé Benjamin raconte à sa fille les péripéties de cet amour contrarié au départ, mais qui s’assombrit au moment de l’apaisement final, car la déchirure de la séparation attriste l’ambiance générale. Le mélodrame trouve toute son intensité à la fin du film où Daisy, vieillissant tient un bébé agonisant, et ce bébé n’est autre que son partenaire conjugal. Cate Blanchett (Daisy) et Brad Pitt (Benjamin) qui interprètent avec brio ce duo biologiquement discordant ont été crédibles dans le film. On eut parfois de la patience à les suivre car le récit filmique s’engouffre dans du « sur-filmé ». Ce n’est pas un chef- d’oeuvre cinématographique, mais un film plaisant qui mérite d’être vu. On en garde en mémoire cette séquence bien travaillée de l’accident. Les savants de la cinétique peuvent en approuver doctement la véracité: dans la langue arabe on parle alors de « Moussayaroune Oua La Moukhayyaroune». En effet, si dans le bouquin et dans le film le lacet de la chaussure n’a pas cassé, geste qui se répercuta sur tout un enchaînement d’événements concomitants et concourant vers la même finalité dramatique, Daisy aurait gardé intacte son aptitude à la danse et par conséquent, l’héroïne du film n’aurait peut-être pas la possibilité de revenir sur son refus vis-à-vis de Benjamin. Mais ce dernier se sachant condamné par le temps, laissa le destin faire son oeuvre. Même dans les affaires du cœur il ne se presse pas. Placidement et stoïquement, il laisse le temps au temps de parfaire son œuvre. Cette réflexion sur le hasard est toujours de mise, car nul ne sait ce qui l’attend.
RAZAK