L'or fané de l’offshore et le cinéma
2ème et dernière partie
Décidément, les paradis fiscaux n'ont rien de paradisiaque. En effet,
qui peut faire confiance à des anonymes? La confidentialité qui est la base de
tout le processus risque à tout moment d'être rompue. Mais malgré cette
carence, on se laisse aveuglément entraîner par le courant, comme une poire pas
encore mure. La cupidité règle la vitesse d'écoulement et l’égoïsme en régule
la fluidité. Au lieu de déposer l'argent dans des banques nationales en payant
les impôts sous-jacents pour avoir la conscience tranquille, on prend la voie
cabalistique qui est pleine de risques, d'écueils et de mauvaises surprises.
Depuis la nuit des temps, on sait que le cumul de l'argent déstabilise
celui qui le possède. Qui a gagné ou hérité un grand pactole et qui a peur de
le perdre d'un seul coup, accepte ce pèlerinage financier où il n'est pas
obligé d'y participer physiquement comme un pèlerin du pécule. Cette
« Route de la soie anti-fiscale » s'enchevêtre et s’étend aux quatre
points cardinaux. Les relais et les correspondants, implantés dans diverses
contrées, se chargent des connexions. Ils agissent dans la clandestinité pour
que les transactions suivent le circuit labyrinthique tracé par de
fantomatiques topographes. Ces paradis fiscaux sont convoités non seulement par
les gros trafiquants d'armes, de drogue, d’objets d’art et par les colporteurs
de pierres précieuses, mais aussi par des footballeurs que le ballon rond a
enrichis, des propriétaires de casinos, de brasseries et de grosses boites de
nuit, des chirurgiens et puis même par de hauts responsables que l'on croyait
corrects et respectueux des lois en vigueur dans leur pays respectif. Cet
offshoring monétaire peu orthodoxe ne date pas d'aujourd’hui. Autrefois, il
avait bénéficié du mutisme des médias les plus influents, dont certains patrons
n'étaient pas totalement ’’clean’’ et hors de connexion. Ils avaient leur part
du gâteau.
Du point de vue moral, c'est le blanchiment de l'argent sale et
l'évasion fiscale qui ont jeté l'opprobre sur ce mode de transaction. Les pays
émetteurs, privés de ces ressources fiscales, en souffrent rudement, puisque,
la crise économique étant à son summum, on manque de sous pour construire des
hôpitaux, des écoles et des prisons, afin de résorber les vagues montantes de
délinquants. A l’échelle mondiale, on estime à 255 milliards de dollars, les
pertes annuelles dues à l'évasion fiscale.
Vieillies et avilies, les classes politiques se contentent de regarder
législativement. Cependant, demeurés en éveil par rapport à ces gros dormeurs,
quelques journalistes débonnaires ont décidé dans un geste de défiance, de
faire le travail de ces hypnotiques ronronnant comme des chats engraissés à
outrance dans leur moelleux fauteuil de l'hémicycle de députation. Parmi les
journalistes qui, en aventuriers courageux, ont enquêté
sur cet offshoring dépravé, et cela avant qu’Internet ne soit créé, il y en
avait un qui s'appelait Hunter Thompson (1937-2005). En 1960, il avait écrit un
roman (The Rum diary) où il avait consigné le fruit de ses investigations. Le
roman ne sera publié qu’en 1998. Le héros de ce roman (Paul Kemp) avait
pris le risque de se laisser introduire au sein de la pègre de l'immobilier
touristique qui voulait faire d'une parcelle portoricaine bordant la mer une
corniche pour les nantis américains. Il avait fini par divulguer le stratagème
de ces maffieux de l'exotisme.
En hommage à Thompson, on lui a dédié un film qui porte le même titre
que le roman. Dans cette adaptation cinématographique, c’est Johnny Depp qui
réincarne Paul Kemp. Le film s'achève sur ces éloquentes paroles: ''trouve un
vent pour le porter''. Il s'agit du message de vérité que le reporter voulait
que le peuple sache.
Ainsi, si aujourd’hui certains journalistes militants reviennent à la
charge, avec fougue et détermination, c'est grâce à cet outil puissant qu'est
Internet et qui permet aux as de la cyber-informatique de fuiter les données et
databases des officines les plus hermétiques et des citadelles les plus
surveillées. Ils y ont trouvé le vent pour porter leur message. Si Thompson
était encore en vie, il serait aux avant-postes offensifs dans cette guerre
sans merci menée par des diseurs de bonnes vérités. Le journal allemand
Süddeutsche Zeitung fut un des premiers coalisés. Contrairement aux
trouillardes feuilles de choux qui font pitre figure, sa crédibilité s’en
retrouve revigorée. Mais il ne faut pas juger à la hâte, attendons voir pour
faire le tri. Il y en a qui sont encore à l’ère Gutenberg. Celle de
l’Homo-Digitalus leur fait peur.
Les Panama-Papers que l'ICIJ a jetés sur la place publique ont créé des
remous tels que, pour certains hommes publics vivant dans des démocraties
en éveil, le futur est désormais
compromis. Si Julian Assange avait remué les eaux stagnantes avec ses fameux
WikiLeaks, les récents Leaks de l'ICIJ (Panama-Papers) ont remué d'autres mares
putrides et ces feuilles panaméennes portées au gré des vents cybernétiques
feront en tomber d'autres avant le temps, puisqu’en fin de compte elles seront
arrachées à des arbres rongés par les vermines. La grande contradiction qui va
péricliter tout, c'est qu'au moment où les pauvres retraités de la fonction
publique paient l'IGR, d'autres, surpayés et disposant d'une marge de manœuvre
absolutiste s'en esquivent tout bonnement, en allant déposer, avec la fierté
ultranationaliste, leur magot ailleurs. Ce qui inquiète et indispose à la fois,
c'est que les personnalités publiques impliquées dans cette cabale de devises
fortes, et qui sont censées donner l'exemple aux autres en matière de
régularité et d'assiduité fiscale préfèrent les évadés fiscaux aux bons
contribuables. Du coup, ils tombent en disgrâce et on doute sur leur bonne foi.
Étourdis par ce qu'ils possèdent, ils ne savent pas que les frais de dossier et
la commission dépassent de loin les prélèvements fiscaux préconisés par le
règlement en vigueur dans leur pays respectif. Ce jeu de divertissement finira
dans les larmes, parce qu’il porte en son sein les germes de la
perversité. Pour se défendre, ils accusent la CIA de cette fuite de
données et du tollé médiatique qu’il a engendré. Mais ils n’expliquent pas
comment ils ont pu amasser de telles fortunes, ni pourquoi ils cherchent à les
cacher ailleurs. Tout le monde sait que pour réussir il faut tricher. Les
honnêtes hommes meurent dans l’austérité. C’est le constat amer de cette absurde
chienne de vie.
Pour le cinéma, ce sera un gage de réussite. N’oublions que là où la
CIA met le nez, il y a du suspense et une odeur répugnante à
renifler.
Qui a dit que l'argent n'a pas d'odeur? Celle qu'il a laissée après la
divulgation des Panama-Papers est d'une puanteur nauséabonde. Après le Panama,
à qui sera le prochain tour, au sein de la nébuleuse des Eldorados de
l’oseille où les milliardaires en devises fortes ne font rien comme les autres
?
RAZAK