Saturday, February 10, 2018

INTERVIEW DE RAZAK JOURNAL L'OPINION


RAZAK : Pour  plus de tolérance et de rationalité

Razak est l’auteur de plusieurs livres. Il est aussi l’initiateur du Prix International de l’Humour (Bouzghiba-Awards) dont le 13e    trophée  est revenu à Leïla Slimani, qui  rejoint la pléiade des artistes auréolés avant elle : Peter Brook (BA- 2016), Ennio Morricone (BA-2015) ,  Plantu (BA- 2014) , Ahmed Fouad Najm (BA-2012) ,  Dérib (BA-2010)  , Larbi Sebbane ( BA-2009), Yimmou Zhang (BA-2008) , Theo Jansen (BA-2007)  et  Patricia Piccinini  (2005).          

-Q : Vous êtes un artiste-peintre dans le vrai sens du terme et un des rares poètes marocains dont le recueil a été publié au Canada. A  Montréal, on vous a consacré un programme radiophonique de trois émissions de 27 minutes chacune. Ces « Confidences littéraires » ont été animées par de grands professeurs de littérature de l’Université du Québec. Vous avez publié en France 4 livres et tout récemment vous avez reçu le contrat  d’édition pour votre dernier roman « Ok, on  ira voir ta sœur ! »  Parlez-nous de tout cela ?

-R: C’est rien par rapport  à ce  que je voudrais atteindre. Je ne suis qu’à mon dixième ouvrage. Certains en ont publié une trentaine. Je leur dit bravo ! Car vu la crise aigüe dans laquelle le monde de l’édition se débat aujourd’hui, c’est une gageur teintée de folie, que de persévérer dans une atmosphère aride et sèche. On ne lit pas. Oh si, on lit, et même avec une attention accrue, les factures de la régie de distribution d’eau et d’électricité  et puis les programmes du PMU. Revenons aux choses sérieuses,  ce qui me chagrine le plus, ce n’est pas la rareté des lecteurs, mais c’est de ne pas trouver le bon réalisateur pour mes   trois pièces de théâtre dont « Doyouf Socrate » ( les Hôtes de Socrate) est une pièce maitresse. « Le mur », une  dramaturgie écrite  il y a quatre ans,  est dédiée au personnage Bouzghiba. Elle attend, elle aussi, l’occasion de faire vibrer les planches. Vous parlez de suggestions, à quoi bon, puisque personne ne donne suite à nos remarques constructives, à notre courrier  et à nos projets?  Pis, on nous vole nos idées en nous  remplissant  de dépit et d’amertume. Le Montmartre de Rabat, c’était mon idée. C’était  moi qui l’avais suggérée au maire ’’socialiste ’’ Oulalou. Une copie du dossier avait  été remise  au bureau d’ordre du Ministère de la Culture, pour prendre ce dernier à témoin. Je ne sais pas comment une association régionale  s’en est emparé,  en m’éjectant  de vile manière. Le « Ferrovi-ART » consistant à montrer des expositions de tableaux dans les gares nouvellement rénovées, c’était aussi mon projet. Je garde toujours un double des demandes formulées. Les festivals de jazz-gnaouas  sont une réplique de notre « Festignaw ». Ce dernier projet est déposé à la Bibliothèque Nationale, au même titre que  « Rue-Art », cette plateforme de créativité est destinée aux enfants de la rue. Enfin, les « Haïkus Picturaux » sont une création purement razakienne. Vu le succès remporté par l’expo de Safi,  on est  entrain de plagier l’auteur, au vu et au su de tout un chacun. Les gens qui ont été réunis à Ifrane par une association savent de quoi je parle.  Elle aurait paru plus crédible, si vis-à-vis de l’Histoire, elle avait eu le reflexe salutaire de  rendre  à César  ce qui appartient à César. Maintenant, tout le monde se dit peintre-haïkiste.  On en a marre du plagiat, de l’affairisme rentier et du dialogue de sourds. Tout récemment on a constitué un comité de candidature pour l’organisation du Mondial-2026. On y trouve des ministres mais pas d’artistes. L’avatar moderniste Bouzghiba et son géniteur pourraient apporter leur pierre à l’édifice, puisque le trophée-2013 était revenu au sport footballistique et que le trophée avait été envoyé à la FIFA  à titre honorifique. A l’époque, de nombreux journaux avaient publié texto la lettre de remerciement émanant de son ex-président. On  en a marre du  bicéphalisme et du double langage. On entend  souvent nos officiels dire: « ceci est  l’affaire de tout le monde, cela concerne tous les citoyens », mais quand on  s’approche de la chose,  on découvre que c’est l’individualisme hautain qui prime et que l’exclusion est une règle de conduite. Une messe footballistique de cette envergure,   n’est pas l’apanage que des commis d’Etat, car ils ont un tas de dossiers en instance qui attendent leur traitement et leur signature,  les anciens joueurs internationaux  et puis les artistes  ont leur mot à dire. La bonne gouvernance commence par l’élimination de ce flagrant quiproquo. Si l’hommage canadien m’avait  ravi, la myopie et le dirigisme  inhibiteur de notre système audiovisuel et puis le bicéphalisme  de l’agence officielle de  presse nous ont déçu. On a couvert deux éditions et passé sous silence les autres. N’est-ce  pas discriminatoire et symptomatique ? Si nous avions sollicité le patronage de qui vous savez, on aurait couru comme des forcenés, pour ne pas rater l’événement culturel, que nous créons, chaque année, sans l’aide d’aucune institution ni publique, ni privée. Les caméras tv nous auraient aveuglé avec leurs flashs. Hélas, on vit dans le pays  natal comme des étrangers, sachant que les étrangers vivent mieux que nous. Ainsi, bien que ces entités  soient de service publique, leur directeur se comporte comme si c’était un bien hérité, ou une  possession léguée par les aïeux. Revenons au plagiat dont la victimisation, les vicissitudes  et  les répercussions néfastes  vont crescendo. La  seule chose que l’on n’a pas pu plagier est le prix Bouzghiba, car le concept est verrouillé solidement par ses deux caractéristiques fondamentales: picturale et bibliographique.  Il faut être un peintre et un écrivain pour superviser un tel prix. Un tableau de peinture vaut mieux que  mille trophées fabriqués avec de la matière précieuse. L’on se demande si on a  la subtilité de visualiser cette grande exposition universelle que l’on est entrain de constituer au fil des éditions. Une galerie  d’art interplanétaire qui n’a pas de  murs et de frontières. Si on remplace les tableaux par des statuettes muettes, cela deviendra figé. Ça ne donnera pas le même effet. Le livre monographique vient pour perpétuer  l’historiographie des verdicts. Ce sont ces deux précieuses caractéristiques qui distinguent notre prix transculturel des autres prix lucratifs, dont certains sont devenus caricaturaux et insipides,  à cause de la perversité qu’ils génèrent. Quant aux prix qu’organisent les ambassades étrangères, ce  sont des prix politiques, car la diplomatie, c’est de la politique déguisée en femme  courtoise. Mais malgré le déguisement rieur, on devine aisément l’objectif visé.

-Q : Sans vous flatter on suit avec intérêt les exploits de votre héros Bouzghiba et tous vos récits humoristiques qui font allusion aux travers de toute société en voie d’émancipation. Quelles sont vos reproches ou suggestions pour une vision  future susceptible de garantir  l’épanouissement de notre société ?

-R : Il faut plus de tolérance et de rationalité. L’entreprise n’est pas aisée. Mais toute chose à un début et il serait salutaire de s’y atteler  avec vigueur et détermination , pour se  débarrasser de l’occultisme  et le passéisme  inhibiteur où il s’abreuve , en  ligotant le présent et le futur  avec des concepts  éculés et surannés qui nuisent  à la modernité à laquelle  aspire le pays. On n’a pas auréolé Leila  Slimani pour ses écrits, parce qu’ils n’ont rien d’extraordinaire, mais pour l’incompréhension  comique que ses prises de positions ont suscitée. Certes, la phase    le monde s’est engagé  n’incite guère à l’optimisme, mais on doit faire montre de beaucoup de souplesse, d’efficacité, de continence et de transparence dans la gestion des rouages. Les extrémismes attisent  les dualismes les plus féroces. L’apparition de nouveaux phénomènes négatifs ne favorisent pas l’émergence de telles vertus. Mais la fuite vers l’avant ne peut mener qu’au désastre. Recrudescence du néolibéralisme, la montée en flèche des nationalismes guerriers, comme aux temps des croisades. Le capitalisme sauvage reprend du poil de la bête,  en exhibant ses crocs acérés et ses griffes de prédateur. Ainsi, comme dit avec rage,  Pierre le personnage principal de mon roman que vous avez cité : « Nous avons tous cette ’’religion biologique’’ sans prophète,  imprimée dans les gènes. Mais en plus de cette religion biologique,  il y a un autre sacrement que tout le monde commence à suivre  maintenant, il s’appelle : ’’le matérialisme’’. Cette religion ’’new-age’’ a ses sanctuaires, ses cathédrales, ses rites, son Vatican et son pape. Les actionnaires des multinationales  en sont les apôtres. Ils sont les propagateurs de la foi capitaliste. Les prolétaires Marxisés en sont les hérétiques. La Banque Mondiale en est sa plus grande paroisse, mais après la messe on ne dit pas : ’’Amen’’, mais ’’Money, Money’’. Les chantres du capitalisme sauvage  glorifient un univers plein de douilles et de rouilles où, hélas, les prix parlent plus fort que les valeurs humaines. Notre époque jugée folle et décadente par les philosophes éclairés, va vers sa négation.  »

-Q : Vous semblez  obnubilé par ce qui se passe dans le monde ?   

-R : Comment ne pas s’offusquer de voir des docteurs en sciences exactes se comporter comme des  chantres de l’occultisme ?  Ils ont remplacé le déterminisme scientifique par l’ésotérisme , le charlatanisme et la superstition. N’est-ce pas décadent ? L’avatar Bouzghiba et son géniteur ont trop souffert de ces voltefaces et ces transfuges de la science. Je suis ulcéré comme le personnage de fiction Pierre. Ce soixante-huitard repenti ne mâche pas ses mots, quand il se demande : « Pourquoi on réclame la paix, mais en même temps, on vend des armes aux antagonistes qui s’affrontent sauvagement ? Pourquoi nous utilisons la langue de bois, quand celle du cœur est plus réconfortante, sécurisante et plus apaisante ? »

Propos recueillis par  S.A. Bakkali




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