RAZAK :
Pour plus de tolérance et de rationalité
Razak
est l’auteur de plusieurs livres. Il est aussi
l’initiateur du Prix International de l’Humour (Bouzghiba-Awards) dont le 13e
trophée est revenu à Leïla Slimani, qui rejoint la pléiade des artistes auréolés
avant elle : Peter Brook (BA- 2016), Ennio Morricone (BA-2015) , Plantu (BA- 2014) , Ahmed Fouad Najm
(BA-2012) , Dérib (BA-2010) , Larbi Sebbane ( BA-2009), Yimmou Zhang
(BA-2008) , Theo Jansen (BA-2007) et
Patricia Piccinini (2005).
-Q :
Vous êtes un artiste-peintre dans le vrai sens du terme et un des rares poètes
marocains dont le recueil a été publié au Canada. A Montréal, on vous a consacré un programme radiophonique
de trois émissions de 27 minutes chacune. Ces « Confidences littéraires »
ont été animées par de grands professeurs de littérature de l’Université du
Québec. Vous avez publié en France 4 livres et tout récemment vous avez reçu le
contrat d’édition pour votre dernier
roman « Ok, on ira voir ta sœur ! »
Parlez-nous de tout cela ?
-R: C’est
rien par rapport à ce que je voudrais atteindre. Je ne suis qu’à
mon dixième ouvrage. Certains en ont publié une trentaine. Je leur dit bravo !
Car vu la crise aigüe dans laquelle le monde de l’édition se débat aujourd’hui,
c’est une gageur teintée de folie, que de persévérer dans une atmosphère aride
et sèche. On ne lit pas. Oh si, on lit, et même avec une attention accrue, les
factures de la régie de distribution d’eau et d’électricité et puis les programmes du PMU. Revenons aux
choses sérieuses, ce qui me chagrine le
plus, ce n’est pas la rareté des lecteurs, mais c’est de ne pas trouver le bon réalisateur
pour mes trois pièces de théâtre dont « Doyouf
Socrate » ( les Hôtes de Socrate) est une pièce maitresse. « Le
mur », une dramaturgie écrite il y a quatre ans, est dédiée au personnage Bouzghiba. Elle
attend, elle aussi, l’occasion de faire vibrer les planches. Vous parlez de
suggestions, à quoi bon, puisque personne ne donne suite à nos remarques constructives,
à notre courrier et à nos projets? Pis, on nous vole nos idées en nous remplissant de dépit et d’amertume. Le Montmartre de Rabat,
c’était mon idée. C’était moi qui l’avais
suggérée au maire ’’socialiste ’’ Oulalou. Une copie du dossier avait été remise
au bureau d’ordre du Ministère de la Culture, pour prendre ce dernier à
témoin. Je ne sais pas comment une association régionale s’en est emparé, en m’éjectant de vile manière. Le « Ferrovi-ART » consistant
à montrer des expositions de tableaux dans les gares nouvellement rénovées, c’était
aussi mon projet. Je garde toujours un double des demandes formulées. Les
festivals de jazz-gnaouas sont une réplique
de notre « Festignaw ». Ce dernier projet est déposé à la Bibliothèque
Nationale, au même titre que « Rue-Art »,
cette plateforme de créativité est destinée aux enfants de la rue. Enfin, les « Haïkus
Picturaux » sont une création purement razakienne. Vu le succès remporté
par l’expo de Safi, on est entrain de plagier l’auteur, au vu et au su
de tout un chacun. Les gens qui ont été réunis à Ifrane par une association
savent de quoi je parle. Elle aurait
paru plus crédible, si vis-à-vis de l’Histoire, elle avait eu le reflexe salutaire
de rendre à César
ce qui appartient à César. Maintenant, tout le monde se dit
peintre-haïkiste. On en a marre du plagiat,
de l’affairisme rentier et du dialogue de sourds. Tout récemment on a constitué
un comité de candidature pour l’organisation du Mondial-2026. On y trouve des
ministres mais pas d’artistes. L’avatar moderniste Bouzghiba et son géniteur
pourraient apporter leur pierre à l’édifice, puisque le trophée-2013 était
revenu au sport footballistique et que le trophée avait été envoyé à la FIFA à titre honorifique. A l’époque, de nombreux
journaux avaient publié texto la lettre de remerciement émanant de son ex-président.
On en a marre du bicéphalisme et du double langage. On
entend souvent nos officiels dire:
« ceci est l’affaire de tout le
monde, cela concerne tous les citoyens », mais quand on s’approche de la chose, on découvre que c’est l’individualisme hautain
qui prime et que l’exclusion est une règle de conduite. Une messe
footballistique de cette envergure, n’est pas l’apanage que des commis d’Etat, car
ils ont un tas de dossiers en instance qui attendent leur traitement et leur signature, les anciens joueurs internationaux et puis les artistes ont leur mot à dire. La bonne gouvernance
commence par l’élimination de ce flagrant quiproquo. Si l’hommage canadien
m’avait ravi, la myopie et le dirigisme inhibiteur de notre système audiovisuel et puis
le bicéphalisme de l’agence officielle
de presse nous ont déçu. On a couvert
deux éditions et passé sous silence les autres. N’est-ce pas discriminatoire et symptomatique ? Si
nous avions sollicité le patronage de qui vous savez, on aurait couru comme des
forcenés, pour ne pas rater l’événement culturel, que nous créons, chaque année,
sans l’aide d’aucune institution ni publique, ni privée. Les caméras tv nous
auraient aveuglé avec leurs flashs. Hélas, on vit dans le pays natal comme des étrangers, sachant que les
étrangers vivent mieux que nous. Ainsi, bien que ces entités soient de service publique, leur directeur se
comporte comme si c’était un bien hérité, ou une possession léguée par les aïeux. Revenons au
plagiat dont la victimisation, les vicissitudes et les
répercussions néfastes vont crescendo.
La seule chose que l’on n’a pas pu
plagier est le prix Bouzghiba, car le concept est verrouillé solidement par ses
deux caractéristiques fondamentales: picturale et bibliographique. Il faut être un peintre et un écrivain pour
superviser un tel prix. Un tableau de peinture vaut mieux que mille trophées fabriqués avec de la matière
précieuse. L’on se demande si on a la
subtilité de visualiser cette grande exposition universelle que l’on est
entrain de constituer au fil des éditions. Une galerie d’art interplanétaire qui n’a pas de murs et de frontières. Si on remplace
les tableaux par des statuettes muettes, cela deviendra figé. Ça ne donnera pas
le même effet. Le livre monographique vient pour perpétuer l’historiographie des verdicts. Ce sont ces
deux précieuses caractéristiques qui distinguent notre prix transculturel des
autres prix lucratifs, dont certains sont devenus caricaturaux et insipides, à cause de la perversité qu’ils génèrent. Quant
aux prix qu’organisent les ambassades étrangères, ce sont des prix politiques, car la diplomatie, c’est
de la politique déguisée en femme
courtoise. Mais malgré le déguisement rieur, on devine aisément l’objectif
visé.
-Q :
Sans vous flatter on suit avec intérêt les exploits de votre héros Bouzghiba et
tous vos récits humoristiques qui font allusion aux travers de toute société en
voie d’émancipation. Quelles sont vos reproches ou suggestions pour une
vision future susceptible de garantir l’épanouissement de notre société ?
-R :
Il faut plus de tolérance et de rationalité. L’entreprise n’est pas aisée. Mais
toute chose à un début et il serait salutaire de s’y atteler avec vigueur et détermination , pour
se débarrasser de l’occultisme et le passéisme inhibiteur où il s’abreuve , en ligotant le présent et le futur avec des concepts éculés et surannés qui nuisent à la modernité à laquelle aspire le pays. On n’a pas auréolé Leila Slimani pour ses écrits, parce qu’ils n’ont
rien d’extraordinaire, mais pour l’incompréhension comique que ses prises de positions ont suscitée.
Certes, la phase où le monde s’est engagé n’incite guère à l’optimisme, mais on doit
faire montre de beaucoup de souplesse, d’efficacité, de continence et de
transparence dans la gestion des rouages. Les extrémismes attisent les dualismes les plus féroces. L’apparition
de nouveaux phénomènes négatifs ne favorisent pas l’émergence de telles vertus.
Mais la fuite vers l’avant ne peut mener qu’au désastre. Recrudescence du
néolibéralisme, la montée en flèche des nationalismes guerriers, comme aux
temps des croisades. Le capitalisme sauvage reprend du poil de la bête, en exhibant ses crocs acérés et ses griffes
de prédateur. Ainsi, comme dit avec rage,
Pierre le personnage principal de mon roman que vous avez cité : « Nous
avons tous cette ’’religion biologique’’ sans prophète, imprimée dans les gènes. Mais en plus de
cette religion biologique, il y a un
autre sacrement que tout le monde commence à suivre maintenant, il s’appelle : ’’le matérialisme’’.
Cette religion ’’new-age’’ a ses sanctuaires, ses cathédrales, ses rites, son
Vatican et son pape. Les actionnaires des multinationales en sont les apôtres. Ils sont les
propagateurs de la foi capitaliste. Les prolétaires Marxisés en sont les hérétiques.
La Banque Mondiale en est sa plus grande paroisse, mais après la messe on ne
dit pas : ’’Amen’’, mais ’’Money, Money’’. Les chantres du capitalisme
sauvage glorifient un univers plein de
douilles et de rouilles où, hélas, les prix parlent plus fort que les valeurs
humaines. Notre époque jugée folle et décadente par les philosophes éclairés,
va vers sa négation. »
-Q : Vous semblez obnubilé par ce qui se passe dans le
monde ?
-R : Comment ne pas
s’offusquer de voir des docteurs en sciences exactes se comporter comme
des chantres de l’occultisme ? Ils ont remplacé le déterminisme scientifique
par l’ésotérisme , le charlatanisme et la superstition. N’est-ce pas
décadent ? L’avatar Bouzghiba et son géniteur ont trop souffert de ces voltefaces
et ces transfuges de la science. Je suis ulcéré comme le personnage de fiction
Pierre. Ce soixante-huitard repenti ne mâche pas ses mots, quand il se
demande : « Pourquoi on réclame la paix, mais en même temps, on
vend des armes aux antagonistes qui s’affrontent sauvagement ? Pourquoi
nous utilisons la langue de bois, quand celle du cœur est plus réconfortante,
sécurisante et plus apaisante ? »
Propos recueillis par S.A. Bakkali
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