Tuesday, January 16, 2024

Le système éducatif dans le roman ''Le Pyjama du pauvre'' de RAZAK

 

Feuillet littéraire tiré du roman ’’Le Pyjama du pauvre’’ paru en France (2018).   On y évoque le système éducatif. Le narrateur est un interne des années 70.  

 

 

« Quel rapport y avait-il entre le baccalauréat et le pyjama ? », je m’étais toujours posé cette question, peut-être stupide, mais ayant développé la manie de m’autoanalyser, je voulais éplucher davantage ce qu’il y avait derrière l’écorce et le vernis des choses.

« Les mots ne viennent jamais par hasard. Quelque chose d’insaisissable les motive », m’étais-je dit avec la perméabilité du jeune universitaire, ébloui par les lumières du structuralisme. Ayant développé l’esprit critique, je voulais régler cette question restée en suspens, depuis le secondaire. Pour bien m’autoanalyser, je répétais plusieurs fois la question : « Quel rapport y avait-il entre le baccalauréat et le pyjama ? ». A la énième interrogation, une bribe de réponse se profilait dans mon esprit : « ils voulaient que nous dormions dans le pyjama du système, afin d’espionner nos rêves ».

Non, c’était trop enchevêtré. Ce pyjama gouvernemental n’était pas sur mesure ; et qu’entre le tissu et le cerveau, il y avait un no man’s land qu’on ne pouvait pas franchir. Par conséquent, cette folle tentative descriptiviste serait vouée à l’échec. J’avais répété encore une autre fois le même exercice interrogatif, en creusant davantage les méninges et en fouillant dans le grouillant conglomérat des superlatifs :

« Penseraient-ils qu’en portant le même pyjama, on aurait le même rêve ; et qu’en ayant le même rêve, ils allaient enfin dompter nos esprits et nous contraindre, par le contrôle rigoureux de notre onirologie, à accepter tout ce qu’ils nous dicteraient ? »

Non, c’était trop savant, pour des fonctionnaires dogmatiques et intellectuellement bornés.

« Enfin, testons la voie qui mène à l’excitabilité des cellules nerveuses et leur dépendance vis-à-vis du sommeil : Est-ce que le pyjama aidait à dormir, pour calmer les nerfs et inhiber la réactivité revendicative ? », m’étais-je interrogé de manière sécante.

Ceux qui n’étaient pas passés par l’internat, ne serait-ce que pour une courte durée, pourraient dire hâtivement : « oui ». Mais les contre-exemples qui confirmaient la négation pullulaient. Même avec les pyjamas de luxe, rien n’était garanti. Se coucher élégamment, ne voudrait pas dire, forcement, retrouver le sommeil rapidement et faire de beaux rêves. J’avais vu des insomniaques bien « pyjamantés » du cou jusqu’aux orteils, qui donneraient ce qu’ils avaient de précieux pour retrouver un court somme.

Pendant le sommeil, beaucoup d’internes déliraient bruyamment. Il pouvait se passer des phénomènes étranges. J’en avais vu un de mes propres yeux. Ayant bu beaucoup d’eau, je m’étais réveillé au milieu de la nuit, pour aller aux toilettes. En entrant dans la salle d’hygiène, qui était collée au dortoir, je voyais un somnambule qui marchait les yeux fermés ; et même en essayant de le réveiller en douceur, il était resté dans son état somnambulique. Et je me demandais comment il avait fait pour rejoindre dans l’obscurité, d’abord son box, ensuite son lit, sans se tromper d’adresse et puis, un fait étrange, sans quitter son état de « dormeur éveillé ». Le lendemain, quand j’avais raconté aux copains, ce que j’avais vu la veille, on ne m’avait pas cru. On me prenait pour un halluciné. Son pyjama semblait d’une créature fantomatique. Plus tard, quand j’avais commencé à lire des revues de parapsychologie, j’avais trouvé une bribe de réponse à ce phénomène bizarroïde. Parmi les histoires dramatiques qui étaient arrivées à des somnambules et qu’une de ces revues spécialisées racontait, il y avait celle d’un bûcheron qui, assimilant sa femme à un arbre, il s’était mis à la tronçonner, avec sa tranchante hache. Soudain, le visage effacé du somnambule de l’internat resurgissait devant moi. On avait frôlé le désastre. Comme il était assez costaud, on pourrait craindre le pire. Il y aurait des morts par strangulation ou par asphyxie, si le somnambule pacifique imitait, dans son état second, le bûcheron. Dans de telles situations, la neutralité du pyjama serait à plaindre. Elle en ferait un complice, puisqu’il imitait les gestes du somnambule. L’intransigeance des maîtres d’internat serait due à l’idée maléfique qu’ils se faisaient de certains élèves. Chaque nuit, ils se disaient avec angoisse : « que va-t-il se passer ? ».

Beaucoup de gens avaient fantasmé sur l’internat, comme univers singulier. Ils avaient longuement disserté avec des expressions bien recherchées, entre le propos didactique et le documentaire, sur les nuits qu’on y passait. Mais le point de vue de quelqu’un qui était passé par là, était différent de celui ou de celle qui voyait les choses du dehors. Il fallait être dedans, pour paraître crédible. Signalons que les internats n’étaient pas tous les mêmes. Ça changeait d’un pays à l’autre. Le nôtre était copié texto de France. 

Ainsi, après moult réflexions tourbillonnantes, j’en étais arrivé à la constatation suivante : « le pyjama est un moule, qui en cas de décès, il devient linceul. D’ailleurs, ne dit-on pas parfois qu’Untel est mort dans son pyjama ? »

Pour pouvoir décrocher le bac, nous devions d’abord porter cet uniforme, comme un archétypique signe de formatage conformiste. Ils voulaient que notre vie coïncidât avec une certaine conception formaliste, mais les mieux positionnés, étaient ceux qui manipulaient, dans les coulisses, les choses et non ceux qui en étaient manipulés. Le point de vue personnel, que j’avais consciencieusement laissé mûrir, en tant qu’ex-interne, tenait compte aussi bien du pour que du contre. Comme synthèse, j’en avais déduit, que les études réunissaient deux modes de vie, certes corrélatifs, mais distincts, notamment quand on les voyait sous l’angle végétatif, lié aux conditions vitales. La permutation était possible, mais cela pourrait changer la donne : l’interne, débarrassé de l’omniprésent « œil qui juge », retrouverait une liberté relative, mais l’externe, en arpentant le chemin épineux inverse, verrait les cercles de la flaque marécageuse se concentrer autour de lui, dans le but de lui ôter son indépendance et de le conditionner.

L’enseignement biparti ainsi élaboré, d’abord entre filles et garçons, dans les collèges mixtes, ensuite entre internes et externes, pourrait créer une émulation, entraînant une probable amélioration des résultats scolaires, mais c’est au niveau des affects de l’instinctivité subliminale et objectale, que les traits distinctifs se jaugeront. Il serait temps de le dire : le référentiel, d’où on avait puisé les méthodes éducatives, n’était pas un référentiel de la bonne humeur, mais un référentiel de la contrainte, de la peur et du travail forcé, basé sur la réprimande. C’était un référentiel au service de la rigueur disciplinaire et non de l’épanouissement de l’être. Dans les Medersa de jadis et les couvents médiévaux, on retrouvait la même rigueur, la même atmosphère d’austérité, de privations et de refoulement. 

 

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