Thursday, July 03, 2008

Griffith et le flash-back productif


En inventant le flash-back, David Wark Griffith a enrichi le vocabulaire cinématographique. Le retour en arrière vers des situations antérieures (ex: la période d’adolescence pour un protagoniste âgé) peut apporter des éclairages pour la compréhension de l’histoire du film. Il importe de signaler à ce sujet que dans cette fragmentation du récit l’explicatif prédomine. Le flash-back est d'une sémantique élèmentaire mais complémentaire .
Mais comment distinguer les séquences de flash-back des autres séquences du film, sachant que dans les films il n’y ni passé composé ni passé simple et que ce qui compte c’est le présent et puis sachant aussi que ce présent obéit à une graduation métrologique spécifique , car l’’unité du temps dans le film est généralement plus grande que celle qu’on a conventionnellement sur la montre? En d’autres termes comment insérer le passé dans le présent sachant que ce passé (comme nous venons de le dire) n’existe pas dans la narration cinématographique ?
Il y’a plusieurs précédés et astuces pour réaliser le flash-back. Le plus usuel consiste à changer la tonalité chromatique de la pellicule, de la couleur au noir et blanc. Les exemples abondent. Les hindous utilisent fréquemment ce procédé qui est simple à réaliser. Il suffit d’ajouter à la camera un translucide coloré et le tour est joué. Dans le film Dil to Pagal Hai la séquence de flash-back sur la vie antérieure de l’héroïne (Maya interprété par Madhuri Dixit) montre un couple qui récupère une petite fille délaissée. Inséré de cette manière dans la trame du récit , cela augmente le pathos du film.
On peut se servir aussi des costumes, des particularités des espaces et des objets. Le fondu-enchainé et les sons hors-champs peuvent effectuer la même tâche. Mais il faut faire attention car la moindre gaffe pourrait gâcher tout. Il faut avoir de la maestria pour maitriser cette rupture dans la continuité. Les longueurs et langueurs excessives nuisent à la succession narrative et au suspense du récit. Certains types de raccords (regard, mouvements, couleurs, …) donnent le signal à ce retour en arrière qui brise la linéarité chronologique. Un gros plan sur un ventilateur et voila l’hélice d’un hélicoptère qui atterrit et l’autre narration se poursuit. Ce raccord dans le mouvement assure la transition .
Le flash-back est affaire de temps or comme le temps de la fiction diffère du temps réel on plonge complètement dans le relatif-subjectif. Il subit une sorte de cascade que certaines têtes pensantes appellent déchronologie. Il retrouve sa linéarité initiale juste à la fin du flash-back. Il arrive que tout le film soit basé sur un flash-back. Ainsi dans le film Veer Zaara de Yash Chopra un prisonnier raconte ce qui lui est arrivé avant l’emprisonnement. Il en est de même pour le film Millionnaire malgré lui d’Andrew Bergman avec Bridget Fonda et Nicolas Cage. Un narrateur (un clochard) nous raconte l'histoire d'un policier et une serveuse de café unis par un billet de lotto portant les numéros exacts . Dans certains films, l’histoire commence par la fin, on enterre l’héros mais c’est a travers le flash-back que nous découvrons son passé. Dans le film Citizen Kane de O.Welles les flash-back constituant le puzzle sont dichotomiques et leur complémentarité permet au spectateur de comprendre la nature du personnage principal.
Le recours au flash-back en tant que forme discursive se greffant au socle narratif a vu le jour en littérature avant l'avènement du cinématographe . Les flash-back balzaciens sont parmi les mieux construits. Gustave Flaubert s’en est servi pour peaufiner ses romans notamment Madame Bovary.

Griffith en a usé en tant que praticien et il y était parvenu grâce à son ingénieux instinct. Tandis que les théoriciens du flash-back n'ont commencé à développer leurs rechrches qu'après sa mort . Des instituts de cinéma en ont donné un aperçu aux apprenants via leurs cursus et par l'analyse de nombreux films où cette technique a été appliquée. Après Griffith , des réalisateurs aussi talentueux qu’entreprenants comme Murnau , Fritz Lang, Béla Balázs, Karl Freund, Lubitsch et Robert Wiene ont développé la technique du flash-back .Et l’on voit aujourd’hui après un siècle et une décennie de cinéma que le tout le monde y fait recours car cette stratification dans le temps cinématographique est devenue un ingrédient esthétique. Le duel final entre Henri Fonda et Charles Bronson dans le film de Sergio Leone a eu toute son intensité grâce au flash-back relatif à la pendaison. L’harmonica placé entre les mâchoires de l’enfant est devenu un élément mnémonique justifiant la mort par vengeance de celui qui a tué son père.
Griffith avait vu juste. Il fallait bousculer la linéarité pour qu’à travers les segments insérés on fortifie et enrichit la cohérence du récit filmique. Ce pionnier qui fut un des premiers à tourner ses films à Hollywood a eu une fin de parcours tragique. Ses meilleurs films datent de l’époque du muet. Il a réalisé plus de 400 films dont les deux pièces maitresses The Birth of a Nation (1915) et Intolérance (1916). Il mourut comme le compositeur autrichien Mozart fauché et oublié. Ce n’est qu’après que l’on se rendit compte de l’immensité de son apport. Aujourd’hui, on se sent soulagé de savoir que certaines rues californiennes portent son nom et qu'un timbre postal est imprimé à son effigie.
RAZAK

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