Au Maroc, on ne lit pas. C’est un fait avéré. Tous les professionnels du livre le disent. Pour être précis, l’on dirait qu’on ne lit pas les œuvres de fiction et les créations poétiques, bien que les aïeux en soient si gourmands et si friands. Les fameuses Muâllakat témoignaient de cet engouement pour la rime. La plupart de nos écrivains d’expression française se sont fait connaître à l’étranger. Il y en a qui sont toujours proscrits des programmes d’enseignement comme Mohamed Choukri ou récemment réhabilités comme Khair-eddine.
«On ne lit pas parce qu’on a un fort taux d’analphabétisme» ainsi argumentent certains sans cacher leur pessimisme. D’autres rattachent cette négativité à notre nature comportementale ambivalente. On gaspille de l’argent dans l’achat de futilités et on se montre avare dès qu’il s’agit de livres. Curieuse attitude de la part d’une peuplade dite du verbe et dont un des premiers préceptes catéchistes conseille de lire et d’aller jusqu’au bout du monde pour se ressourcer et recueillir la connaissance.
Humoristiquement et au risque de contrarier les réfractaires l’on dirait que les marocains lisent beaucoup. Il suffit de regarder autour de soi pour s’en convaincre. Ils lisent les programmes du PMU et les factures mensuelles de consommation Eau et Electricité. A noter aussi que les lecteurs hippiques semblent plus concentrés et plus engagés (financièrement cela s’entend). Ce sont des lecteurs potentiels et si dévoués à la cause, puisque après la lecture, ils passent au guichet pour valider leurs pronostics.
Revenons aux choses sérieuses pour dire que l’édition au Maroc est actuellement en état de crise. Les puristes pensent qu’elle est à l’agonie. La littérature doit-elle subir le même sort ? Si les livres scolaires sauvent certaines maisons d’édition d’une véritable faillite, la diffusion des œuvres littéraires est confrontée à des aléas insurmontables. Pas la peine d’être Pierre Bourdieu pour en faire le constat sociologique. Ainsi, constatant de visu la débâcle et ses vicissitudes, les quelques rescapés de l’édition «classique» se retrouvent aujourd’hui devant un dilemme. De deux alternatives l’une: soit ils mettent un peu d’eau dans leur cuvée pour subsister, soit ils continuent à d’éditer des livres à fond perdu jusqu’à leur prévisible négation. Il importe de signaler que ceux qui ont fléchi pour éviter la cassure l’ont fait au détriment de leur crédibilité. Petit à petit, ils se sont transformés en intermédiaires d’imprimerie. C’est pour cela que les éditeurs agonisent, mais les imprimeurs prolifèrent et prospèrent. Ce qui est paradoxal, c’est que malgré la crise structurelle que traverse le secteur de l’édition, le nombre des auteurs ne cesse de croître et (autre signe de vie) qu’ils n’arrêtent pas de noircir les pages, malgré l’amoncellement de nuages sombres. Les poètes, les nouvellistes et les essayistes universitaires ou autres sont devenus plus nombreux que les éditeurs. Alors comment endiguer le flux ? Du point de vue éditeur on a déjà montré là où le bât blesse. Les manuscrits s’entassent et les catalogues se rétrécissent, comme une peau de chagrin. On ne se donne même pas la peine de répondre aux « envoyeurs de manuscrits ». Pourquoi ne pas se transmuer en cyberg-éditeur et tenter sa chance dans l’édition en ligne ? C’est une bouée de sauvetage pour les éditeurs menacés de disparition. Reste à trouver les compétences appropriées, les capitaux nécessaires pour financer cette mutation et conserver le même sérieux. Les readers-books (liseuses électroniques) sont séduisants mais ce sera du luxe pour les marocains. A court terme, on ne peut pas baser le projet d’édition électronique sur un outil sophistiqué et coûteux. On risque de répéter le même échec. Si sous d’autres cieux «sur-technologisés» les readers-books constituent une
manne, au Maroc ils ne présentent qu’un intérêt sommaire plus élitiste que populaire, car même si on parvenait à importer cette technologie, il faudrait du temps pour que l’on s’y habitue. Le livre papier n’a pas marché, alors comment le livre électronique peut-il outrepasser le handicap et faire exception ?
Du point de vue auteur, on s’ajoute une autre corvée supplémentaire. On doit tout prendre en charge, comme un réalisateur de film tiers-mondiste qui fait à la fois le script, le régisseur et le restaurateur, en mettant en gage les meubles de sa maison. Dans un premier temps, l’édition à compte d’auteur est apparue comme une solution prometteuse. Mais ce mode d’édition n’en profite qu’aux imprimeurs dont certains réalisent un chiffre d’affaire considérable. Le hic, c’est que les livres imprimés chez ces derniers sont rarement distribués dans les librairies par les deux sociétés de diffusion qui détiennent un monopole quasi total. Ces sociétés sont elles aussi menacées de disparition, puisqu’elles ne survivent actuellement que grâce à la distribution de journaux et de quelques livres sur la cuisine marocaine. Dernier recours et qui nous semble plus probant et plus approprié : la diffusion de l’ouvrage via Internet.
Concernant le e-book, il faudrait faire la nuance entre deux choses distinctes, bien qu’elles soient issues du même utérus: les livres électroniques ayant besoin des readers (tablettes électroniques de lecture) et puis les livres ordinaires mis online via un site web spécifique, mais qui n’ont pas besoin de liseuses interactives. On vous autorise à les télécharger dans votre PC moyennant une somme d’argent payée sous forme de Pay-Pal ou à l’aide d’un mandat de transfert postal. Il y a à ce propos deux possibilités: la gratuité ou la voie rémunérée. C’est la seconde possibilité qui pose problème, à cause du mode de paiement qui entrave la fluidité des échanges. Le E-commerce au Maroc n’est qu’à ses premiers balbutiements. Répétons-le encore une fois, c’est l’industrie du livre qui est en crise et non pas la création littéraire. Comparés à leurs prédécesseurs, les auteurs marocains d’aujourd’hui sont plus productifs et plus prolixes. Normal, l’informatique est derrière cette hypertrophie graphique. Malheureusement, le déferlement de leurs écrits bute contre la rigidité et l’avarice des rescapés de l’édition traditionnelle. La diffusion sur le Net reste un atout. Mais il faut trouver le bon portail pour en assurer le transit du flux. Car les malins de l’édition en ligne ont trouvé un subterfuge qui leur sied à merveille, ça s’appelle l’édition participative. On vous dit qu’on s’occupe de tout, sauf de la maquette. C’est vous qui devez payer les frais de sa réalisation. Quand, en fin de processus, on vous transmet une proposition chiffrée, vous êtes surpris par le montant excessif de la maquette. Ce qui est révoltent, c’est qu’on facture sans vergogne aux auteurs la correction orthographique de leur texte. Auquel cas, il serait profitable d’éditer à compte d’auteur que de départager le copyright avec une entité dont ne connaît que l’URL de son site Web. Il y a anguille sous roche. Ce ne sont pas des éditeurs mais des arnaqueurs doublement fautifs aux yeux de la Loi. D’abord, ils transgressent la déontologie en vigueur dans tous les pays de la planète, ensuite ils entravent la créativité littéraire et scientifique, en mettant des œufs pourris sur le chemin de l’édition. De nombreux naïfs sont tombés dans le piège. Les relents des cas litigieux se trouvent actuellement étalés dans les pages web et dans les forums de la blogosphère. Le législateur semble en quadrature retard par rapport à cette forme de service virtuel. On devrait répertorier les éditeurs e-book sérieux, afin d’isoler et mettre hors d’état de nuire les malfrats de l’édition électronique. Le ministère de tutelle qui a pour prérogative d’encourager la création littéraire philosophique et scientifique a du pain sur la planche. Un nouveau portail destiné aux e-book d’auteurs marocains aurait ajouté aux pixels interactifs un peu de véracité. Les auteurs marocains malmenés par les pseudos éditeurs de paperasse attendent impatiemment une telle initiative. On espère que le nouveau ministre de la culture et de l’information va marquer son entrée par une telle innovation. Quand aux égarés de l’édition traditionnelle ils doivent trouver une boussole pour sortir du bourbier. De toute évidence, quand les affairistes incultes et cupides se mêlent des affaires de l’édition, inéluctablement la dépravation accompagne cette opération incongrue et malsaine. N’est pas éditeur qui veut. Malheureusement, cette bominable prolifération microbienne est entrain d’envahir non seulement le domaine de l’édition classique (support papier) mais aussi celui du Net en contaminant les espaces Web réservés aux livres électroniques.
RAZAK
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