Tuesday, March 11, 2008

Humour: Le festival des criquets rouges ( texte écrit en 2004)



Bizarre. J’ai reçu une accréditation pour assister au festival culinaire qu’organisent les criquets pèlerins au Maroc. Ce rendez- vous saisonnier est très médiatisé actuellement, à cause de l’impact qu’il a sur l’économie du pays, déjà chancelante par les récentes hausses du prix du pétrole. D’après le programme qu’on m’a envoyé, il y’aura sélection de Miss Sauterelle 2004. Et comme à l’accoutumée, il y’aura des invités de marque, des vedettes qui font la une de toutes les gazettes gastronomiques du Sahel aux îles Canaries (le paradis des Harragas c’est à dire : paradis des boat people ). L’édition de cette année sera dédiée au criquet rouge, cette espèce très vorace est capable d’engloutir toute une récolte en un laps de temps. Un hommage sera organisé avec grand apparat, pour vanter le mérite du sauteriau des Rhamna, qu’on retrouve aussi à l’est du pays, dans une région appelée Bled Chih Ourrih . Laquelle créature ailée, se contentant de peu, parvient à résister aux aléas climatiques dans une région torride et inhospitalière. Rappelons que la plus importante récompense du festival est un épi d’or. Rien à voir avec les étoiles en plastique, les palmes d'aluminium et les statuettes moulues dans du mauvais bronze. Par ailleurs, un séminaire sera aussi organisé dans le cadre de cette manifestation agroalimentaire sous le thème : « Comment transformer un insecticide en une potion vitaminée ». Des spécialistes viendront des quatre coins de la planète pour débattre de la question. On attend incessamment l’arrivée du professeur russe Koulchouf Ouskout et le criquologue américain Nemss à qui l’on doit déjà une précieuse étude sur le changement de couleur des criquets. Selon cet éminent chercheur, la substance chimique utilisée comme insecticide par les bipèdes deviennent inoffensive quand on lui additionne de l ‘eau en grande quantité. Déjà, les ripoux de l’administration, devenus des chimistes occasionnels au service de la « Causa Nostra » , réalisent de belles dilutions dont se douchent allégrement les criquets , au lieu d'en être neutralisés . Avec les pulvérisations, ces dilutions deviennent de l’eau oxygénée et les insectes de toutes les espèces en raffolent parce que ce soluté chimique les aide à nettoyer le corps des bactéries. L'ozone (O3) n'est-il pas un désinfectant bactéricide utilisé dans la potabilisation de l'eau ? Selon ce même chercheur qui a reçu l’an passé le prestigieux Prix CRIQUETIS décerné par l’Académie Maxillaires Aiguës, la couleur rouge serait due à la carotène ingurgitée dans les plantations où l'on exploite les pauvres et au bronzage à l’ozone. Le festival en vaut le détour. N'est-ce pas beau de voir des sauterelles aux ailes irisées , et des criquets bien gargarisés dans leur dandysme outrancier et puis tous ces grillons vêtus de smoking et papillon couleur mauve qui s'égosillent comme des aristocrates à peine réveillés de leur sommeil feutré . Mais malgré les prouesses attractives et les mondanités que ce festival suscite, j’éprouve de l’embarras, car un autre festival, celui-là cinématographique, appelle présentement ma « présence critique » pourvu que l'on ne me prenne pas pour un pistolero en quête de victimes . Cependant je n’ai pas l’esprit limpide car des interrogations le taraudent. Qu’est-ce qui est plus important et urgent : assister à un festival de cinéma ou un festival de criquets rouges ? Le Pearl Harbour acridien n’est- il pas aussi spectaculaire qu’ Alexander d’Oliver Stone ? Vraiment, je ne sais plus à quel saint juste me vouer. Je me souviens d’un film asiatique d’une réalité bouleversante et qui a été présenté à Rabat dans le cadre de la semaine du film chinois. On y voit comment ces insectes gueule-de-scie transforment un champ de céréales en terrain nullius . Si les organisateurs du festival du cinéma avaient intégré ce film intéressant dans leur programmation, j’aurais peut-être le choix facile.
RAZAK

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