Remember Vigon
Bien qu'il soit naturalisé français, Abdelghafour
Mohcine (alias Vigon) s’est toujours estimé ignoré par les medias dominants en
France. Malgré son immense talent, l’on arrive à se demander quels préjugés
réducteurs seraient derrière ce veto audiovisuel inhospitalier. Cette légende
vivante qui, par ailleurs, a une voix magique
dédia sa vie à la Soul-music.
Qui l’entend pour la première fois ne
croira pas qu’il s’agisse d’un chanteur d’origine marocaine. C’est du Sam Cooke
tout fignolé. Vigon fut l’idole de toute une génération. J’en fus un des plus enthousiastes.
Aux débuts des années 80, j’avais eu la
chance de le rencontrer par hasard à Agadir dans les dédales du quartier «Talborjt»
où se trouvait la gare routière. J’étais au courant qu’il chantait au «Tam-Tam Club» à l’hôtel «Les Almohades»,
mais à l’époque, l’accès à ce club était (financièrement parlant) hors de ma portée.
En tant qu’admirateur, j’avais souhaité qu’il aille aux USA pour donner plus de
mordant et de rayonnement à sa carrière.
C’est un gâchis que de passer à côté d’une méga-star délaissée injustement.
Heureusement, il y a aujourd’hui un regain d’intérêt pour la Soul-music. Le genre est entrain de renaître de ses cendres. C’est
pour cela que, par nostalgie, notre crooner de charme réapparaît, avec autant
d'impact que de réussite. Enfin, les plateaux de télévision hexagonaux
commencent à se l’arracher (mieux vaut tard que jamais). Ses réapparitions
électrisent la foule. L’onde de choc est arrivée au Maroc, un peu tardivement,
bien que la flamme y ait pris naissance. Abdelghafour va retrouver sa ville
natale. Bon retour au bercail. A cette occasion, le théâtre Mohamed-V va (Mawazine
oblige) «vigonniser» son programme. Le jeu en vaut la chandelle. Mais, sang de
bon sang, pourquoi l'avait-on ignoré
durant toutes ces longues années, alors que des perroquets à bec humain ayant
la voix éteinte s'accaparent les estrades de démonstration audiovisuelle et
festivalières?
D’où vient
le pseudonyme Vigon? Abdelghafour qui est le frère du célèbre gagman du
sérail, s’explique: «Alors que j'étais en classe, au lieu de dire wagon, j'ai
dit vigon. Ça a amusé tout le monde et on m'a surnommé Vigon».
Son histoire avec la Soul-music commence avec
l’arrivée des Américains au Maroc. Après la guerre, plusieurs bases militaires se
sont installées dans différentes régions du Maroc (Kenitra, Benguerir…). Vigon
avait formé un petit orchestre et allait chanter tous les samedis, pour les GI.
C’est là qu’il avait appris son métier, en découvrant et imitant Ray Charles,
Sam Cook, Fats Domino, Little Richard et Salomon Burk. «Des monuments», comme
il dit. En 1964, il part en France, la chance lui sourit, car providentiellement,
Bruno Coquatrix lui propose de faire le
prologue d’ouverture pour les grands spectacles de l’Olympia. Dans la foulée,
il a connu un grand nombre de célébrités françaises et anglo-saxonnes telles
que Jimmy Hendrix, Otis Redding, Johnny Halliday…
En 2011, terrassé par la mort de sa fille Sofia,
Vigon termina la chanson «Stand by me» avec une voix endeuillée et émouvante.
L’auditoire eut les yeux humides. L’on espère qu’après les nuages sombres du deuil,
le crooner franco-marocain retrouve la
joie et le plaisir de chanter. N’a-t-il pas dit: «Dieu m'a donné une voix, je
me donne du plaisir et je n'en demande pas plus».
Une dédicace pour les inconditionnels de la Soul-music
qui assisteraient au «Remember-Vigon» du 21 mai: «A change is gonna» de Sam Cooke
et l’inusable «Stand by me» de Ben
E-King, mais cette fois sans les larmes chaudes versées pour la belle Sofia.
RAZAK
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