Nous avons écrit ci-avant que les femmes fonctionnaires
marocaines sont relativement moins magouilleuses que les hommes, mais elles ont un grand
défaut : elles font recours à la sorcellerie pour se prémunir contre
l’imprévu. La SNRT n’est pas la seule boite où la sorcellerie fleurit. Les
échos qui viennent des autres offices,
agences et départements ministériels nous rappellent que l’on est devant
un phénomène généralisé. De cette sorcellerie tentaculaire, on a énuméré trois tendances: soussie (du Souss), meknassie
(de Meknès) et juive. La sorcellerie israélite est relativement la plus
puissante. Certains rabbins prétendent que si le Maroc est ce qu’il est, c’est
grâce à leur magie.
Ayant enquêté sur ce phénomène dévastateur, en
focalisant sur un office semi-public, autrefois levier du
développement industriel, on a induit le constat dans la trame narrative du roman, en phase d’édition intitulé : « Le Vidéographe
justicier ». Extrait :
« La pratique de la sorcellerie (S’hour)
dans les différentes subdivisions de cet
office, par des agents superstitieux, constitue une entrave au bon
fonctionnement des rouages internes. L'ampleur du phénomène, sa gravité et sa
grande banalisation rendent l'exercice aléatoire. Aucun service n'est à l'abri.
Qu'il soit technique ou administratif, le jeu obscène a fini par imposer ses
règles sordides. On en parle sans sourciller, comme si c'était un jeu de
société ou un rite communément admis. Cette «vaudouisation» de l'une des plus
importantes boites
d’ingénierie publique comporte des risques inévitables: d'abord les objectifs
que l'on s'est fixés (généralisation du service, optimisation, certification…)
ne seront jamais atteints, quels que
soient l'optimisme et la détermination des dirigeants, à supposer que ces
derniers soient aptes et valides, pour mener la barque à bon port,
sans encombre, parce que tout simplement, le personnel n'est pas celui qu'on
pense. Et leur patron ne sait pas comment s’y prendre. Et rien nous dit qu’il
n’est pas, lui aussi, pris par les fils enchevêtrés
de l’araignée ésotérique.
Gangrené par le fléau inhibiteur du
charlatanisme et empoisonné par les affres castratrices de
"Tachekamt" (mouchardage), ce
personnel ne peut être qu'improductif.
Un des premiers signes révélateurs de cette "S’houroumania"
tentaculaire est la suspicion paralysante qui a enchevêtré toutes les
connexions. Le rendement des travailleurs s'en trouve amoindri, pour ne pas
dire réduit à néant. On ne compte plus les victimes. Les clients et partenaires
externes de cette boite étatique en paient les frais. Tous se plaignent
de l'atermoiement et des lenteurs de l'administration (notamment
technico-financière) mais ils en ignorent les véritables causes. Ce ne sont pas
les mots d'intention et les notes d'incitation placardées et punaisées à
l'entrée des bureaux qui vont régler cette épineuse question. Aucun
responsable, digne de ce nom, n'a pu décortiquer le phénomène. Peut-être
manquait-on de lucidité et d'audace pour s'y pencher, tel un docteur ausculte son
patient. L'entreprise n'est pas aisée, car on a affaire à une caste d'initiés.
Verticalement, les plus visés sont les cadres supérieurs et horizontalement,
les techniciens brillants. Ils sont une cible privilégiée. D'ailleurs,
l'administration avec ses statuts et ses règlements intérieurs ne s'est pas
protégée suffisamment contre ce genre de délit. Les effets pervers de cette
mainmise diabolique sont visibles à l'œil nu. Les noms des adeptes se
chevauchent. Certains pratiquent leurs
rituels sans la moindre gêne. Les anecdotes de la paranoïa ésotérique
foisonnent: tel chef d'aménagement doute que le verre de thé, servi par sa
secrétaire, contient un soluté ésotérique, tel autre ferme à clef son bureau et
ses tiroirs de peur que des agents
malicieux y placent des objets
mystérieux. Les plus avertis procèdent à un nettoyage systématique du mobilier,
en changeant constamment de bureau, de secrétaire et de serrures. D'autres se
laissent faire. Bonjour les dégâts. L'arsenal ésotérique utilisé est tellement
vaste et diversifié. Les ingrédients de cette alchimie dangereuse se trouvent
dans les boutiques ésotériques (Attar) où la faune et la flore dans leur état
mortuaire sont si présentes. Ainsi le "Fkih" ou le sorcier en
prescrit les doses et le mode opératoire. Formules magiques, philtres,
incantations, sachets, potions et infusions chimiopathiques, invocations… Il
est très difficile d'énumérer tous les
éléments nocifs entrant en interaction. Dès le crépuscule, il y a bousculade
chez les voyantes ayant pignon sur rue. Et détrempez-vous ce ne sont pas que
les secrétaires esseulées, veuves ou
délaissées par les hommes qui
fréquentent les chamanes, mais il y a aussi des hommes moustachus qui se
fient aux érudits des sciences occultes, pour avoir plus de "Kouboul"
(acceptabilité). Mais le constat le plus affligeant est de voir des ingénieurs
supposés avoir l'élan bâtisseur, pencher du côté destructeur, en
fréquentant assidûment les sorciers et
les sorcières, pour les mêmes raisons évoquées précédemment. Les plus discrets
se contentent de talismans et d'amulettes, sous forme de pierres précieuses sur
lesquelles on a gravé des formules magiques. Le grimoire est supposé avoir des
vertus protectrices pour celui qui le porte. Si un jour les voyantes et les
charlatans passent aux aveux en
dévoilant leur clientèle, l'on sera étonné du nombre impressionnant
d'adhérents à ces «clubs ésotériques».
Certes, la sorcellerie existe depuis la nuit
des temps. Le désir de changer ou de transformer des choses par les forces
invisibles, surtout la folle envie de dominer autrui à distance ont toujours
exercé une fascination sur les humains. Ce recours aux forces surnaturelles
maléfiques et hostiles à l'homme relève d'une carence libidinale que l'on veut
combler.»(…)
Quand elle trouve le ferment propice, la
sorcellerie accède au rang de culte. Les quelques agents lucides, assistent à
un phénomène de désertion jamais constaté. L'absentéisme de certains
responsables est plus qu'alarmant. Leurs fugues prolongées laissent le service
dans un désordre indescriptible. Dans la division des expropriations, le
responsable est incapable de se tenir dans son siège plus d'une demi-heure.
Selon les rumeurs qui circulent, une veuve aux mœurs légères l’aurait possédé.
Il en a fait sa secrétaire et sa concubine. Des citoyens venus de régions
lointaines, pour régler leurs affaires en instance, retournent bredouilles,
avec l'amère déception d'être mal reçus. Le plus urgent, c'est de s'attaquer à
la racine du mal et non pas à ses manifestations extérieures.
Cette généalogie du mal se sert d'une autre
généalogie: celle des victimes. Le sorcier exige des photos avec les noms
complets de la lignée familiale. C'est pour cela que les dossiers personnels
des agents sont tout le temps fouillés par ces maléfiques personnes, en liaison
avec des sorciers. Le but de ces gourous est de faire croire que l'on peut non
seulement perturber la vie d’autrui avec des plantes asséchées et des mots,
mais aussi jeter un sort et lancer une malédiction. Les chamanes qui se servent
de l’oral et du ’’Samaoui’’ (force
astrale) hypnotisent leurs victimes avant de les dépouiller. Doit-on laisser
les choses pourrir ainsi?» (…)
« Les scientifiques ont tenté d'analyser ce
phénomène bizarre où démonologie et chimie ésotérique se mêlent étroitement aux
traditions médicinales teintées de mysticisme. Leurs conclusions restent
marquées du seau de l'élitisme. Les uns parlent de parapsychologie et de
phénomènes paranormaux, d'autres n'y voient que canulars et supercheries; mais
lorsqu'un phénomène étrange les surprend, ils perdent leurs convictions
scientifiques. Les ethnologues structuralistes en ont épluché le substrat
apparent. Mais malheureusement, leurs travaux ne sont pas largement diffusés,
pour en tirer une quintessence utile. L'analphabétisme aidant, l'ésotérisme a
encore de beaux jours devant lui. Rappelons que la chasse aux sorcières, menée
avec fermeté au Moyen-âge, a réduit de sa propagation. Il fallait sauvegarder
le fragile équilibre de la société, sinon il y aurait plus de morts que de
vivants et plus d’êtres envoûtés que de lucides.
En effet, lors de l'inquisition du XIIIe
siècle, on a tué plus d'un million de
sorciers. Le châtiment du crime de sorcellerie était le bûcher. Parmi les
brûlés vifs, il y en avait des
sataniques qui agissaient par plaisir sadique de nuire à autrui.
Vous arrive-il de rencontrer un responsable
envoûté? Il ressemble à un individu sous hypnose. Il n'a pas perdu son agilité,
mais ses pas sont comptés et ses actes sont téléguidés, sans en être consciemment
responsable. Pris en otage par les jeteurs et jeteuses de sort, barricadés
derrière le secret de leurs pratiques, ils sont manipulés comme on manipule une
poupée. Il y en a qui ont le "Tkaf" (handicap génital) , mais ils ne
peuvent pas le dire. C'est "Hchouma" (tabou). Leur énergie vitale
leur a été spoliée. Ils se reconnaissent par l'instabilité de leur caractère
lymphatique et par l'humeur changeante. Ils sont sous l'emprise vibratoire des
forces cosmiques, vous dirait un astrologue. L'ensorcelé aura toujours cette
duplicité comportementale, tant qu'il n'a pas entamé le processus inverse de dés-envoûtement. Il doit rechercher l'antidote de ce qui lui arrive et le
possède. Il n'y a pas de juste milieu pour un "Mashour" (ensorcelé).
Il est tout le temps tiraillé entre deux tendances, mais en présence de son
ensorceleur (ou de son ensorceleuse) il devient si docile, si consentant et
d'une totale soumission.
Le "S’hour" est perçu par certaines
personnes comme le dernier recours, pour se protéger contre l'imprévu. On
pratique la sorcellerie pour se venger d'un ennemi, ou tout simplement pour
avoir une promotion rapide. Les lâches et les fainéants la pratiquent aussi
pour forcer la sympathie du chef, afin d'éviter ses réprimandes en cas
d’absences prolongées, ou de fautes graves. Les corrompus en usent pour faire
durer l'impunité.
Curieusement, l'on remarque que des incompétents notoires ont pu gagner plusieurs échelles d’un seul coup. L'on se
demande toujours si ce n'est pas par sorcellerie.
Il faut mettre un terme à la ’’vaudouisation’’ galopante
au sein de cette institution, si l'on veut accroître son efficacité. L'avenir
de la boite en
dépend. Des rumeurs persistantes font état d'une probable concession de cet
établissement semi-public au privé, mais il y a risque de ne pas trouver
preneur. Qui va risquer d'investir dans une entreprise paralysée par le
charlatanisme? A moins que l'on ne pense à une régénération approfondie du
personnel. Or celle-ci passe par le dés-envoûtement collatéral. La cure de
normalisation pourrait réveiller les compétences inhibées et relancer la
machine vers des horizons meilleurs.
A l'opposé, les
gourous n'ont pas déposé les armes. Il faut avoir le flair d'un
anthropologue capable de percer le mystère et la vigilance scientifique d'un
psychiatre pour explorer le phénomène.
"Les esprits qui protègent sont aussi ceux
qui frappent", dit l'un des
brillants ethnologues qui ont étudié ce phénomène. ’’En milieu urbain",
explique-il, "les plus violents sont ceux qui rôdent dans les lieux
publics, les carrefours et les ruelles obscures".
Par conséquent, il faudrait un guérisseur d’une
scientificité inédite et d’une solidité caractérielle à toutes épreuves, pour
réparer la machine en panne. Il doit œuvrer inlassablement, pour que le
rationnel l'emporte sur l'irrationnel. Tout dépend de la vision qu'on a des
choses. D'abord: Identifier et circonscrire l'étrangeté du phénomène, ensuite
limiter les dégâts avant de l'éradiquer. Cela revient à dire tout démystifier.
Il est intolérable que des fauteurs de troubles, incontrôlables, insaisissables
et dangereux continuent de sévir dans l'impunité en manipulant les forces du
mal. Leur grande capacité de diversion réside dans leur apparence inoffensive.
Que l'on adhère ou non à ces croyances irrationnelles, que l'on croie ou non à
leurs extravagances, leurs incidences sur la marche de cet établissement est
réelle».