Monday, April 08, 2019

Feuillet littéraire: Coupable ! par RAZAK


Si les princes de ce bas monde sont nés avec une cuillère d’argent  dans  la bouche, moi, je suis né avec un stylographe entre la lèvre supérieure et la lèvre inférieure du trou buccal. Ma salive, c’est de l’encre à l’état pur. S’il y a une résurrection ou un jour de purgatoire où l’on paie pour les crimes commis,  le papier que j’ai noirci, avec ma corrosive salive devra réclamer son dû. J’avoue volontiers avoir torturé beaucoup de papier et tué tant de pages innocentes, la nuit comme le jour, avec un sadisme inégalé. Je ne me contente pas de les froisser, quand les mots deviennent hostiles  ou font grève tout simplement, mais je passe à la charcuterie. Je les découpe en mille morceaux ou je mets le feu dessus, la tête froide et avec préméditation, comme un  tueur professionnel. Je suis un « serial killer » de la paperasse, c’est- à-dire un tueur en série, doublé de pyromane incorrigible .  Il faut que je paie pour les forfaits commis. 
Sale « salisseur de l’immaculé », voilà ce que prosaïquement je suis. Je demande pardon à tous les papiers  que j’ai importunés ou rendus invalides. Mais ces crimes commis me dépassent. Je n’en suis, en fait, que  l’exécutant,  l’instrument de torture et il faut chercher ailleurs, pour découvrir le vrai alibi. Ce n’est pas  par souci écologique que je cherche la voie du repentir, car de l’arbre au papier, un meurtre crapuleux  a déjà été commis, avant moi, par un bûcheron, mais par principe. Ainsi, quand je brûle un papier plein de mots désordonnés et de ratures, ça porte nuisance à l’environnement, en empoisonnant l’air avec des mots calcinés. Je reconnais ma culpabilité. Mais pour comprendre les  griefs de ce ’’brûle-mots’’, plus nocif que les ’’brûle-cigarettes’’, il faudrait fouiller dans les recoins sombres de sa psyché, dans ces régions fermées à l’entendement,  comme dirait Rilke.

Mea culpa : quand j’arrête d’écrire, comme cela m’arrive de temps en temps, la tension artérielle  frôle l’infarctus. Mes temporaux tambourinent. Mais en reprenant le stylographe, mon joujou de naissance  et le papier à noircir, elle baisse, comme par providence. Je n’écris pas pour les autres, mais pour moi-même. Il n’y a rien d’égotique dans  cette praxis curative. Ce qui devrait valoir dans ce processus, entre le haut et le bas artériel, c’est de trouver le mot qui sonne juste et la bonne expression qui vaut la peine d’être mémorisée et consignée dans un bouquin. J’en suis à mon  16ème  .   
Ça ne sert à rien de multiplier les titres, quand on vit dans un désert culturel où les analphabètes et les ’’analpha-BIT’’ sont plus nombreux que les gens lettrés. Personne ne les lira. Et puis même si on en a la verve, il faudrait chercher d’autres motifs, pour continuer l’aventure en solitaire. Le mien, comme je l’ai spécifié avec des mots terre à terre, c’est d’éviter  la dépression par la pratique de l’écriture. Cette dernière  m’a déjà sauvé du zona varicelle, en 2010.
Complexés par les textes religieux, les iconoclastes  manifestent une haine viscérale envers les écrits romanesques et ont une répulsion maladive vis-à-vis des ouvrages de réflexion. C’est pour cela qu’ils sont restés bêtes. Ils se laissent exploiter et manipuler, comme des cancres. La connaissance mène à la conscience et la conscience mène à la dignité et au respect de soi. Les écrits  célestes les ensorcellent, au point de les halluciner. Ceux qui ont vu l’image de Mohammed V sur la lune sont les plus fantasmagoriques. Une pièce de monnaie était derrière ce mirage lunaire, improvisé par transposition visuelle. L’ignorance avait  fait le reste. N’oublions que dans le bled où je suis né,  il y en a  encore des gens qui croient que la terre n’est pas ronde. Il faudrait les mettre dans une navette spatiale, pour qu’ils puissent   rectifier la vision.
Le brûleur de papier que je suis, ne mène pas une vie facile, au sein des ignares qui l’entourent. Vampirique, la mal-vie suce le sang des poètes intègres et des écrivains qui ne pensent pas bête et puis qui ne courbent pas  l’échine. Lâchement et indûment, leurs contraires se la coulent douce, en se gargarisant dans leur  douillette médiocrité, si prisée par le système. Ils profitent de la manne rentière, un des signes  décadents de notre temps, officialisée via moult canaux de desserte. Ces travestis de la phraséologie  décorative ne m’intéressent pas. Les intègres ont, à mes yeux, plus de valeur, parce qu’ils dialoguent, par dessus les affres de la persécution, avec l’Histoire et la postérité. Un vrai écrivain vaut mille écrivaillons. Ainsi , comme je l’ai écrit quelque part : « nous vivons l’ère du triomphe de l’écrit vain sur l’écrivain,  l’écrit –tic  sur les critiques  et du charlatan sur le philosophe ».
Tout ça pour dire que cette litté-rature a sali la vraie littérature et le piratage artistique s’est avéré, en fin de compte, du pire ratage. On rate le coche  dans l’humiliation et le déshonneur.   
Face au vide ambiant, les comparses entrent en scène. Les scribouillards qui ont été mis sur le devant de la scène, le doivent, soit à ce que j’appelle ’’l’Internationale Homo’’ pour les gais , soit  la franc-maçonnerie, pour les pro-sionistes. Autrefois,  c’était l’Internationale Socialiste qui s’occupait des écrivains gauchisants, où qu’ils se trouvaient. Après le démantèlement  du mur  de Berlin, la littérature progressiste  est tombée en désuétude. Le capitalisme sauvage a repris du poil de la bête, par manque de réplique et de riposte intellectuelle. L’antidote du matérialisme ne peut être que spirituel. Malheureusement, ce dernier  semble errer dans le vide. La chute du mur de Berlin ravive les appétits d’antan d’avant la grande révolution russe où le tzar se prenait pour un dieu.
De nouveau,  la convoitise  gouverne le monde. La cupidité en excite méchamment  l’influx nerveux. Le matérialisme lui sert d’abreuvoir. Son retour en force est dû à un flagrant manque de combativité.  Le « qu’est- ce que tu es » est supplanté par « qu’est- ce que tu possèdes ». L’avoir domine l’être. La dangerosité de la chose réside dans le manque d’étique. Les transactions prennent parfois des voies cafouilleuses. Peu importe que vous amassiez votre fortune en volant ou en trichant , l’essentiel c’est  le poids monétaire de ce que vous avez et puis si vous craignez le fisc, on vous montrera le chemin , pour échapper au  contrôle réglementaire. Les paradis fiscaux sont faits pour cela.
Pour devenir riche, il faut tricher. Il n’y a pas, hélas, de fortune sans  ces raccourcis déviants et sans ces combines. L’art de la diversion vient après, pour enjoliver les actants et les rendre  humains dans leur macabre inhumanité. Les plus rusés dominent les plus naïfs. Les Etats mercenaires, calamités du nouveau millénaire,  offrent leurs sordides  services aux demandeurs sur- argentés. Pas d’objection, si pour instaurer des régimes rétrogrades,  ou en défaire de plus égalitaristes,  on fait recours aux armes de destruction massive.
Les médias les plus influents s’offrent aux plus offrants. La vérité erre dans les dédales de l’oubli,  jusqu’à nouveau réveil. Gilets jaunes, gilets oranges, tous dans la même galère, puisque le capitalisme est aveugle .
Enfin, si le vote électoral est la base de toute démocratie, le peuple algérien a voté massivement. La rue est une grande urne à ciel ouvert. On verra si la junte au pouvoir  va respecter ce vote populaire ou chercher à le piéger, pour  faire perdurer la mainmise et le racket .




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