Friday, February 28, 2020

Feuillet littéraire et philosophique : Le désir entre vouloir et volonté Par RAZAK


Feuillet littéraire et philosophique :
Le désir entre vouloir et volonté
Par RAZAK


Il est des situations paradoxales où les contraires se chamaillent méchamment et les oxymores se bagarrent férocement. Il y a aussi des cas où le vraisemblable outrepasse la vraisemblance. L’insinuation devient une réalité et la réalité une fiction. Les conceptions en trompe-l’œil nous rappellent notre incomplétude, notre faiblesse et notre criarde imperfection. Devrais-je me réjouir ou me  plaindre d’un sort qui m’a souvent fait voir ce que je ne devais pas voir et mené là où je ne devais pas être. L’inconnu connu s’appelle enrichissement culturel. Les impasses où l’on s’embourbe jusqu’au cou dans les marécages de la répétitivité maladive  peuvent être résumées en deux mots : erreur de destination.
Plutôt devrais-je, ( en essayant de regarder  dans le rétroviseur de ma vie)  me rire du naïf découvreur de talents que l’on oublie si vite, le donneur de bras qui se dépense à fond sans avarice, le montreur de bonnes adresses aux égarés. Le coursier des handicapés et des vielles personnes esseulées, corvéable à merci dont les assistés oublient souvent de dire merci.
Peut-être devrais-je regretter l’antimatérialisme qui m’a rendu mou comme un animal domestique et serviable comme un valet au service de  ceux qui ne possèdent rien. Le sacrifice et le volontarisme ont leurs  vilains revers. Les miens ne sont  pas bien ressentis. Un chagrin étrange les imprègne, un sentiment confus d’avoir été dupé. D’amertume en amertume, je n’ai recueilli de tous ces précieux coups de mains donnés à des quidams  que les mauvais souvenirs et beaucoup de dépit. Mon erreur (si erreur y a) c’est que je mets trop de cœur dans cette serviabilité volontaire, qui est différente de la servitude volontaire, dont parlait De la Béotie. Bien évidemment, sa prolongation à l’infini peut devenir une servitude et un assujettissement, tel qu’il l’a évoqué l’écrivain précité.  
Ne sachant pas qu’il en adviendrait ainsi, je dois maintenant supporter les  néfastes retombées de cette errance dans des lieux inconnus et cet aventurisme exacerbé, dans des grottes où il n’y a d’échos que pour les 40 voleurs qu’Ali Baba mettait dans son collimateur. Les profiteurs sont, en général, muets. Seuls les gens de bonne famille se rappellent du bien qu’on leur fait. Les ingrats crachent dessus. En d’autres termes plus explicites, je n’ai pas su conjuguer le verbe être  au présent du parfait narcissique, en ne pensant à rien d’autre, sinon qu’à moi et puis surtout le verbe avoir qui mène aux étroits couloirs des gens privilégiés et au haut plancher où tous les feux de la rampe s’allument d’un seul coup, pour éclairer l’image  surdimensionnée du minuscule être ébahi  dont je porte la charpente osseuse et le  manteau de chair.
Il y a des endroits où la vérité marche pieds nus et les chevaux aux quatre vents, comme il y a des lieux où elle marche obliquement, avec des béquilles d’estropiée. Dans d’autres ; et quand elle le peut, elle se faufile entre les épines de la clandestinité. Comment exalter l’élévation et prôner la droiture, quand tout vous attire vers le bas et vous colle sournoisement au sol de l’ennui  et de la routine  par tant d’obligations, de servilités et d’autocensures. Aucun plaisir n’est à scruter. Que de la déprime. Le fait d’y penser vous ajoute de la migraine. A quoi sert la vertu quand on est entouré par des gens qui s’en balancent et s’en foutent fichtrement.
Les croyances stoïciennes ne peuvent pas chasser les nuisances de la contrariété. Les épicuriens le savent : le plaisir et la vertu ne peuvent pas communier sans concessions mutuelles, allant du plus rigide au plus flasque et du plus opiniâtre  au plus magnanime. C’est la morale qui dicte le comment, car l’équation plaisir/déplaisir rend barbante toute approche qui prend l’audace de la démystifier et de la jauger séparément.
Bref,  demandez aux épicuriens qui tiennent plus à l’élégance de leur vie végétative, qu’aux désolations de fin de parcours  qui les attendent,  s’ils sont réellement heureux. Manger à sa faim et boire à  sa soif sont des besoins vitaux et non des plaisirs. C’est cette limitation restrictive qui les amoindrit face aux  hédonistes, qui cherchent le vrai plaisir.  Leurs antagonistes, les existentialistes, connaissent ( ou plutôt  croient connaître)   les angoisses qui rendent le monde malade de son absurdité. Mais rien ne les empêche de jouir, comme pour défaire cette absurdité. Camus et Sartre se défoulaient  dans l’expression théâtrale, malgré la noirceur de leur drama respective et malgré l’hostilité du milieu ambiant. " L’enfer, c’est les autres", disait Sartre. Il en a tâté  l’affreuse exigüité. Quant à Camus il sentait l'asphyxie : "On étouffe parmi les gens qui croient avoir absolument raison ."      
Ceux qui font le parallèle entre vertu et rectitude oublient de préciser par rapport à quoi. Il existe des hommes pleins de rectitude, mais à qui manque la vertu, car cette dernière n’est pas la preuve du conformisme réfléchi ou d’une allégeance faite à autrui, mais  elle vise plus haut que l’attirail de bonne civilité et l’obéissance mécanique, héritée de père en fils.
Où était-elle cachée durant les siècles d’avant l’apparition de la première religion où les hommes des cavernes arrivaient à peine à communiquer entre eux. Ils s’affrontaient plus qu’ils ne communiquaient. L’instinct de survie et  la peur de ce qui va venir après la mort ont  créé le  culte religieux. On inventa même un ministère du culte, pour officialiser la croyance mystique. Or, qui dit mystique dit mythe. La religion fut précédée par le mythe et par la superstition qu’au fil des siècles  la peur de l’inconnu a engendrée et fortifiée. Dans la préhistoire et même dans les siècles  où vivaient les Sumériens, les Babyloniens et les Pharaoniens, la présence du devin-prédicateur  était indispensable à l’exercice du pouvoir. Au moyen âge, le clergé s’est substitué aux devins d’antan, avec la seule différence que les templiers mis au servir de ce dernier étaient beaucoup plus violents. Une de leur œuvre macabre et sanguinaire et puis que l’Histoire des relogions a retenue est l’inquisition. Les templiers et le graal ont marqué une époque à théologie sévère. Ces guerriers du culte  partaient en croisade contre les non-croyants. C’est aux siècles des lumières que la Renaissance a chassé ce rigide obscurantisme.
Enfin, c’est le positivisme d’Auguste Comte, le philosophe qui inventa le mot « sociologie », en remplacement à l’expression « physique sociale », qui a rationnalisé le comportement des sociétés modernes et l’a immunisé contre un malencontreux retour de ces tueurs assermentés et couverts par l’église. 
Le concept qu’utilisaient les autres savants ayant vécu avant Auguste Comte   avait un aspect statique. La nouvelle appellation ( sociologie)  s’est avérée assez satisfaisante, car il a été prouvé  que dans son infime structure, la société est en perpétuel mouvement. Le  renouvellement démographique en est l’élément agitateur (au sens laborantin du terme).    
         Les nihilistes, négationnistes de premier ordre et farouches adversaires des hédonistes et des épicuriens font de la surenchère, quand ils mettent en exergue le dualisme castrateur  entre plaisir et vertu, entre désir  et inassouvissement, la frustration du corps et son épanouissement. Faut-il se fier au vouloir ou à la volonté ? Nietzche y a répondu en maître à penser, sortant des sentiers battus et avec une érudition inégalée.  Le désir de vivre est dicté par le corps. Le vouloir est fugace et léger, la volonté pèse lourd. En d’autres termes, on peut dire que le moi freudien c’est le corps dans ses deux acceptions consciente et inconsciente. C’est lui qui philosophe et le « je » qui fait mouvoir le corps est plus révélateur que le « on » qui parle en cachette. Il peut sauter du coq à l’âne, au gré des intuitions et des opportunités. Cette acrobatie est la particularité même  du corps sensuel et du corps parlant dont le silence  extrême et prolongé s’apparente  à la mort. La chasteté est le tribut à payer pour aller à l’hypothétique paradis, ébauché par tant de croyances monothéistes. L’austérité et le misérabilisme en goudronnent la piste virtuellement. Les matérialistes et les adeptes  hégéliens boudent cette croyance. La dialectique historique, résultant de l’antagonisme des contraires conduit à  cette négation.
Quand on parle de jouissance, on ne parle pas uniquement de la jouissance sexuelle, mais des autres jouissances, à isoler  du fatras sociétal et que l’art rend transmissibles d’un individu à un autre, par aquaintance . L’art sous toutes ses formes et dans tous ses états a élargi le spectre du plaisir ; et comme on revient toujours au corps, source de la pensée, des délices orgasmiques et des privations, son évolution, du fœtus à l’homme adulte, le pousse délibérément à être en phase avec son temps.  L’âge influe sur la recherche du plaisir. Plus on vieillit, plus on devient chaste. Le spirituel efface le sensuel. On imagine mal un Dom Juan sexagénaire. La virilité décroit avec l’âge. Comme matière dopante, le viagra n’assure  qu’une virilité artificielle. La musculature manquant de fraicheur et de tonus, l’abus du dopage peut être fatal.  
Le désir ne manque pas de duplicité. Débauché, il finit par se muer soit en sadisme,  soit en  masochisme, selon que la charge est dirigée  en  introverti  ou extroverti.
« Jésus n’avait pas de corps » soutenait Onfray. « Il ne riait pas, il ne plaisantait pas, il ne copulait pas. C’est  l’art chrétien qui lui a donné un corps». La représentation iconologique lui a donné une stature qu’il n’avait pas physiquement.    
La volonté de vivre chasse l’inertie qui fait penser au trépas. La lenteur en est un signe d’agonie. Le « texte  corporel » dépend du contexte, car  un corps malade émet plus d’idées malades que d’idées saines. La contextualisation rend la perception assez perspicace. Or perception n’est pas la réalité. Les abeilles et les  papillons perçoivent les choses différemment. La rétine humaine n’est pas assez performante pour avoir une vision de 360 degrés. Le champ visuel du caïman est beaucoup plus élargi. 
Au fichier historique des penseurs persécutés, on trouve des noms se passant de commentaire et de rappel. Descartes fut persécuté par les ignares. Il fut condamné à l’exil forcé . Spinoza fut ex-communiqué par les  siens, parce qu’il a parlé de dieu à sa manière.  Kierkegaard échappa par miracle à une tentative d’assassinat. Socrate fut condamné injustement à boire la cigüe, poison mortel.
Les poètes arabes  ne sont pas mieux lotis. Qu’ils appartiennent  à l’ère antéislamique ou à celle qui l’a suivie, on trouve de véritables martyres de l’expression orphique. Al Mutannabi , poète philosophe fut tué dans une embuscade. Almoqaffa , le  génial auteur de « Kalila et Dimna » , plus arabe que perse et qui inspira Jean de la Fontaine fut châtié atrocement et puis tué avec une sauvagerie inégalée.
L’inquisition et la fascocratie sont de tous les temps. Les présidents qui se comportent comme des rois veulent, eux aussi, bénéficier du double statut : celui du mortel que l’on enterre dans une fosse, comme le reste de la population  et celui de l’immortel, qui se perpétue à travers la filiation dynastique. Napoléon  en fut un exemple historique. Mais le mousquet de sa dynastie n’a pas fait long feu.

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