Feuillet littéraire
et philosophique :
Le désir entre
vouloir et volonté
Par RAZAK
Il est des situations paradoxales où les
contraires se chamaillent méchamment et les oxymores se bagarrent férocement. Il
y a aussi des cas où le vraisemblable outrepasse la vraisemblance. L’insinuation
devient une réalité et la réalité une fiction. Les conceptions en trompe-l’œil
nous rappellent notre incomplétude, notre faiblesse et notre criarde imperfection.
Devrais-je me réjouir ou me plaindre d’un
sort qui m’a souvent fait voir ce que je ne devais pas voir et mené là où je ne
devais pas être. L’inconnu connu s’appelle enrichissement culturel. Les impasses
où l’on s’embourbe jusqu’au cou dans les marécages de la répétitivité maladive peuvent être résumées en deux mots :
erreur de destination.
Plutôt
devrais-je, ( en essayant de regarder
dans le rétroviseur de ma vie) me
rire du naïf découvreur de talents que l’on oublie si vite, le donneur de bras
qui se dépense à fond sans avarice, le montreur de bonnes adresses aux égarés. Le
coursier des handicapés
et des vielles personnes esseulées, corvéable à merci dont
les assistés oublient souvent de dire merci.
Peut-être
devrais-je regretter l’antimatérialisme qui m’a rendu mou comme un animal domestique
et serviable comme un valet au service de
ceux qui ne possèdent rien. Le sacrifice et le volontarisme ont leurs vilains revers. Les miens ne sont pas bien ressentis. Un chagrin étrange les
imprègne, un sentiment confus d’avoir été dupé. D’amertume en amertume, je n’ai
recueilli de tous ces précieux coups de mains donnés à des quidams que les mauvais souvenirs et beaucoup de dépit.
Mon erreur (si erreur y a) c’est que je mets trop de cœur dans cette
serviabilité volontaire, qui est différente de la servitude volontaire, dont
parlait De la Béotie. Bien évidemment, sa prolongation à l’infini peut devenir
une servitude et un assujettissement, tel qu’il l’a évoqué l’écrivain précité.
Ne
sachant pas qu’il en adviendrait ainsi, je dois maintenant supporter les néfastes retombées de cette errance dans des
lieux inconnus et cet aventurisme exacerbé, dans des grottes où il n’y a
d’échos que pour les 40 voleurs qu’Ali Baba mettait dans son collimateur. Les
profiteurs sont, en général, muets. Seuls les gens de bonne famille se
rappellent du bien qu’on leur fait. Les ingrats crachent dessus. En d’autres
termes plus explicites, je n’ai pas su conjuguer le verbe être au présent du parfait narcissique, en ne
pensant à rien d’autre, sinon qu’à moi et puis surtout le verbe avoir qui mène
aux étroits couloirs des gens privilégiés et au haut plancher où tous les feux
de la rampe s’allument d’un seul coup, pour éclairer l’image surdimensionnée du minuscule être ébahi dont je porte la charpente osseuse et le manteau de chair.
Il
y a des endroits où la vérité marche pieds nus et les chevaux aux quatre vents,
comme il y a des lieux où elle marche obliquement, avec des béquilles d’estropiée.
Dans d’autres ; et quand elle le peut, elle se faufile entre les épines de
la clandestinité. Comment exalter l’élévation et prôner la droiture, quand tout
vous attire vers le bas et vous colle sournoisement au sol de l’ennui et de la routine par tant d’obligations, de servilités et d’autocensures.
Aucun plaisir n’est à scruter. Que de la déprime. Le fait d’y penser vous
ajoute de la migraine. A quoi sert la vertu quand on est entouré par des gens
qui s’en balancent et s’en foutent fichtrement.
Les
croyances stoïciennes ne peuvent pas chasser les nuisances de la contrariété. Les
épicuriens le savent : le plaisir et la vertu ne peuvent pas communier sans
concessions mutuelles, allant du plus rigide au plus flasque et du plus opiniâtre
au plus magnanime. C’est la morale qui dicte
le comment, car l’équation plaisir/déplaisir rend barbante toute approche qui
prend l’audace de la démystifier et de la jauger séparément.
Bref,
demandez aux épicuriens qui tiennent
plus à l’élégance de leur vie végétative, qu’aux désolations de fin de parcours qui les attendent, s’ils sont réellement heureux. Manger à sa
faim et boire à sa soif sont des besoins
vitaux et non des plaisirs. C’est cette limitation restrictive qui les
amoindrit face aux hédonistes, qui
cherchent le vrai plaisir. Leurs antagonistes,
les existentialistes, connaissent ( ou plutôt
croient connaître) les angoisses
qui rendent le monde malade de son absurdité. Mais rien ne les empêche de
jouir, comme pour défaire cette absurdité. Camus et Sartre se défoulaient dans l’expression théâtrale, malgré la
noirceur de leur drama respective et malgré l’hostilité du milieu ambiant. " L’enfer, c’est les autres", disait Sartre. Il en a tâté l’affreuse exigüité. Quant à Camus il sentait l'asphyxie : "On étouffe parmi les gens qui croient avoir absolument raison ."
Ceux
qui font le parallèle entre vertu et rectitude oublient de préciser par rapport
à quoi. Il existe des hommes pleins de rectitude, mais à qui manque la vertu,
car cette dernière n’est pas la preuve du conformisme réfléchi ou d’une allégeance
faite à autrui, mais elle vise plus haut
que l’attirail de bonne civilité et l’obéissance mécanique, héritée de père en
fils.
Où
était-elle cachée durant les siècles d’avant l’apparition de la première
religion où les hommes des cavernes arrivaient à peine à communiquer entre eux.
Ils s’affrontaient plus qu’ils ne communiquaient. L’instinct de survie et la peur de ce qui va venir après la mort ont créé le culte religieux. On inventa même un ministère
du culte, pour officialiser la croyance mystique. Or, qui dit mystique dit
mythe. La religion fut précédée par le mythe et par la superstition qu’au fil
des siècles la peur de l’inconnu a
engendrée et fortifiée. Dans la préhistoire et même dans les siècles où vivaient les Sumériens, les Babyloniens et
les Pharaoniens, la présence du devin-prédicateur était indispensable à l’exercice du pouvoir. Au
moyen âge, le clergé s’est substitué aux devins d’antan, avec la seule
différence que les templiers mis au servir de ce dernier étaient beaucoup plus
violents. Une de leur œuvre macabre et sanguinaire et puis que l’Histoire des
relogions a retenue est l’inquisition. Les templiers et le graal ont marqué une
époque à théologie sévère. Ces guerriers du culte partaient en croisade contre les non-croyants.
C’est aux siècles des lumières que la Renaissance a chassé ce rigide obscurantisme.
Enfin,
c’est le positivisme d’Auguste Comte, le philosophe qui inventa le mot
« sociologie », en remplacement à l’expression « physique
sociale », qui a rationnalisé le comportement des sociétés modernes et l’a
immunisé contre un malencontreux retour de ces tueurs assermentés et couverts
par l’église.
Le
concept qu’utilisaient les autres savants ayant vécu avant Auguste Comte avait un aspect statique. La nouvelle
appellation ( sociologie) s’est avérée
assez satisfaisante, car il a été prouvé que dans son infime structure, la société est
en perpétuel mouvement. Le renouvellement démographique en est l’élément
agitateur (au sens laborantin du terme).
Les
nihilistes, négationnistes de premier ordre et farouches adversaires des
hédonistes et des épicuriens font de la surenchère, quand ils mettent en
exergue le dualisme castrateur entre plaisir
et vertu, entre désir et inassouvissement,
la frustration du corps et son épanouissement. Faut-il se fier au vouloir ou à
la volonté ? Nietzche y a répondu en maître à penser, sortant des sentiers
battus et avec une érudition inégalée. Le
désir de vivre est dicté par le corps. Le vouloir est fugace et léger, la
volonté pèse lourd. En d’autres termes, on peut dire que le moi freudien c’est
le corps dans ses deux acceptions consciente et inconsciente. C’est lui qui
philosophe et le « je » qui fait mouvoir le corps est plus révélateur
que le « on » qui parle en cachette. Il peut sauter du coq à l’âne,
au gré des intuitions et des opportunités. Cette acrobatie est la particularité
même du corps sensuel et du corps
parlant dont le silence extrême et
prolongé s’apparente à la mort. La
chasteté est le tribut à payer pour aller à l’hypothétique paradis, ébauché par tant de croyances monothéistes.
L’austérité et le misérabilisme en goudronnent la piste virtuellement. Les
matérialistes et les adeptes hégéliens
boudent cette croyance. La dialectique historique, résultant de l’antagonisme
des contraires conduit à cette négation.
Quand on parle de jouissance, on ne parle
pas uniquement de la jouissance sexuelle, mais des autres jouissances, à isoler
du fatras sociétal et que l’art rend
transmissibles d’un individu à un autre,
par aquaintance . L’art sous toutes ses formes et dans tous ses états a élargi
le spectre du plaisir ; et comme on revient toujours au corps, source de
la pensée, des délices orgasmiques et des privations, son évolution, du fœtus à
l’homme adulte, le pousse délibérément à être en phase avec son temps. L’âge influe sur la recherche du plaisir.
Plus on vieillit, plus on devient chaste. Le spirituel efface le sensuel. On
imagine mal un Dom Juan sexagénaire. La virilité décroit avec l’âge. Comme
matière dopante, le viagra n’assure
qu’une virilité artificielle. La musculature manquant de fraicheur et de
tonus, l’abus du dopage peut être fatal.
Le
désir ne manque pas de duplicité. Débauché, il finit par se muer soit en
sadisme, soit en masochisme, selon que la charge est
dirigée en introverti
ou extroverti.
« Jésus
n’avait pas de corps » soutenait Onfray. « Il ne riait pas, il ne
plaisantait pas, il ne copulait pas. C’est
l’art chrétien qui lui a donné un corps». La représentation iconologique
lui a donné une stature qu’il n’avait pas physiquement.
La
volonté de vivre chasse l’inertie qui fait penser au trépas. La lenteur en est
un signe d’agonie. Le « texte
corporel » dépend du contexte, car un corps malade émet plus d’idées malades que
d’idées saines. La contextualisation rend la perception assez perspicace. Or
perception n’est pas la réalité. Les abeilles et les papillons perçoivent les choses différemment.
La rétine humaine n’est pas assez performante pour avoir une vision de 360 degrés.
Le champ visuel du caïman est beaucoup plus élargi.
Au
fichier historique des penseurs persécutés, on trouve des noms se passant de
commentaire et de rappel. Descartes fut persécuté par les ignares. Il fut
condamné à l’exil forcé . Spinoza fut ex-communiqué par les siens, parce qu’il a parlé de dieu à sa
manière. Kierkegaard échappa par miracle
à une tentative d’assassinat. Socrate fut condamné injustement à boire la
cigüe, poison mortel.
Les
poètes arabes ne sont pas mieux lotis. Qu’ils
appartiennent à l’ère antéislamique ou à
celle qui l’a suivie, on trouve de véritables martyres de l’expression
orphique. Al Mutannabi , poète philosophe fut tué dans une embuscade. Almoqaffa
, le génial auteur de « Kalila et Dimna »
, plus arabe que perse et qui inspira Jean de la Fontaine fut châtié atrocement
et puis tué avec une sauvagerie inégalée.
L’inquisition
et la fascocratie sont de tous les temps. Les présidents qui se comportent
comme des rois veulent, eux aussi, bénéficier du double statut : celui du
mortel que l’on enterre dans une fosse, comme le reste de la population et celui de l’immortel, qui se perpétue
à travers la filiation dynastique. Napoléon
en fut un exemple historique. Mais le mousquet de sa dynastie n’a pas
fait long feu.
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