Chevaux de torture
Par RAZAK
Quel est le quadrupède le plus torturé par les peintres marocains
qui ne savent pas dessiner ? D’aucuns me diraient à la hâte: l’âne. Cette
pauvre créature a toujours été prise pour ce qu’elle n’est pas. Comme un
galérien, ce souffre-douleur encaisse les coups sans dire Ah. Pourtant,
Enguidanos, le peintre espagnol qui s’inspirait de la réalité marocaine,
en avait immortalisé de jolis clichés for plaisants.
Le quadrupède en question n’est autre que le cheval. Cela pourrait
paraître paradoxal, mais c’est la vérité. Hormis quelques peintres qui
maitrisent le dessin, et qui se comptent sur les doigts d’une seule main, les
carences en matière de croquis anatomistes sont criardes au Maroc.
Charcuté, défiguré, amoindri, le cheval arabe, autrefois si vénéré par
les peintres orientalistes, comme Théodore Chassériau et Delacroix, est au plus
bas niveau iconologique de son histoire. Les peintres pressés qui veulent
gagner plus d’argent en fournissant moins d’efforts, aidés par des
trafiquants de tous acabits et mis sur le devant de la
scène médiatique par les criticaillons n'écrivant que sur
commande, ont perverti la scène artistique. Les séances de
vente aux enchères d’objets dits d’antiquité organisées à Casablanca sont
devenues le fief tout indiqué d’un banditisme vorace. Tous les
trafiquants d’œuvres truquées ou volés s’y retrouvent, avec l’envie déclarée de
duper les gens. Ces ventes organisées presque dans
l’anonymat nous ont prouvé, dès leur lancement, qu’il y a
anguille sous roche. Certes, il y a des amateurs d'art au delà de tout soupçon,
qui viennent par curiosité voir ce qui se passe. Mais, il y a beaucoup de
vrais faux tableaux de faussaires et de plagiaires pour qu'ils
puissent séparer l'ivraie de la bonne graine. Mais nul n’ose dénoncer la mascarade.
Ce qui étonne le plus, c’est le silence complice du ministère de tutelle
qui pourtant nous dit-on a pour tâche publique, de préserver le patrimoine
culturel. Le patrimoine pictural marocain subit une campagne de falsification
sans précédent, mais on laisse faire, comme si les pouvoirs publics étaient
impuissants à redresser la situation. Les samsaras aidés par des courtiers
incultes (on n’ose dire collectionneurs, car sous d’autres cieux bénis
par les muses de l’art, ces derniers ont une certaine déontologie à faire
valoir) ont tissé des réseaux maffieux vivant du trafic d’œuvres
volées et des gribouillis de pseudo-peintres. L’intervention
du fisc et de la perception est devenue une urgence d’une nécessité
absolue, car cela permettrait de contrôler les transactions. Il est anormal que
des smicards paient l’Impôt Général sur le Revenu (IGR), alors que des
gribouilleurs et des trafiquants sans scrupule en soient exonérés. On ne
compte plus les tentatives ratées de transposer correctement la "Beiaâ"
(cérémonie d’allégeance) . N'est pas Léonard de Vinci qui veut.
Charcutés désastreusement et caricaturés à l’extrême, ces
lavis d'une valeur artistique nulle sont une honte pour la culture
marocaine et là on retrouve, comme par malédiction, le cheval
dans ses figurations les plus repoussantes et les plus sordides.
Ainsi, si dans ’’Guernica’’, l’œuvre historique de Picasso, le
cheval apparait dans un graphisme qui hurle de cruauté, c’est parce que la
démarche historico-picturale a été dictée par les circonstances tragiques de la
guerre civile. Mais en temps paix, ce quadrupède mérite d’être apprécié à sa
juste valeur. Le cheval en plein galop est d’une beauté extraordinaire,
mais on en a fait une monstruosité obscène, à force de peinturlurer à
gauche et à droite. Dommage! Au pays du chevaleresque Tarik ibn Zyad, le
descendant d’Al Boraq devient rachitique. Il mérite mieux.
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