Tuesday, November 28, 2017

L’art de dire non à la folle spéculation . Par RAZAK (journal L'OPINION )



L’art de dire non à la folle spéculation
Par RAZAK

William Turner aurait accédé au club restreint des grands fortunés anglais si, au sommet de la gloire, il avait dit oui au magnat sur-argenté qui voulait lui acheter toutes ses œuvres, y compris ses carnets de dessins. Il avait refusé sans regretter son acte. En agissant ainsi, il avait prouvé qu'il était un vrai artiste et non un vaurien déguisé en plasticien, comme il en existe par dizaines de nos jours. Turner représente une lignée anti matérialiste bien rodée, qui sera renforcée par la suite par des écrivains de renom tels Sartre et Goytisolo. Le premier avait refusé les liasses d’un fabriquant de dynamite connu sous le nom d’Alfred Nobel, le second avait fait fi des pétrodollars de Kadhafi. C’étaient des personnages d’une autre trempe. Rien à voir avec les champions toutes catégories du ready-made qui, mettant le plus souvent la charrue devant les bœufs, demandent sans vergogne d'être payés avant de commencer quoi que ce soit et encore faut-il souhaiter que ce qu'ils improvisent maladroitement soit digne d’intérêt.
Comme en politique, nous regrettons la rareté de telles figures de proue qui glorifient l'art dans toute sa splendeur, son originalité et sa probité, loin des marchandages d’épiciers. Turner avait donné une leçon d’humilité aux faiseurs de petites bricoles. Ce grand peintre avait l'art et la vertu, comme on disait du compositeur Beethoven. Turner savait que les bourgeois tuent l'art avec leur possessivité exacerbée. Hormis les portraits de famille qu'ils exhibent dans une intentionnalité d’autoglorification égotique, ils laissent les autres œuvres de grands maîtres, parfois achetées à des prix faramineux, dans la solitude des couloirs poussiéreux et dans l'humidité nauséabonde des caves souterraines , destinées initialement aux tufs de vin. Or une œuvre d'art séquestrée de la sorte se détériore rapidement et les avaries subies affectent inéluctablement la renommée de celui qui l'a réalisée dans l'ardeur, la suée et peut-être la pauvreté, car les peintres ne sont pas tous riches.
Futé et conscient de ce qui se tramait dans ces cercles hermétiques de bourgeois incultes, Turner se révolta contre cette mainmise capitaliste qui cherchait à dénaturer l'art et asservir la culture en transformant les œuvres d'art en marchandises obéissant à la loi perfide du marché. Mais de quel marché peut-on proprement parler, en l'absence des principaux actants concernés, à savoir les artistes eux-mêmes? Tout marché de sépultures est, à coup sûr, une mascarade.
Turner voulait que ses tableaux fussent vus par la multitude, en insistant (autre honorable réflexe d’homme éveillé) sur la gratuité du regard publique. Ainsi, si l'on prend comme repère éthique et comme ligne de démarcation cette attitude débonnaire et puis que l'on s'évertue à mesurer les écarts, l'on se trouvera devant un inextricable enchevêtrement de lignes tortueuses, de choses décousues et devant un agglomérat d'imbroglios hideusement manigancés, dont les plus irritants ont tendance à s’éterniser pour éterniser le gain matériel facile. La gratuité hérisse les gens cupides.
Les fondations dites d'art moderne, dont on constate le croissant foisonnement à travers le monde sont visées du mauvais doigt. Par diversion, elles procèdent de deux manières: dans une première étape, on fait montre d'une générosité exemplaire, en ne lésinant ni sur les moyens logistiques, ni sur les apparats d'accompagnement, mais avec le temps on découvre le subterfuge. On change de tactique. On passe à la caisse pour récupérer doublement, voire triplement, ce qu'on a investi et du coup l'honorable fondation qui affichait une façade d'utilité publique devient une entité privée. En outre, comme l'ignorance du monde de l'art favorise de tels errements, ces fondations mal fondées font feu de tout bois et musée de tout endroit aussi anodin soit-il. Ainsi, de manière machiavélique, on passe du prestige au postiche. Le business s'occupe du reste.
On s'adonnant à la spéculation, les fondations comme celles que j'ai vues en Andalousie et ailleurs, perdent un peu de leur éthique pour sombrer dans le lucratif besogneux , en ne récoltant au bout du processus matérialiste que du discrédit moral. Exposer la clef de la maison d'un peintre célèbre relève du comique. Que y a-t-il de muséal dans cette clef au design grossier? D'autres fondations récemment inaugurées montrent des œuvres sans le consentement des artistes vivants qui les ont signées et interdisent la gratuité d’accès aux élèves des beaux arts. Pour le reste, lesdites fondations devraient en principe acquérir les œuvres pour être en conformité avec leurs attributs et paraitre plus ’’clean et réglo’’.
Quant aux spéculateurs non institutionnels qui veulent s'enrichir sur le dos des artistes, ils ont trouvé une ruse qui n'exige qu'un peu de patience: attendre l'annonce nécrologique de leur décès, pour se lancer dans leurs ruées cabalistiques. Ils ne le font pas par amour aux défunts et encore moins pour leurs héritages artistiques, mais par amour du pognon et affairisme outrancier, que la cupidité ravive sans cesse. On l'a vu avec Modigliani et avec Van Gogh. Ces deux illustres victimes des charognards de l'art méritaient un sort moins dramatique.
Les spéculateurs de mauvais acabit ont réussi à pervertir un domaine où la pureté est à la base de tout acte créatif. Ils l'ont souillé avec leurs sales magouilles et leur déviant tripotage. Comme la perversité est de nature expansionniste, elle se transmue en une série de perversions aussi répugnantes les unes que les autres. Le plagiat en est la plus obscène: l'un sue pour créer une œuvre originale, l'autre l'imite honteusement. Où est la pureté enchanteresse dans cette attitude défaitiste? Quand le stock des tableaux originaux est épuisé, on fait recours au faux et ce ne sont pas les faussaires qui manquent. Généralement, ce sont des loosers (ratés) qui s'adonnent à ce genre de travestissement pictural. Comme il n'y a pas d'entité de contrôle, la dépravation gagne du terrain. Même le ministère de tutelle dont la sauvegarde du patrimoine pictural national fait partie de ses prérogatives, brille par son laxisme. De nombreuses banques marocaines ont rassemblé des collections de tableaux, mais elles ne savent pas qu’une bonne partie est constituée de faux.
C'est pour cette raison que certains peintres avertis ont pris des dispositions personnelles pour préserver leurs œuvres des griffes des charognards, en cachant une deuxième signature codée sous les couches de peinture et que seuls les rayonnements électromagnétiques (Rayons X, Gamma, UV....) pourraient déceler.



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