L’art de dire non à la folle spéculation
Par RAZAK
William Turner aurait accédé au club restreint des grands fortunés
anglais si, au sommet de la gloire, il avait dit oui au magnat sur-argenté qui
voulait lui acheter toutes ses œuvres, y compris ses carnets de dessins. Il
avait refusé sans regretter son acte. En agissant ainsi, il avait prouvé qu'il
était un vrai artiste et non un vaurien déguisé en plasticien, comme il en
existe par dizaines de nos jours. Turner représente une lignée anti
matérialiste bien rodée, qui sera renforcée par la suite par des écrivains de
renom tels Sartre et Goytisolo. Le premier avait refusé les liasses d’un
fabriquant de dynamite connu sous le nom d’Alfred Nobel, le second avait fait
fi des pétrodollars de Kadhafi. C’étaient des personnages d’une autre trempe.
Rien à voir avec les champions toutes catégories du ready-made qui, mettant le
plus souvent la charrue devant les bœufs, demandent sans vergogne d'être payés
avant de commencer quoi que ce soit et encore faut-il souhaiter que ce qu'ils
improvisent maladroitement soit digne d’intérêt.
Comme en politique, nous regrettons la rareté de telles figures de
proue qui glorifient l'art dans toute sa splendeur, son originalité et sa
probité, loin des marchandages d’épiciers. Turner avait donné une leçon
d’humilité aux faiseurs de petites bricoles. Ce grand peintre avait l'art et la
vertu, comme on disait du compositeur Beethoven. Turner savait que les
bourgeois tuent l'art avec leur possessivité exacerbée. Hormis les portraits de
famille qu'ils exhibent dans une intentionnalité d’autoglorification égotique,
ils laissent les autres œuvres de grands maîtres, parfois achetées à des prix
faramineux, dans la solitude des couloirs poussiéreux et dans l'humidité
nauséabonde des caves souterraines , destinées initialement aux tufs de vin. Or
une œuvre d'art séquestrée de la sorte se détériore rapidement et les avaries
subies affectent inéluctablement la renommée de celui qui l'a réalisée dans
l'ardeur, la suée et peut-être la pauvreté, car les peintres ne sont pas tous
riches.
Futé et conscient de ce qui se tramait dans ces cercles
hermétiques de bourgeois incultes, Turner se révolta contre cette mainmise
capitaliste qui cherchait à dénaturer l'art et asservir la culture en
transformant les œuvres d'art en marchandises obéissant à la loi perfide du
marché. Mais de quel marché peut-on proprement parler, en l'absence des
principaux actants concernés, à savoir les artistes eux-mêmes? Tout marché de
sépultures est, à coup sûr, une mascarade.
Turner voulait que ses tableaux fussent vus par la multitude, en
insistant (autre honorable réflexe d’homme éveillé) sur la gratuité du regard
publique. Ainsi, si l'on prend comme repère éthique et comme ligne de
démarcation cette attitude débonnaire et puis que l'on s'évertue à mesurer les
écarts, l'on se trouvera devant un inextricable enchevêtrement de lignes
tortueuses, de choses décousues et devant un agglomérat d'imbroglios
hideusement manigancés, dont les plus irritants ont tendance à s’éterniser pour
éterniser le gain matériel facile. La gratuité hérisse les gens cupides.
Les fondations dites d'art moderne, dont on constate le croissant
foisonnement à travers le monde sont visées du mauvais doigt. Par diversion,
elles procèdent de deux manières: dans une première étape, on fait montre d'une
générosité exemplaire, en ne lésinant ni sur les moyens logistiques, ni sur les
apparats d'accompagnement, mais avec le temps on découvre le subterfuge. On change
de tactique. On passe à la caisse pour récupérer doublement, voire triplement,
ce qu'on a investi et du coup l'honorable fondation qui affichait une façade
d'utilité publique devient une entité privée. En outre, comme l'ignorance du
monde de l'art favorise de tels errements, ces fondations mal fondées font feu
de tout bois et musée de tout endroit aussi anodin soit-il. Ainsi, de manière
machiavélique, on passe du prestige au postiche. Le business s'occupe du reste.
On s'adonnant à la spéculation, les fondations comme celles que
j'ai vues en Andalousie et ailleurs, perdent un peu de leur éthique pour
sombrer dans le lucratif besogneux , en ne récoltant au bout du processus
matérialiste que du discrédit moral. Exposer la clef de la maison d'un peintre
célèbre relève du comique. Que y a-t-il de muséal dans cette clef au
design grossier? D'autres fondations récemment inaugurées montrent des œuvres
sans le consentement des artistes vivants qui les ont signées et interdisent la
gratuité d’accès aux élèves des beaux arts. Pour le reste, lesdites fondations
devraient en principe acquérir les œuvres pour être en conformité avec leurs
attributs et paraitre plus ’’clean et réglo’’.
Quant aux spéculateurs non institutionnels qui veulent s'enrichir
sur le dos des artistes, ils ont trouvé une ruse qui n'exige qu'un peu de
patience: attendre l'annonce nécrologique de leur décès, pour se lancer dans
leurs ruées cabalistiques. Ils ne le font pas par amour aux défunts et encore
moins pour leurs héritages artistiques, mais par amour du pognon et affairisme
outrancier, que la cupidité ravive sans cesse. On l'a vu avec Modigliani et
avec Van Gogh. Ces deux illustres victimes des charognards de l'art méritaient
un sort moins dramatique.
Les spéculateurs de mauvais acabit ont réussi à pervertir un
domaine où la pureté est à la base de tout acte créatif. Ils l'ont souillé avec
leurs sales magouilles et leur déviant tripotage. Comme la perversité est de
nature expansionniste, elle se transmue en une série de perversions aussi
répugnantes les unes que les autres. Le plagiat en est la plus obscène: l'un
sue pour créer une œuvre originale, l'autre l'imite honteusement. Où est la
pureté enchanteresse dans cette attitude défaitiste? Quand le stock des tableaux
originaux est épuisé, on fait recours au faux et ce ne sont pas les faussaires
qui manquent. Généralement, ce sont des loosers (ratés) qui s'adonnent à ce
genre de travestissement pictural. Comme il n'y a pas d'entité de contrôle, la
dépravation gagne du terrain. Même le ministère de tutelle dont la sauvegarde
du patrimoine pictural national fait partie de ses prérogatives, brille par son
laxisme. De nombreuses banques marocaines ont rassemblé des collections de
tableaux, mais elles ne savent pas qu’une bonne partie est constituée de faux.
C'est pour cette raison que certains peintres avertis ont pris des
dispositions personnelles pour préserver leurs œuvres des griffes des
charognards, en cachant une deuxième signature codée sous les couches de peinture
et que seuls les rayonnements électromagnétiques (Rayons X, Gamma, UV....)
pourraient déceler.
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