« L’homme est un loup pour l’homme ». Quand le philosophe Thomas Hobbes avait repris ce vieux postulat datant de l’antiquité, il voulait marquer le pas et les esprits en s’appuyant sur les faits et méfaits qu’avait apportés le nouveau siècle. Ce contemporain de René Descartes, penseur empiriste après qui Nietzsche le trublion s’inculqua l’audace dans la rigueur de penser et la profondeur dans le décryptage sociologique, ne mâchait pas ses mots.
Comme le postulat est toujours d’actualité, c’est notre tour d’en débattre à la lumière de ce que l’on observe dans les parages immédiats et lointains . L’homme-loup est dangereux parce que c’est un loup-sapiens. La voracité animalière ne lui a pas été transposée par mimesis, comme un réflexe acquis, mais elle existait naturellement dans son instinctive réalité .
«L’homme est un animal politique», disait Aristote. C’est le polissage de cette "instinctivité" animalière qui le rend politique. Sous la contrainte démographique la sociabilité, allant de complexité en complexité, a imposé un tel dressage. Déjà à son époque, Hobbes percevait dans le louvoiement intentionnel des humains un tic de prédateur. Quant à Charles Darwin que les hommes de l’église détestaient avait au moins la préciosité de remplacer le loup par un singe en en faisant un présumé ancêtre de l’homme. Entre le singe et le loup il y a une différence caractérielle notable. Mettez-les ensemble dans une même cage vous verrez ce qui distingue l’un de l’autre. Le singe est beaucoup moins maléfique que le loup et il est d’une docilité exemplaire pour les labos d’analyse comportementale. Un loup-cobaye aurait induit en erreur les chercheurs analystes.
Comme il a été prouvé que les pulsions instinctives guident aveuglément les individus, on ne peut pas vivre en paix avec l’homme-loup et lui faire confiance, car il a la singularité d’appartenir à une espèce hybrides de prédateurs qui savent qu’ils emmagasinent de grands stocks de mal en leur for intérieur. Ils n’en ignorent que le soubassement psychologique.
Avec l’évolution urbanistique les multiples arènes sociétales ont donné à ces créatures complexes l’occasion d’exhiber, avec plus ou moins de facétie, leur caractère loup, à commencer par les spéculateurs de l’immobilier qui font passer les misérables taudis pour des habitations de luxe. Les trucages dans les élections sont l’œuvre malsaine des loups de la tirelire rentière et de l’usurpation du pouvoir. Ne dit-on pas «jeunes loups» pour les plus précoces d’entre eux ? Les sociétés secrètes ont rassemblé dans la clandestinité les plus influents de ces jeunes parvenus dont la droiture n’est pas le trait distinctif.
Dans les nouvelles sociétés germent les graines de l’arnaque et de l’appropriation du bien d’autrui. La justice arrive à peine à juguler le flux délictuel, quand elle n’est pas elle-même noyautée par les loups de la jurisprudence, qui interprètent les textes de loi à leur guise. Ce qui a eu comme conséquence le sentiment d’insécurité et d’inconfort. Portes fermées à clef, coffres-forts dotés de serrures sophistiquées, caméras de surveillance en surnombre, fil barbelé, morceaux de verre encastrés aux murs des toitures, chiens de garde, armes d’auto-défense… bref tout un ensemble de dispositifs si disproportionnés pour un être périssable et minuscule qu’est l’être humain. C’est la courte durée de sa fugace apparition individuelle sur terre qui le rend fou. S’il était un être éternel il n’aurait pas la rage de se jeter dans cette concurrence forcenée, comme un aliéné.
« Dépêche-toi de vivre ou dépêche-toi de mourir », disait Stephen King dans un des ses romans transposés au grand écran.
Derrière cette citation ’’stephennienne’’, il y a un constat sociologique, comme Hobbes en a dressé le sien à son époque. Dans les deux situations, le dualisme zoo-humain est omniprésent. L’altruisme n’est rien devant la rapacité du matérialisme expansionniste dont la mondialisation est devenue une entrave. Les pressés de vivre piétinent les autres avec leur égoïsme exacerbé, les pressés de mourir entrainent avec eux d’autres victimes en appliquant le principe mortuaire de la terre brûlée. Dans les deux cas, on ne sort pas de l’auberge du mal.
En principe, c’est l’amour et l’amitié qui devraient marquer les rapports humains puisque l’intervalle entre naître et mourir est relativement court. Mais les pulsions étant ce qu’elles sont. Elles se laissent durcir sauvagement quand retentit dans les airs le cri de guerre «ce qui tu possèdes doit m’appartenir», suivi du sentencieux leitmotiv «après moi le déluge». Deux signaux arrogants que la frénésie du temps qui passe affole et pervertit. L’éternel conflit entre être et ne pas être, est la source de toutes les morbidités et cupidités. En vérité, c’est le duel entre la finitude morphologique humaine et l’infinitude des désirs possibles qui font pousser du poil du quadrupède chez les bipèdes. Louvoyer insidieusement , tendre des pièges et tromper son prochain font partie de leurs rituels dont les racines plongent dans l’inconscient. Si on était meilleur que les animaux, ils nous auraient imités. Nous serions leurs modèles favoris. Au contraire, ce sont nous qui devrions en imiter les plus câlins et les plus propres comme les chats. Ces félins domestiqués sont plus écolos que les humains. Ils ne jettent pas leurs déjections rectales n’importe où et ils prennent le soin écologique de les enterrer. Quant aux alcoolos-sapiens, qui faute de latrines publiques fragilisent les murailles des monuments historiques avec leur acariâtre urine, ils n’ont pas ce reflexe bienfaiteur des chats. Ils pissent sur les vestiges de leur Histoire.
Autre stance de comparaison : pourquoi les vicieux parmi les humains commettent des actes condamnables de pédophilie alors que les animaux, que de surcroit l’on qualifie de sauvages, restent fidèles à leur nature. Ils respectent leurs petits et ne connaissent pas l’inceste. De même pour la zoophilie, elle ne fait des ravages que chez les prétendus descendants d’Eve et d’Adam.
Ce qui est apparent dans cette dynamique physiologique alimentée par des motivations métaphysiques obscures, c’est la trace de la force de l’envie, sachant que l’on ne connait ni la ligne de traçage, ni l’adresse du traceur. Sigmund Freud rattache ces enchevêtrements de la psyché humaine à l’inconscient avec une proéminence du pulsionnel sexuel sur le pulsionnel végétatif. Son trièdre psychanalytique «Ça-Moi-Surmoi» pivote autour de l’instinct orgasmique.
L’homme peut-il réellement être l’ami de l’homme ? S’il est un loup pour son semblable, comment l’amitié pourrait-elle être effective entre des carnassiers qui font usage plus de leurs canines sadiques que de leurs pensées pacifiques ?
L’homme-loup est un maléfique par essence. Là où il se place il défonce, là où il s’interpose il sème son venin. Les faits qui appuient cette thèse sont très nombreux. La panoplie varie de la plus insignifiante des petites affaires domestiques aux affaires d’État. Le colonialisme c’est l’Etat-loup qui agrandît l’enclos de sa basse-cour. Le désir de possession et l’envie de domination en sont l’ardent les foyers de propagation et d’expansion. L’esclavage et la traite des humains relèvent de la jungle et non de l’humanité débarrassée de sa bestialité innée. Il n’y a pas que le Noirs d’Afrique à souffrir de l’esclavage. Il y a aussi des Blancs qui ont connu les affres de la servitude, soit suite à des invasions ( Gengis Khan en fut le champion des champions ) soit par représailles comme firent Barberousse et les corsaires de Salé des Chrétiens qui s’aventuraient en mer.
Il n’y a pas que le caractère loup dans cette affaire, il y a aussi le caractère chacal. Il devient ignominieux quand les actes commis dépassent un certain degré de sauvagerie.
Notons aussi qu’entre hommes-loups on mène une guéguerre sans fin. Mais quand la force échoue à aligner autrui sur une position bien déterminée on fait recours à la ruse ; et là l’aspect renard entre en jeu et interaction. Le loup-renard c’est la férocité carnassière enveloppée dans le soft animalier et l’homme-loup-renard c’est la calamité marchant sur deux pieds.
Les traquenards et les peaux de bananes ne sont en fait qu’un jeu distrayant pour cet être hybride qui s’en fout carrément des inconséquences. Il rit quand untel perd ses dents dans la chute et il ne montre aucune compatissance envers les femmes éplorées, les misérables et les estropiés. Le monde est plein de poltrons et de requins qui sont en fait des hommes-loups-renards avec des crocs de baleines. Leur emprise transgresse les siècles . C’est ce qui s’est passé dans le monde d’hier et qui se perpétue aujourd’hui devant nos yeux à la fois ébahis et attristés. Le cheval de Troie transcende les époques et les talons d’Achille n’épargnent ni les forts, ni les faibles. Même le Léviathan que Thomas Hobbes présente comme un modèle de puissance absolue a son talon d’Achille. Au moindre fléchissement, il subit le revers de sa suprématie. Les dictateurs les plus sanguinaires, cupides et voraces ont eu ce retournement de situation à une certaine étape de leur vie. Il y en a qui ont été attrapés dans des caniveaux. Les annales les ont jetés dans les poubelles nauséabondes de la postérité revancharde. Ainsi, parti en véritable loup de guerre, Hitler a fini par être une brebis de l’Histoire. On ne sait même pas comment il avait fini ses derniers jours.
Et puis comme les choses se reconnaissent à leur finalité (dans de nombreuses situations finalité rime avec fin) le colonialisme a eu une humiliante fin. Ainsi, brandissant le trident sanguinolent du Léviathan, c’était une entreprise de loups qui avait ses propres idéologues (Colbert, Jules Ferry … ) et missionnaires religieux secrètement politisés (Charles de Foucault …). Quand les vents de la décolonisation ont commencé à souffler sur les cieux des continents les plus colonisés comme l’Afrique, l’Asie orientale et l’Amérique du sud, le recours à la ruse avait assuré un petit chouia de la domination résiduelle, grâce à des actes signés avec des indépendantistes peu scrupuleux et moins vigilants. L’euphorie de l’indépendance leur avait fait oublier le sens de la précision et du détail. L’hécatombe de l’Algérie ne peut être consolée avec des mots compatissants ou un mea culpa vaudevillesque.
Enfin, qu’est-ce qui pousse les humains à réduire en esclavage leurs semblables, si ce n’est le caractère loup, secondé par l’instinct chacal et édulcoré par l’esquive renard ? Si on y ajoute du requin le mélange devient tonnant. Une des premières ruses humaines vis-à-vis des prédateurs de la faune, c’est d’imiter leur cri pour les attraper.
Les auteurs qui comme Ibn Almoqaffa et Jean de la Fontaine faisaient parler les animaux dans leurs livres ne s’étaient pas trompés de conception. Les aventures de l’homme-loup sont infinies. Et il faudrait attende d’autres siècles pour que la mutation de l’homme-loup à l’homme tout court soit envisageable.
RAZAK
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