Friday, October 09, 2020

La cigale covidienne et la fourmi confinée (par RAZAK)


         La cigale ne chante plus. Le corona  a mis un bémol  à son enthousiasme ancestral. Ses derniers bruits ont été entendus sur la terrasse d’un immeuble, quand le confinement avait atteint le trop-plein, au point de se muer en ultimatum liberticide paralysant tout. Un chant de désespoir mêlé aux larmes versées sur les disparus. Ceux et celles que le fléau a épargnés, ne serait-ce que momentanément, n’auront qu’à imiter les fourmis hibernales, si on veut limiter les dégâts.  La fourmi confinée a plus de chance de durer qu’une cigale prise au dépourvu et déboussolée.

La grande  leçon de Maître  Corona, c’est de nous contraindre à nous limiter à l’essentiel vital et existentiel. Les projets extravagants et les initiatives dispendieuses doivent se faire attendre, rien n’urge. Le luxe vient après le végétatif. L’ordre logique est à respecter.

L’autre leçon à inculquer aux gens concerne l’hygiène  individuelle et collective. Le covid-19 est un maniaque de la propreté. Un méticuleux qui n’aime pas  l’insalubrité de nos villes et la saleté de nos bustes anatomiques. On a beau décrier les pourritures mises en vente dans les débits de boisson de Marrakech et de Kenitra, mais il semblait qu’on parlait aux fantômes. Maintenant, la remise à l’ordre des récalcitrants et des trafiquants, c’est chose faite. Elle n’est pas le signe d’un sursaut salutaire de l’administration centrale, mais une obligation d’extrême urgence, puisque c’est  Corona-Damoclès qui l’a décidé triomphalement, en brandissant son intransigeante épée. On doit le remercier, pour cette prouesse. Comme problème épineux à résoudre,  la pédophilie a besoin d’un corona d’une autre  génétique. 

 Disons-le en toute franchise, l’apparition de ce virus n’a pas que du mauvais. Cette propreté légendaire imposée au commun des mortels et aux particuliers est une de ses vertus. Et vu son importance, le chlore est devenu l’atome-roi. De toute la garniture chimique du  tableau de Mendeleïev l’élément «cl»   est le plus apprécié actuellement, malgré la nocivité du gaz à des doses trop concentrées. Découvert par le suédois  Carl Wilhem  et baptisé « chlore » par le britannique  Humphry Davy,  ce corps chimique pourvu de capacités bactéricides  phénoménales  entre dans la composition de nombreux désinfectants à commencer par l’eau de javel. Les distributeurs d’eau potable et les ménages ne peuvent pas se passer de ce précieux désinfectant et de ce puissant stérilisant. Le médicament dont Raout, le viking marseillais, ne tarit pas d’éloge  exhibe du « chloro » dans son appellation scientifique. En effet, la formule brute de la chloroquine   contient en plus du chlore,  du carbone,  de l’hydrogène et de l’azote.     

Que dire maintenant à un stade où  le cycle covidien a pris place dans l’orbite épidémiologique aux côtés des autres corpuscules de la constellation bio-virale ? La familiarisation est devenue une nécessité absolue, étant donné que la ligne en pointillé du début  est devenue, elle aussi, du gras souligné qui crève l’œil. Le « serial killer »  vit en nos murs.

Cette familiarisation  impose son jargon spécifique. On peut parler  de corona-mètre  et de corona-stat comme  les électriciens et les hydrauliciens  parlent de voltmètre et de pressostat. La montée en flèche des chiffres enregistrés, depuis le déclenchement de la pandémie et  leur constante évolution  justifient  le recours à cet  arsenal de métrologie épidémiologique. Et tant que la médecine moderne  n’arrive pas à  y mettre un terme, il sera l’étalon de prédilection.  Ainsi, si le corona-mètre mesure l’ampleur de la propagation,  le corona-stat évalue la pression exercée sur les citoyens du plus notable au plus ignoré.

Les musiciens et  les animateurs de soirées  font partie de cette dernière catégorie que le  « Ko–vid » a  jetée sur le pavé. (Le Ko dont s’orne cette formule est emprunté au jargon de la boxe).

Au Maroc, les mesures mises en vigueur  par les autorités sanitaires ont eu des répercussions néfastes sur les artistes  bohémiens. Certains musiciens  ont dû vendre leur instrument  pour subsister. Et comme un  malheur ne vient jamais seul,  le ministère de tutelle a mis le feu à la poudrière, en rendant publique la liste des chanteurs bénéficiant de l’aide de l’Etat. De grosses sommes ont été distribuées à une minorité de privilégiés par une commission controversée,  brillant tant par son sectarisme que par sa frivolité.

L’ire des mécontents grandit au sein de cette population qui mérite un sort bien meilleur. Les plus lésés   élèvent la voix pour réclamer le partage équitable du don publique et le jugement des membres de la dite commission. Ce ministère se cache derrière ces commissions qu’il a créées de toutes pièces, en les manipulant à sa guise, puisque c’est lui  qui  tire les ficelles dans les coulisses. Ce serait un miracle si l’humoriste et chanteur de théâtre comique Ahmed Senoussi (alias  Bziz) profitait de ses largesses. Mai cet artiste militant a vite compris le jeu. Il a pris ses distances, pour éviter  l’humiliation .

Feu  docteur Mahdi Elmandjra avait dénoncé la perversité  de ce qu’il appelait  « lajno-cratie » (du mot arabe ’’lajna’’ signifiant commission ) . Avec cet imbroglio bureaucratique , on ne sait plus qui décide. Tout jugement doit  commencer par les manipulateurs avant les manipulés.  

Nous avons dit et répété que l’artiste n’a besoin que de liberté pour prospérer. Cette acception concerne les temps normaux. Les prébendes rentières (charité publique) diminuent de son aura et sa popularité. La servilité tue l’art. Seulement cette fois on peut faire exception à cette acception. En temps de crise et de pandémie paralysante, on peut recourir à l’aide publique. Ceux qui ont suivi la cigale dans son insouciance sans mener en parallèle un rituel  de fourmi laborieuse sachant garder  le rial blanc  pour le jour noir, sont menacés de mendicité et de famine.

RAZAK 

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