Monday, December 25, 2017

Cinecittà entre le péplum et l’enclume Par RAZAK (journal L'Opinion)



Qu’est-elle devenue Cinecittà, la fameuse cité italienne de tournage cinématographique où furent tournés ''Ben Hur'', ‘’Quo Vadis’’  et  ’’La Guerre de Troie’’ ?
Incendiée en 2009, on l’a réhabilitée pour sauver les apparences, car l’essentiel de sa courte vie est derrière elle. La Cinecittà reliftée diffère de celle qu'une fuite électrique ou une main criminelle aurait  calcinée. Avant le sinistre, et avant même d’intégrer l’Espace Schengen,  elle avait commencé à donner des signes d’agonie. Elle n'avait pas pu résister à l’inflation. Le déficit était  énorme. Cette inflation n'avait  pas été provoquée par la chute brutale de la lire italienne, mais par le déclin cinéphilique sans précédent que connut cette péninsule où les arts du spectacle avaient connu à une certaine époque  un essor remarquable, qui fit des envieux et des émules dans toute l’Europe. Quand on parlait de l’opéra, on pensait à Pavarotti et quand on causait du cinéma européen, le nom de Fellini revenait sans cesse dans ces discussions cinéphiliques. Aujourd’hui, l’engouement  pour l’art de la scène semble céder la place aux nécessités  du végétatif. Il y a encore quelques  survivances éparses et disparates,  mais ce n’est  pas comme jadis.  
Pourquoi faire des films, s'il n'y a personne dans les salles pour les regarder ? Cette logique a gelé  le sang dans les veines de Cinecittà. Quand elle a rouvert à nouveau ses portes en 2011, la nostalgie s'est emparée des rêveurs parmi les rares ciné-investisseurs qui sont restés accrochés aux lumières du passé. Mais ces professionnels du cinoche ne savent pas ou feignent d’ignorer, que la donne a complètement et radicalement changé. Les péplums qui avaient fait sa gloire, c'est désormais, de  l'histoire ancienne. Par ailleurs, avant l’incendie, on en était  à la saturation. Les ''Cléopâtre'',  ''Hercule'' et ''Ulysse'' avaient été copieusement cinématographiés à l’overdose. Il n'y a plus d'autres Odyssées et l'Iliade a été mille fois feuilletées par les adaptateurs du plus routinier  au plus ambitieux.
A moins de jouer aux amnésiques pour reprendre tous les  remakes, mais dans ce cas, on risque de tomber dans la répétition et la redondance, choses qui ont été derrière la débâcle que connait le cinéma mondial d’aujourd’hui. Comme par malédiction, l’originalité a cédé la place à la  falsification.
Quand les péplums ont expiré, le western italien, ( genre ’’Trinita’’ ou ’’Django ’’ ) voulait prendre la relève, mais il n’ y parvenait que partiellement et sporadiquement,  parce que fantaisiste et d’un intrigue superficielle, il ne plaisait pas aux Américains, qui disposaient des plus grands distributeurs de la planète. Même chez eux, le western est tombé en désuétude, par rapport aux années 50 où il fut apprécié par la multitude. Le dernier western crépusculaire remonte à plus de trois décennies. Par ailleurs, les gros producteurs  américains qui veulent investir dans le genre préfèrent , pour le tournage de leurs films, le ''Canyon Walley'' et le Mexique, pays voisin dont l'histoire et la géographie sont proches de ce qui est décrit dans les scripts. Le  Rio Grande ( prononcer grande en espagnol ) , fleuve-frontière,  est évoqué dans une multitude de films westerns. Alors pourquoi aller plus loin  quand les parages du Colorado et du Mississipi offrent des opportunités insoupçonnées et présentent des atouts considérables ?  Le cinéaste prolixe John Ford a fait du ''Canyon Walley'' un studio plein-air pour ses films de cow-boys et de cavaleries Yankee.      
Actuellement, Cinecittà est devenue l’ombre d’elle même. Elle ne fait que vivoter. Le loisir remplace la fluidité des tournages. Une manière de se recueillir sur un cinéma décédé avant le temps. Le tragique avait  été imprimé dans ses gènes dès le premier vagissement. Elle avait une naissance perturbée. Créée par Mussolini en 1936, pour concurrencer  Hollywood,  les intellectuels antifascistes de l’après-guerre ne voulaient pas d'un héritage embarrassant, légué par un farouche allié d'Hitler.  Vaincue dans ce challenge, la pauvre Cinecittà n'avait eu comme alternative que de livrer son sort à la magnanimité des  amateurs de cinéma,  restés fidèles au grand écran et à la générosité de quelques producteurs de films se souciant peu de la rentabilité de leur mise. Cela ne pouvait pas durer longtemps, d'où l'inévitable débandade. Cinecittà a été condamnée à l'oubli. De nombreux  travailleurs de cette usine de fabrication des images ont été jetés au chômage forcé . Le personnel qui y travaille actuellement  ne représente  qu’une infime fraction de ce qu’il était  autrefois. 
Ce complexe de tournage a eu a eu une vie en dents de scie, avec des hauts exaltants et des bas inquiétants. Ainsi,  comme par malédiction, un grand dépôt de ferrailles occupe actuellement son voisinage immédiat. Cette fourrière de la casse où les sons d’enclume étouffent les sons épiques  des  péplums commence à nuire au peu qui reste de sa vocation primordiale. On raconte même qu'on a failli en faire un complexe hôtelier, pour fermer à jamais son journal de tournage. Cette mutation contre nature aurait été une honteuse incongruité pour un pays qui a enfanté des génies de cinéma tels Fellini, Vittorio De Sica , Visconti , Pasolini et Sergio Leone.
        C’est en fait un des premiers désagréments que la capitale italienne a réservés à mon furtif passage, du mois de janvier 2016. Je voulais assister à d'éventuels tournages, je trouvais  un sarcophage, enjolivé par les apparats de circonstance. Certes, les hectares fonciers ont été épargnés, et les pavillons remis au goût du jour, avec plus ou moins de sobriété, mais ce qui ont disparu ce sont le cœur et l’âme du cinéma, c'est-à-dire l'art de faire les grandes  fresques cinématographiques comme jadis, avec le concours des bons metteurs en scène et des meilleurs décorateurs-accessoiristes. Hormis quelques sériés télévisées où le simulacre historique  prend le dessus sur les  faits réels, les locataires ne se bousculent pas devant le portail. Le cinéma de masse qu’elle alimentait avec de nets bénéfices, a été  jeté aux calendes grecques.  Certes, elle refait surface, mais il lui est  difficile de surmonter la pente, notamment  à une époque conquise totalement par le digital et où le numérique dans tous ses états s'est accaparé tous les substrats imagés, urbains et ruraux. La cinéphilie de salle subit toujours la même érosion dévastatrice. Comme alternative salutaire, il ne lui reste que la voie muséale où les visiteurs se laisseraient émouvoir nonchalamment  par sa courte histoire. Ainsi, comme le Colosseo, elle raviverait la mémoire collective.
Qui s’assemble se ressemble,  Cinecittà et le Colisée  ont toujours fait bon voisinage, malgré leur relatif éloignement sur la carte de la ville dont la légende dit  qu’elle est éternelle. L’une est parodie de l’autre. En  effet, comme vestige d’une époque avide de conquêtes et de sang, l’ex-arène de gladiateurs bâtie par Vespasien et achevée par son fils Titus avec le butin des conquêtes, a été plusieurs fois ressuscitée par Cinecittà. Les bobines archivées dans les  cinémathèques en témoignent. Son histoire se confond avec les drames humains qu’elle abritait. C’était un véritable mouroir. Son sol s’est longtemps imbibé du sang des duellistes. On s’y entretuait devant les  regards amusés des anciens Romains, avec à leur tête l’insolent empereur Jules César et son entourage immédiat qui cachait à peine son tempérament sadique. On se délectait de la mort d’autrui. Ce  torero à la romaine faisait jouir , outre mesure,  les sujets de l’ex-empire. Seuls, les plus forts ayant l’agilité surhumaine et la chance d’échapper aux griffes d’un lion féroce ou au trident pointu d’un adversaire en furie en sortaient indemnes, affranchis de l’esclavage et éventuellement couverts de lauriers du vainqueur.
Cinecittà va inéluctablement dans le sillage archéologique du Colisée, avec la primauté du touristique sur le cinématographique. Peut-être, le futur « Musée Cinecittà » trouverait dans sa  nouvelle orientation  une autre raison d’être.

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