Qu’est-elle devenue Cinecittà, la fameuse
cité italienne de tournage cinématographique où furent tournés ''Ben Hur'',
‘’Quo Vadis’’ et ’’La Guerre de Troie’’ ?
Incendiée en 2009, on l’a réhabilitée pour
sauver les apparences, car l’essentiel de sa courte vie est derrière elle. La
Cinecittà reliftée diffère de celle qu'une fuite électrique ou une main
criminelle aurait calcinée. Avant le
sinistre, et avant même d’intégrer l’Espace Schengen, elle avait commencé à donner des signes
d’agonie. Elle n'avait pas pu résister à l’inflation. Le déficit était énorme. Cette inflation n'avait pas été provoquée par la chute brutale de la
lire italienne, mais par le déclin cinéphilique sans précédent que connut cette
péninsule où les arts du spectacle avaient connu à une certaine époque un essor remarquable, qui fit des envieux et
des émules dans toute l’Europe. Quand on parlait de l’opéra, on pensait à
Pavarotti et quand on causait du cinéma européen, le nom de Fellini revenait
sans cesse dans ces discussions cinéphiliques. Aujourd’hui, l’engouement pour l’art de la scène semble céder la place
aux nécessités du végétatif. Il y a
encore quelques survivances éparses et
disparates, mais ce n’est pas comme jadis.
Pourquoi faire des films, s'il n'y a personne
dans les salles pour les regarder ? Cette logique a gelé le sang dans les veines de Cinecittà. Quand
elle a rouvert à nouveau ses portes en 2011, la nostalgie s'est emparée des
rêveurs parmi les rares ciné-investisseurs qui sont restés accrochés aux
lumières du passé. Mais ces professionnels du cinoche ne savent pas ou feignent
d’ignorer, que la donne a complètement et radicalement changé. Les péplums qui
avaient fait sa gloire, c'est désormais, de
l'histoire ancienne. Par ailleurs, avant l’incendie, on en était à la saturation. Les ''Cléopâtre'', ''Hercule'' et ''Ulysse'' avaient été
copieusement cinématographiés à l’overdose. Il n'y a plus d'autres Odyssées et
l'Iliade a été mille fois feuilletées par les adaptateurs du plus
routinier au plus ambitieux.
A moins de jouer aux amnésiques pour
reprendre tous les remakes, mais dans ce
cas, on risque de tomber dans la répétition et la redondance, choses qui ont
été derrière la débâcle que connait le cinéma mondial d’aujourd’hui. Comme par
malédiction, l’originalité a cédé la place à la
falsification.
Quand les péplums ont expiré, le western
italien, ( genre ’’Trinita’’ ou ’’Django ’’ ) voulait prendre la relève, mais
il n’ y parvenait que partiellement et sporadiquement, parce que fantaisiste et d’un intrigue
superficielle, il ne plaisait pas aux Américains, qui disposaient des plus
grands distributeurs de la planète. Même chez eux, le western est tombé en
désuétude, par rapport aux années 50 où il fut apprécié par la multitude. Le
dernier western crépusculaire remonte à plus de trois décennies. Par ailleurs,
les gros producteurs américains qui
veulent investir dans le genre préfèrent , pour le tournage de leurs films, le
''Canyon Walley'' et le Mexique, pays voisin dont l'histoire et la géographie
sont proches de ce qui est décrit dans les scripts. Le Rio Grande ( prononcer grande en espagnol ) ,
fleuve-frontière, est évoqué dans une
multitude de films westerns. Alors pourquoi aller plus loin quand les parages du Colorado et du
Mississipi offrent des opportunités insoupçonnées et présentent des atouts
considérables ? Le cinéaste prolixe John
Ford a fait du ''Canyon Walley'' un studio plein-air pour ses films de cow-boys
et de cavaleries Yankee.
Actuellement, Cinecittà est devenue l’ombre
d’elle même. Elle ne fait que vivoter. Le loisir remplace la fluidité des tournages.
Une manière de se recueillir sur un cinéma décédé avant le temps. Le tragique
avait été imprimé dans ses gènes dès le
premier vagissement. Elle avait une naissance perturbée. Créée par Mussolini en
1936, pour concurrencer Hollywood, les intellectuels antifascistes de
l’après-guerre ne voulaient pas d'un héritage embarrassant, légué par un
farouche allié d'Hitler. Vaincue dans ce
challenge, la pauvre Cinecittà n'avait eu comme alternative que de livrer son
sort à la magnanimité des amateurs de
cinéma, restés fidèles au grand écran et
à la générosité de quelques producteurs de films se souciant peu de la
rentabilité de leur mise. Cela ne pouvait pas durer longtemps, d'où
l'inévitable débandade. Cinecittà a été condamnée à l'oubli. De nombreux travailleurs de cette usine de fabrication des
images ont été jetés au chômage forcé . Le personnel qui y travaille
actuellement ne représente qu’une infime fraction de ce qu’il était autrefois.
Ce complexe de tournage a eu a eu une vie en
dents de scie, avec des hauts exaltants et des bas inquiétants. Ainsi, comme par malédiction, un grand dépôt de
ferrailles occupe actuellement son voisinage immédiat. Cette fourrière de la
casse où les sons d’enclume étouffent les sons épiques des
péplums commence à nuire au peu qui reste de sa vocation primordiale. On
raconte même qu'on a failli en faire un complexe hôtelier, pour fermer à jamais
son journal de tournage. Cette mutation contre nature aurait été une honteuse
incongruité pour un pays qui a enfanté des génies de cinéma tels Fellini,
Vittorio De Sica , Visconti , Pasolini et Sergio Leone.
C’est en fait un des premiers désagréments que la capitale italienne a
réservés à mon furtif passage, du mois de janvier 2016. Je voulais assister à
d'éventuels tournages, je trouvais un
sarcophage, enjolivé par les apparats de circonstance. Certes, les hectares
fonciers ont été épargnés, et les pavillons remis au goût du jour, avec plus ou
moins de sobriété, mais ce qui ont disparu ce sont le cœur et l’âme du cinéma,
c'est-à-dire l'art de faire les grandes fresques
cinématographiques comme jadis, avec le concours des bons metteurs en scène et
des meilleurs décorateurs-accessoiristes. Hormis quelques sériés télévisées où
le simulacre historique prend le dessus
sur les faits réels, les locataires ne
se bousculent pas devant le portail. Le cinéma de masse qu’elle alimentait avec
de nets bénéfices, a été jeté aux
calendes grecques. Certes, elle refait
surface, mais il lui est difficile de
surmonter la pente, notamment à une
époque conquise totalement par le digital et où le numérique dans tous ses
états s'est accaparé tous les substrats imagés, urbains et ruraux. La
cinéphilie de salle subit toujours la même érosion dévastatrice. Comme
alternative salutaire, il ne lui reste que la voie muséale où les visiteurs se
laisseraient émouvoir nonchalamment par
sa courte histoire. Ainsi, comme le Colosseo, elle raviverait la mémoire
collective.
Qui s’assemble se ressemble, Cinecittà et le Colisée ont toujours fait bon voisinage, malgré leur
relatif éloignement sur la carte de la ville dont la légende dit qu’elle est éternelle. L’une est parodie de
l’autre. En effet, comme vestige d’une
époque avide de conquêtes et de sang, l’ex-arène de gladiateurs bâtie par
Vespasien et achevée par son fils Titus avec le butin des conquêtes, a été
plusieurs fois ressuscitée par Cinecittà. Les bobines archivées dans les cinémathèques en témoignent. Son histoire se
confond avec les drames humains qu’elle abritait. C’était un véritable mouroir.
Son sol s’est longtemps imbibé du sang des duellistes. On s’y entretuait devant
les regards amusés des anciens Romains,
avec à leur tête l’insolent empereur Jules César et son entourage immédiat qui
cachait à peine son tempérament sadique. On se délectait de la mort d’autrui.
Ce torero à la romaine faisait jouir ,
outre mesure, les sujets de l’ex-empire.
Seuls, les plus forts ayant l’agilité surhumaine et la chance d’échapper aux
griffes d’un lion féroce ou au trident pointu d’un adversaire en furie en
sortaient indemnes, affranchis de l’esclavage et éventuellement couverts de lauriers
du vainqueur.
Cinecittà va inéluctablement dans le sillage
archéologique du Colisée, avec la primauté du touristique sur le
cinématographique. Peut-être, le futur « Musée Cinecittà » trouverait dans
sa nouvelle orientation une autre raison d’être.
No comments:
Post a Comment