Le
Goncourt n’est pas le Pulitzer, mais ça reste quand même une sérieuse
référence, pour la carrière de la jeune
romancière franco-marocaine, Leïla
Slimani. Cette ancienne élève du lycée Descartes de Rabat, a fait son
choix et c’est son droit le plus absolu.
Nul ne doit lui reprocher quoi que ce
soit. On n’est pas en foot où le
sélectionneur national court derrière
les binationaux, pour les intégrer à son équipe. L’écrivaine à la
chevelure Hendrix étonne, avec sa manière de faire détonner les mots. Cette
coqueluche du nouveau roman féminin a réussi,
en peu de temps, à se faire un nom au sein du microsome parisien, qui,
comme chacun sait, est devenu de plus en
plus hermétique et austère, faute de
lectorat massif. Rares sont ceux qui y percent.
Son deuxième roman « Chanson douce »
devrait être titré « Chanson aigre-douce », car il s’achève dans le sang. Déjà remarquée en 2014, avec son premier
roman « Dans le jardin de l’ogre », elle fait éclater tout son talent de
narratrice, dans le second, paru en mai 2016, chez le même éditeur (Gallimard)
et qui a été récompensé par ce prix littéraire si convoité par les
professionnels du livre, pour doper leurs ventes en Hexagone.
Ainsi, comme ceux et celles qui
réussissent, elle a fait l’objet d’attaques virulentes et gratuites. Ses idées
progressistes font peur à l’establishment
religieux. Elle a riposté avec fracas aux réfractaires, en donnant à
lire un brûlot, plus terre à terre,
puisque loin de toute fiction, il s’attaque aux
tabous sexuels, et qui à peine publié (2017), l’essai déclenche une polémique proche de la vendetta, comme
cela s’était déjà passé avec Mernissi et Noûmane-Guessous.
Tous ces cris de haine que le
chauvinisme le plus éculé envenime, relève de l’étroitesse d’esprit.
L’ésotérisme iconoclaste en amplifie et répand la terreur, dans un
conservatisme maladif et contreproductif. A chaque fois qu’un
journaliste doublé d’écrivain ose s’attaquer aux tabous séculaires, que
les traditions religieuses rendent compacts, épais et encombrants (sexe,
alcool, jeux du hasard, hégémonisme patriarcal, confréries ésotériques, mixité
et partage des biens hérités … ) on crie au scandale et au complot. Ces
conservateurs hérissés par l’élan progressiste de la jeune romancière, ne lisent pas et puis même en essayant de
lire, ils ne parviendront pas à tout saisir. Car la langue qu’elle utilise
exige un certain raffinement et un certain niveau, pour pouvoir visualiser les nuances et comprendre le sens des mots. On parle du livre primé, bien évidemment et non
pas de son dernier livre, que nous lirons à tête reposée. Pourvu qu’il
soit disponible dans les librairies marocaines.
Étant pour la liberté d’expression,
rien ne m’en offusquerait. En outre, un écrit reste un écrit. Une sorte de
parodie de la vie. Je me demande toujours pourquoi les frileux ont peur des mots ? On larmoie sur le sort de Cosette et de sa mère Fantine
que les temps durs ont larguée dans la prostitution, mais on fait le
dur-hermétique, quand il s’agit d’aveux
de femmes marocaines, relatés avec fidélité par une journaliste, à qui elles
ont fait confiance. Et puis si les femmes souillées ne comptent pas, alors que
les femmes parfaites, aux mœurs pures
veuillent vouloir nous gratifier
d’un livre de démenti, au lieu de tout ce charivari obsolète, qui n’honore pas
le pays. L’antidote d’un écrit ne peut être que de l’écriture, sachant qu’en
général, pour les écrits romanesques,
poétiques, prosodiques, monographiques et les essais, il y a une préférence pour les
lecteurs avisés que sont les critiques
littéraires. C’est leur credo et non
celui des barbus incultes et
liberticides, que l’inquisition taraude
de l’intérieur. »
Leïla
Slimani n’est pas du genre à se faire des ennemis pour rien. Si elle
s’attaque à un tabou quelconque, c’est
qu’en tant que femme, elle y ressent l’impérieuse nécessité. Elle a assez d’intelligence pour
ne pas jouer aux dupes. Est-ce un hasard si le nouveau patron de l’Elisée,
s’est vite emparé d’elle, comme une des ses proches collaboratrices. ?
Cependant l’on souhaite, que
l’exercice politique, à long terme, ne lui soit pas fatal et payant. En tant que chantre des frustrées et des
laissées pour compte, elle aurait mieux à faire, en parlant dans ses futurs
ouvrages, de ces minorités soufrant en France de marginalité et d’exclusion. Ce
serait plus impactant que de perdre son
temps dans des commissions multipartites où -municipalisme oblige- on
saute du coq à l’âne et de l’âne au robinet. L’écrivain et le politicien, font
rarement bon ménage. Ce n’est pas le
même créneau. L’un est conditionné par la conjoncture électorale, qui
dépend des particularismes du moment,
notamment quand le vote n’est pas
truqué, l’autre est interpellé
par la postérité pérenne. Par ailleurs,
tous les écrivains qui se sont essayés à la politicaillerie y ont laissé des
plumes. Tandis que ceux qui se sont
inspirés des failles des politiciens, en ont eu une glorieuse considération.
Avant de lire le roman, et vu le
tollé absurde fomenté par certaines plumes buveuses d’encre, de surcroit monolingues, je m’étais dit : « surement, il y a assez de Lolitas déshabillées et
d’orgies, pour ameuter ces vicieux qui jouent aux pudibonds ». Je n’ai trouvé
dans le récit que pudeur et chasteté. Le sexe n’est esquissé qu’en pointillé.
Même Stéphanie, la fille rebelle que Louise, l’héroïne du roman, n’arrive pas à
maitriser comme mère, est décrite avec une sobriété pudique. Une fille qui
prend des joints perd sa virginité très tôt. Ça c’est connu. Mais l’auteure a
évité de transcrire la débauche qui en découlerait. Wafa la Casablancaise est décrite, elle
aussi, avec subtilité : « Wafa fait penser à une espèce de gros félin peu
subtil mais très débrouillard. Elle n’a pas encore de papiers et ne semble pas
s’en inquiéter. Elle est arrivée en France grâce à un vieil homme à qui elle
prodiguait des massages, dans un hôtel louche de Casablanca. » (p115)
Que devrions-nous déduire de ces «
massages dans un hôtel louche » ? A part le sexe, le « louche » insinué ne
renverrait à rien. Mais l’auteure n’a
pas dit prostituée, pour donner une opportunité au doute, en laissant au
lecteur le choix de deviner ce qu’il veut. Il y assez de clignotants pour
visualiser la scène.
Leïla
Slimani a surement lu Maupassant,
puisqu’elle le cite (p 119). Et en finissant le dernier chapitre du roman où le
crime est décrit avec plus de réalisme, on pense au chef d’œuvre « Le rideau cramoisi » du grand
maître du suspense Barbey Aurevilly. Bien évidemment, la comparaison paraitrait un peu farfelue,
car le style d’écriture et l’intrigue ne sont pas les mêmes.
L’éditeur qualifie de sec, son style
d’écriture.Mais il ne s’agit pas d’une romance à l’eau de rose, mais du
pourrissement progressif du caractère d’une femme serviable à l’excès, mais qui
passe de la docilité exemplaire à l’indocilité meurtrière. Toutefois, il a raison de signaler dans le petit résumé de
la deuxième couverture: « c’est notre époque qui se révèle, avec sa conception
de l’amour et de l’éducation, des rapports de domination et d’argent, des
préjugés de classe ou de culture. »
Les affres de l’existence ne laissent à la nounou tiraillée de toutes
parts, aucune alternative. On a renvoyé sa fille du collège, les Massé, un
couple égoïste, qu’elle n’a que trop
servi ne veut plus d’elle. Alizard, le propriétaire avare et bavard lui donne
huit jours, pour libérer le studio qu’elle occupe. On sentait la pression
monter. Le drame paraissait inévitable.
Mais il n’y a pas que du noir dans ce roman, paru dans la
collection « Blanche » et qui change de texture, pour en arborer, aux derniers paragraphes, celle du thriller
policier. Slimani use d’un humour
discret : « Elle travaillait alors chez M. Frank, un peintre qui vivait avec sa
mère dans un hôtel particulier du quatorzième arrondissement. »(p108). Un peintre
au sevrage maternel tardif, ça pourrait exister dans la France cosmopolite d’aujourd’hui où tous les
énergumènes, aussi extravagants les uns que
les autres, cohabitent. Durant
les séjours parisiens, j’en ai vu de
plus de plus singuliers et de plus clownesques. Mais excepté les roublards, ils
sont inoffensifs.
La phrase la plus poétique du
roman est : « Ses mains sur lesquelles jamais le vernis ne
s’écaille. » (P105). Le descriptif documentaire s’intercale comme suit : « Les
squares, les après-midi d’hiver, sont hantés par les vagabonds, les clochards,
les chômeurs et les vieux, les malades, les errants, les précaires. Ceux qui ne
travaillent pas, ceux qui ne produisent rien. Ceux qui ne font pas d’argent. »
(p113). On ne peut pas écrire ces choses-là, si on ne les a pas vues.
De la compassion, on passe au
drame. A la page 169, on découvre
que l’affectueuse nounou Louise est
accusée d’avoir tué les deux enfants Adam et Mila, alors que le début du roman
n’en esquisse que la silhouette évasive, en pointillé sans croire que cette
femme puisse en arriver là.
Le roman s’achève avec cette phrase
mystérieuse, insidieuse et pleine de dérision : « Les enfants, venez. Vous
allez prendre un bain. » . Un refrain morbide nous y prépare dès la page 213 : « Il faut que quelqu'un meure. Il faut
que quelqu'un meure pour que nous soyons heureux. » De toutes les prémonitions étayées le long du
récit, celle du meurtre sort du domaine du prévisible, pour sombrer dans l’absolue incongruité.
Un bain de sang, cela se devine,
puisque qu’on est aux reconstituions policières qui précédent la condamnation.
Cela se déroule dans un appartement de la rue d’Hauteville, théâtre sordide de
ce double homicide, commis par une femme laborieuse, qui aime trop s’occuper de
la progéniture d’autrui, mais qui oublie de s’occuper de la sienne.
No comments:
Post a Comment