Saturday, December 30, 2017

Journal L'Opinion: La chanson aigre-douce de Leïla Slimani Par RAZAK


Le  Goncourt n’est pas le Pulitzer, mais ça reste quand même une sérieuse référence, pour la carrière de la jeune  romancière franco-marocaine, Leïla  Slimani. Cette ancienne élève du lycée Descartes de Rabat, a fait son choix et c’est son  droit le plus absolu. Nul ne doit lui  reprocher quoi que ce soit.  On n’est pas en foot où le sélectionneur  national court  derrière  les binationaux,  pour les  intégrer à son équipe. L’écrivaine à la chevelure Hendrix étonne, avec sa manière de faire détonner les mots. Cette coqueluche du nouveau roman féminin a réussi,  en peu de temps, à se faire un nom au sein du microsome parisien, qui, comme chacun sait,  est devenu de plus en plus  hermétique et austère, faute de lectorat massif. Rares sont ceux qui y percent.

Son deuxième roman « Chanson douce » devrait être titré « Chanson aigre-douce », car il s’achève dans le sang.  Déjà remarquée en 2014, avec son premier roman « Dans le jardin de l’ogre », elle fait éclater tout son talent de narratrice, dans le second, paru en mai 2016, chez le même éditeur (Gallimard) et qui a été récompensé par ce prix littéraire si convoité par les professionnels du livre, pour doper leurs ventes en Hexagone.

Ainsi, comme ceux et celles qui réussissent, elle a fait l’objet d’attaques virulentes et gratuites. Ses idées progressistes font peur à l’establishment  religieux. Elle a riposté avec fracas aux réfractaires, en donnant à lire un brûlot, plus terre à  terre, puisque loin de toute fiction, il s’attaque aux  tabous sexuels, et qui à peine publié (2017), l’essai déclenche  une polémique proche de la vendetta, comme cela s’était déjà passé avec Mernissi et Noûmane-Guessous.

Tous ces cris de haine que le chauvinisme le plus éculé envenime, relève de l’étroitesse d’esprit. L’ésotérisme iconoclaste en amplifie et répand la terreur, dans un conservatisme maladif et contreproductif. A chaque  fois qu’un  journaliste doublé d’écrivain ose s’attaquer aux tabous séculaires, que les traditions religieuses rendent compacts, épais et encombrants (sexe, alcool, jeux du hasard, hégémonisme patriarcal, confréries ésotériques, mixité et partage des biens hérités … ) on crie au scandale et au complot. Ces conservateurs hérissés par l’élan progressiste de la jeune romancière,  ne lisent pas et puis même en essayant de lire, ils ne parviendront pas à tout saisir. Car la langue qu’elle utilise exige un certain raffinement et un certain niveau, pour pouvoir visualiser  les nuances et comprendre le sens des mots.  On parle du livre primé, bien évidemment et non pas de son dernier livre, que nous lirons à tête reposée.  Pourvu qu’il  soit disponible dans les librairies marocaines.

Étant pour la liberté d’expression, rien ne m’en offusquerait. En outre, un écrit reste un écrit. Une sorte de parodie de la vie. Je me demande toujours pourquoi les frileux ont peur  des mots ? On larmoie  sur le sort de Cosette et de sa mère Fantine que les temps durs ont larguée dans la prostitution, mais on fait le dur-hermétique, quand il s’agit  d’aveux de femmes marocaines, relatés avec fidélité par une journaliste, à qui elles ont fait confiance. Et puis si les femmes souillées ne comptent pas, alors que les femmes parfaites, aux mœurs pures  veuillent vouloir nous  gratifier d’un livre de démenti, au lieu de tout ce charivari obsolète, qui n’honore pas le pays. L’antidote d’un écrit ne peut être que de l’écriture, sachant qu’en général, pour les  écrits romanesques, poétiques,  prosodiques,  monographiques  et les essais, il y a une préférence pour les lecteurs avisés que sont les critiques  littéraires. C’est leur credo et non  celui des  barbus incultes et liberticides, que l’inquisition taraude  de l’intérieur. »

Leïla  Slimani n’est pas du genre à se faire des ennemis pour rien. Si elle s’attaque à un tabou quelconque,  c’est qu’en tant que femme, elle y ressent l’impérieuse  nécessité. Elle a assez d’intelligence pour ne pas jouer aux dupes.  Est-ce un  hasard si le nouveau patron de l’Elisée, s’est vite emparé d’elle, comme une des ses proches collaboratrices. ? Cependant  l’on souhaite,  que   l’exercice politique, à long terme, ne lui soit pas  fatal et payant.  En tant que chantre des frustrées et des laissées pour compte, elle aurait mieux à faire, en parlant dans ses futurs ouvrages, de ces minorités soufrant en France de marginalité et d’exclusion. Ce serait plus impactant  que de perdre son temps  dans des commissions  multipartites où -municipalisme oblige- on saute du coq à l’âne et de l’âne au robinet. L’écrivain et le politicien, font rarement bon ménage. Ce n’est  pas le même créneau. L’un est conditionné par la conjoncture électorale, qui dépend  des particularismes du moment, notamment quand le vote n’est pas  truqué,  l’autre est interpellé par la postérité pérenne.  Par ailleurs, tous les écrivains qui se sont essayés à la politicaillerie y ont laissé des plumes. Tandis que  ceux qui se sont inspirés des failles des politiciens, en ont eu une glorieuse considération.

Avant de lire le roman, et vu le tollé absurde fomenté par certaines plumes buveuses d’encre,  de surcroit monolingues,  je m’étais dit : « surement, il  y a assez de Lolitas déshabillées et d’orgies, pour ameuter ces vicieux qui jouent aux pudibonds ». Je n’ai trouvé dans le récit que pudeur et chasteté. Le sexe n’est esquissé qu’en pointillé. Même Stéphanie, la fille rebelle que Louise, l’héroïne du roman, n’arrive pas à maitriser comme mère, est décrite avec une sobriété pudique. Une fille qui prend des joints perd sa virginité très tôt. Ça c’est connu. Mais l’auteure a évité de transcrire la débauche qui en découlerait.  Wafa la Casablancaise est décrite, elle aussi, avec subtilité : « Wafa fait penser à une espèce de gros félin peu subtil mais très débrouillard. Elle n’a pas encore de papiers et ne semble pas s’en inquiéter. Elle est arrivée en France grâce à un vieil homme à qui elle prodiguait des massages, dans un hôtel louche de Casablanca. » (p115)

Que devrions-nous déduire de ces « massages dans un hôtel louche » ? A part le sexe, le « louche » insinué ne renverrait  à rien. Mais l’auteure n’a pas dit prostituée, pour donner une opportunité au doute, en laissant au lecteur le choix de deviner ce qu’il veut. Il y assez de clignotants pour visualiser la scène.

Leïla  Slimani  a surement lu Maupassant, puisqu’elle le cite (p 119). Et en finissant le dernier chapitre du roman où le crime est décrit avec plus de réalisme, on pense au  chef d’œuvre « Le rideau cramoisi » du grand maître du suspense  Barbey  Aurevilly. Bien évidemment,  la comparaison paraitrait un peu farfelue, car le style d’écriture et l’intrigue ne sont pas les mêmes.

L’éditeur qualifie de sec, son style d’écriture.Mais il ne s’agit pas d’une romance à l’eau de rose, mais du pourrissement progressif du caractère d’une femme serviable à l’excès, mais qui passe de la docilité exemplaire à l’indocilité meurtrière. Toutefois, il  a raison de signaler dans le petit résumé de la deuxième couverture: « c’est notre époque qui se révèle, avec sa conception de l’amour et de l’éducation, des rapports de domination et d’argent, des préjugés de classe ou de culture. »

Les affres de l’existence ne  laissent à la nounou tiraillée de toutes parts, aucune alternative. On a renvoyé sa fille du collège, les Massé, un couple égoïste,  qu’elle n’a que trop servi ne veut plus d’elle. Alizard, le propriétaire avare et bavard lui donne huit jours, pour libérer le studio qu’elle occupe. On sentait la pression monter. Le drame paraissait inévitable.

Mais il n’y a  pas que du noir dans ce roman, paru dans la collection « Blanche » et qui change de texture, pour en arborer,  aux derniers paragraphes, celle du thriller policier. Slimani use d’un  humour discret : « Elle travaillait alors chez M. Frank, un peintre qui vivait avec sa mère dans un hôtel particulier du quatorzième arrondissement. »(p108). Un peintre au sevrage maternel tardif, ça pourrait exister dans la  France cosmopolite d’aujourd’hui où tous les énergumènes, aussi extravagants les uns que  les autres,  cohabitent. Durant les séjours parisiens,  j’en ai vu de plus de plus singuliers et de plus clownesques. Mais excepté les roublards, ils sont inoffensifs.

La phrase la plus poétique du roman  est : «  Ses mains sur lesquelles jamais le vernis ne s’écaille. » (P105). Le descriptif documentaire s’intercale comme suit : « Les squares, les après-midi d’hiver, sont hantés par les vagabonds, les clochards, les chômeurs et les vieux, les malades, les errants, les précaires. Ceux qui ne travaillent pas, ceux qui ne produisent rien. Ceux qui ne font pas d’argent. » (p113). On ne peut pas écrire ces choses-là, si on ne les a pas vues.

De la compassion, on passe au drame.  A la page 169, on découvre que  l’affectueuse nounou Louise est accusée d’avoir tué les deux enfants Adam et Mila, alors que le début du roman n’en esquisse que la silhouette évasive, en pointillé sans croire que cette femme puisse en arriver là.

Le roman s’achève avec cette phrase mystérieuse, insidieuse et pleine de dérision : « Les enfants, venez. Vous allez prendre un bain. » . Un refrain morbide nous y prépare dès la page  213 : « Il faut que quelqu'un meure. Il faut que quelqu'un meure pour que nous soyons heureux. »  De toutes les prémonitions étayées le long du récit, celle du meurtre sort du domaine du prévisible, pour sombrer  dans l’absolue incongruité.

Un bain de sang, cela se devine, puisque qu’on est aux reconstituions policières qui précédent la condamnation. Cela se déroule dans un appartement de la rue d’Hauteville, théâtre sordide de ce double homicide, commis par une femme laborieuse, qui aime trop s’occuper de la progéniture d’autrui, mais qui oublie de s’occuper de la sienne.

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