Monday, December 25, 2017

Les indéboulonnables de la culture institutionnelle par RAZAK (journal L'Opinion)



A quoi ça sert de changer de ministre, si on ne change pas les directeurs départementaux ? Il y en a qui ont moisi dans leur  poste de directeur, en accumulant les erreurs et les abus.  Les ministres déguerpissent eux   restent. L’alternance politique, si alternance y a,  doit assurer non seulement le renouvellement des cadres de gestion,  mais aussi de l’efficacité escomptée. La routine n’a  rien de neuf. Elle donne le désespoir à ceux qui espèrent et de la poisse  à ceux qui rêvent d’un salutaire changeant de gouvernance.
Dans les centres cultuels et instituts européens rattachés aux ambassades accréditées à  Rabat, on constate, non sans satisfaction,  cette  dynamique. Le renouvellement des directeurs  est presque systématique. Ce qui permet une diversité des approches  et une fraiche variabilité  au niveau du  processus managérial. Lorsqu’une administration est figée, cela se répercute négativement sur les rouages internes et externes. 
Comme chacun sait, le domaine  culturel est en perpétuel devenir, car les arts qui en fortifient  l’ossature en en  embellissant la devanture,  ne tolèrent ni  la stagnation, ni la vue nostalgique  du rétroviseur. Le présent est plus pressant que le futur. Mais des fois, c’est l’inverse que se produit,  notamment avec cette spectaculaire révolution cybernétique où le plus rapide parmi les rapides  se croit lent et dépassé par les événements. 
N’est-il pas temps de faire une purge en profondeur,  jusqu’à la racine pourrie , comme cela a été énoncé en haut lieu et dont les premiers débuts commencent, fort heureusement, à apparaitre, dans  le ministère le plus  difficile à  gérer, celui  de l’intérieur, que d’aucuns accusent, à bon ou mauvais escient, d’immobilisme et d’autoritarisme exacerbé ?  Qu’attendent les autres ministères  pour faire de même ? Si on n’est pas à la hauteur de la mission, le mieux serait de présenter  sa démission, avant que l’on y soit forcé. Les défis de l’beure  imposent de tels impératifs de redressement.
Le nouveau ministre de la culture et de l’information a du  pain sur la planche. Avec les nouvelles prorogatives, le changement des directeurs défaillants  est non seulement un vœu, mais aussi une nécessité absolue. La gabegie et le clientélisme ne connaissent pas de répit. La lutte contre ces fléaux dévastateurs a souffert du manque de punch et de rigueur. Son prédécesseur a négligé de s’y impliquer avec la fermeté du ministre qui se sait sûr de ce qu’il doit faire.  Etait-ce par  politicaillerie  pantouflarde ou par laisser-aller proche de la fainéantise ?  On n’en sait rien. Ses proches collaborateurs résument son action dans l’institutionnalisation des  procédures d’octroi d’aide à la création, dans diverses disciplines (arts visuels, musique, théâtre …),  mais ce n’est pas une originalité. C’est du copier-coller. Soyons  clairs et  francs, est-ce que l’art a besoin de charité ou de liberté pour s’épanouir ?  Voilà un thème qui mérite un large débat plus tranchant et plus tranché.
Faisons remarquer, non sans regret,  que depuis que ces procédures importées d’ailleurs, sont  entrées en application,  la qualité artistique et le goût raffiné ont déguerpi, pour céder la place au dégoût et à la platitude. Le système « lajnocratique » ( du mot ’’lajna’’ signifiant comité )  est derrière cette récession défaitiste. Les bureaucrates n’ayant pas le profil adéquat et qui ne savent pas gérer leur institution se servent de ces commissions-artifices, dont nous ignorons toujours les critères de sélection et d’éligibilité, pour se disculper des erreurs commises. Le plus souvent,  ils imputent les bides et  flops aux membres externes qui  ont statué. Comme ça, et de manière machiavélique, on épargne les bras cassés du service interne. Beaucoup d’argent se perd dans les futilités et ce sont ces célèbres inconnus ( fonctionnaires  cherchant un complément de salaire)  qui en profitent, puisqu’ils sont grassement payés , pour leur lourdaude présence au sein de ces fallacieuses commissions. Quant aux artistes, ils n’en tirent que du brouillard. Pire, ils servent d’alibi à cette horde de profiteurs. Dans les listes mises ’’online’’ par le ministère,  à la rubrique ’’arts visuels’’ on trouve deux  imprimeurs-éditeurs et qui ont tellement de ressources pour demander de l’aide à l’Etat , s’accaparent la part du lion du budget alloué. L’un de ces deux bénéficiaires privilégiés imprime en deux langues , un magazine cloné sur la célèbre Historia, sans en avoir l’érudition. Ce qui suppose la possibilité de bénéficier de deux fonds d’aide : celui réservé à  la presse et celui des arts visuels via les monographies. Il y a surement quelque chose qui cloche. La commission qui en a décidé, est-elle myope ou soudoyée  ?     
Pourquoi préfère-t-on les bureaucrates aux  journalistes intègres, notamment ceux qui ont passé plus de trente années dans  la  rubrique culturelle ? Ils connaissent tous les noms d’artistes et d’autres choses que ces administratifs, régis par un statut liberticide et antiartistique ne peuvent pas connaitre. La réponse est simple : on ne veut pas que les secrets du « tagine » interne soient divulgués. La presse fait peur. D’où le recours aux enseignants, aux intrus et  aux gens  qui savent conjuguer les deux verbes : manger et se taire.    
Enfin, quel a été le meilleur ministre de culture que la Maroc a connu depuis indépendance ? La France, par exemple,  pourrait se vanter d’avoir un ministre de la culture de la carrure de Malraux. Un talentueux  écrivain et un gestionnaire habile,  qui était admiré même par ses adversaires politiques.  Les sexagénaires pourraient  dire : Mohamed Fassi , d’autres moins âgés ,  préféreraient Allal Sinacer , malgré la courte durée qu’il a  passée  au ministère. Cultivé et modeste, on lui doit un brillant colloque international  de philosophie où Jacques Berque fut gratifié  de tous les hommages.  D’autres, notamment les Nordiques, diraient Benaissa. C’est ce dernier  qui a créé  l’ISADAC, en partant de presque rien et en choisissant l’homme qu’il faut pour le diriger. Il s’agit d’Ahmed Badri. Tout récemment, des ex-étudiants de cette institution ont rendu hommage à leur ex-directeur, mais on s’est trompé de personne. Ce sont Bebaissa  et Badri qui en sont prioritaires, car ils sont de véritables baliseurs du désert. Les pionniers valent mieux que les continuateurs.
On a pris l’habitude de dire des vérités qui fâchent. Celle-là s’ajoute aux plus anciennes. Ainsi, pour prouver qu’on n’est pas de ceux qui jonglent avec les louanges, au profit de quelqu’un ou quelqu’une, de quelque rang qu’il  (ou elle ) soit , on la complète avec cet aveu pour en avoir le cœur net : Benaissa n’est pas mon ministre  de la culture préféré,  je n’ai jamais été  invité à son controversé festival et durant son mandat , mes billets critiques lui désagrégeaient l’humeur. Mais sur ce point, uniquement ce point-là, il mériterait qu’on lui rende justice. Ahmed Badri a, lui aussi,  fait un travail remarquable. La critique intègre est ainsi faite. Pas de quartier pour les médiocres et que le plus talentueux gagne. C’est notre devise.
Est-ce par hasard si, partant de rien et sans l’aide matérielle de qui que ce soit, le prix transculturel que nous supervisons depuis 2005, dans l’oubli de soi et la clarté  a atteint sa douzième édition ?  Bientôt le lauréat 2017  ( après Plantu, Ennio Morricone et Peter Brook ) sera révélé à la multitude. C’est grâce à ces nobles principes et à cette précieuse devise que le cortège bouzghibien  (de Bouzghiba–Awards ) traverse les ans  dans la probité,  et l’honneur , sans céder à la tentation mercantiliste, qui a frelaté pas mal de cénacles et souillé ce qui est beau en l’être humain : l’art de partager les émotions et les idées lumineuses.

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