Saturday, June 18, 2016

Cinecittà entre le péplum et l’enclume





Qu’est-elle devenue Cinecittà, la fameuse cité italienne de tournage cinématographique où furent tournés ''Ben Hur'', ‘’Quo Vadis’’  et  ’’La Guerre de Troie’’ ?
Incendiée en 2009, on l’a réhabilitée pour sauver les apparences, car l’essentiel de sa courte vie est derrière elle. La Cinecittà reliftée diffère de celle qu'une fuite électrique ou une main criminelle aurait  brûlée. Avant le sinistre, elle commençait à donner des signes d’agonie. Elle n'avait pas pu résister à l’inflation. Le déficit était  énorme. Cette inflation n'avait  pas été provoquée par la chute brutale de la lire italienne, mais par le déclin cinéphilique sans précédent que connut cette péninsule ayant la forme d’une botte de mousquetaire.
Pourquoi faire des films s'il n'y a personne dans les salles pour les regarder? Cette logique a gelé  le sang dans les veines de Cinecittà.
Quand en 2011 elle a rouvert à nouveau ses portes, la  nostalgie s'est emparée des rêveurs parmi les rares ciné-investisseurs qui restent accrochés aux lumières du passé. Mais ces professionnels du cinoche ne savent pas que la donne a complètement et radicalement changé. Les péplums qui avaient fait sa gloire, c'est désormais, de  l'histoire ancienne. Par ailleurs, on en était  à la saturation. Les ''Cléopâtre'',  ''Hercule'' et ''Ulysse'' avaient été copieusement  cinématographiés. Il n'y a plus d'autres Odyssées et l'Iliade a été mille fois feuilletées par les adaptateurs les plus ambitieux.
A moins de jouer aux amnésiques pour reprendre tous les  remakes, mais dans ce cas, on risque de tomber dans la répétition et la redondance,  ce qui nuirait inévitablement à toute  éventuelle reprise positive du box-office.
Quand les péplums ont expiré, le western italien, (genre ’’Ringo creuse ta tombe’’ ) voulait prendre la relève, mais il n’ y parvenait que partiellement et sporadiquement,  parce que fantaisiste et gauchement comique, il ne plaisait pas aux Américains, qui disposaient des plus grands distributeurs de la planète. Même chez eux, le western est tombé en désuétude par rapport aux années 50 où il fut apprécié par la multitude. Le dernier western crépusculaire remonte à plus de trois décennies. Par ailleurs, les gros producteurs  américains qui veulent investir dans le genre préfèrent le ''Canyon Walley'' et le Mexique, pays voisin dont l'histoire et la géographie sont proches de ce qui est décrit dans les scripts. Alors pourquoi aller plus loin  quand les parages du Colorado et du Mississipi offrent des opportunités insoupçonnées et présentent des atouts considérables ?         
Actuellement, Cinecittà est devenue l’ombre d’elle même. Elle ne fait que vivoter. Le loisir remplace les tournages. Une manière de se recueillir sur un cinéma décédé avant le temps. Le tragique avait  été imprimé dans ses gènes dès le premier vagissement. Elle avait une naissance perturbée. Créée par Mussolini en 1936, pour rivaliser Hollywood les intellectuels anti-fascistes de l’après-guerre ne voulaient pas d'un héritage embarrassant, légué par un farouche allié d'Hitler.  Vaincue dans ce challenge, la pauvre Cinecittà n'avait eu comme alternative que de livrer son sort à la magnanimité des  amateurs de cinéma restés fidèles au grand écran et à la générosité de quelques producteurs de films se souciant peu de la rentabilité de leur mise. Cela ne pouvait pas durer longtemps, d'où l'inévitable débandade. Cinecittà a été condamnée à l'oubli. Les travailleurs de cette usine de fabrication des images ont été jetés au chômage. Autre inconvénient,  l'hermétisme de la langue lui avait verrouillé les issues, alors que l’essor de la langue anglaise en déverrouillait   d’autres de plus juteuses.
Ce complexe de tournage a eu a eu une vie en dents de scie avec des hauts exaltants et des bas inquiétants. Ainsi,  comme par malédiction, un grand dépôt de ferrailles occupe actuellement son voisinage immédiat. Cette fourrière de la casse où les sons d’enclume étouffent les sons épiques  des  péplums commence au peu qui reste de sa vocation primordiale. On raconte même qu'on a failli en faire un complexe hôtelier, pour fermer à jamais son journal de tournage. Cette mutation contre nature aurait été une honteuse incongruité pour un pays qui a enfanté des génies de cinéma tels Fellini, Vittorio De Sica et Sergio Leone.
        C’est en fait un des premiers désagréments que la capitale italienne a réservés à mon furtif passage, du mois de janvier 2016. Je voulais assister à d'éventuels tournages, je trouvais  un sarcophage, enjolivé par les apparats de circonstance. Certes, les hectares fonciers ont été épargnés, et les pavillons remis au goût du jour, avec plus ou moins de sobriété, mais ce qui a disparu c'est le cœur du cinéma, c'est-à-dire l'art de faire les grandes  fresques cinématographiques comme jadis, avec le concours des bons metteurs en scène et des meilleurs décorateurs-accessoiristes. Hormis quelques sériés télévisées où le simulacre historique  prend le dessus sur les  faits réels, les locataires ne se bousculent pas devant le portail. Le cinéma de masse qu’elle alimentait avec de nets bénéfices, a été  jeté aux calendes grecques. 
Certes, elle refait surface, mais il lui est  difficile de surmonter la pente, notamment  à une époque conquise totalement par le digital et où le numérique dans tous ses états s'est accaparé tous les substrats imagés, urbains et ruraux. La cinéphilie de salle subit toujours la même érosion dévastatrice. Comme alternative salutaire, il ne lui reste que la voie muséale où les visiteurs se laisseraient émouvoir furtivement par sa courte histoire. Ainsi, comme le Colosseo, elle raviverait la mémoire collective.
Qui s’assemble se ressemble,  Cinecittà et le Colisée  ont toujours fait bon voisinage, malgré leur relatif éloignement sur la carte de la ville dont la légende dit  qu’elle est éternelle. L’une est parodie de l’autre. En  effet, comme vestige  d’une époque avide de conquêtes et de sang, l’ex-arène de gladiateurs bâtie par Vespasien et achevée par son fils Titus avec le butin des conquêtes, a été plusieurs fois ressuscitée par Cinecittà. Les bobines de la cinémathèque en témoignent. Son histoire se confond avec les drames humains qu’elle abritait. C’était un véritable mouroir. Son sol s’est longtemps imbibé du sang des duellistes. On s’y entretuait devant les  regards amusés des anciens Romains, avec à leur tête l’insolent empereur Jules César et son entourage immédiat qui cachait à peine son tempérament sadique. On se délectait de la mort d’autrui. Ce  torero à la romaine faisait jouir outre mesure les sujets de l’ex-empire. Seuls, les plus forts ayant l’agilité surhumaine et la chance d’échapper aux griffes d’un lion féroce ou au trident pointu d’un adversaire en furie en sortaient indemnes, affranchis de l’esclavage et éventuellement couverts de lauriers du vainqueur.
Cinecittà va inéluctablement dans le sillage archéologique du Colisée, avec la primauté du touristique sur le cinématographique. Peut-être, le futur «Musée Cinecittà» trouverait dans sa  nouvelle orientation  une autre raison d’être.
RAZAK

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