Thursday, December 26, 2019

FEUILLET LITTERAIRE ET PHILOSOPHIQUE L’aérotype Par RAZAK



FEUILLET LITTERAIRE ET PHILOSOPHIQUE
L’aérotype
Par RAZAK

Je suis un cynique et fier de l’être. Je le dis comme on dit « je suis un méticuleux », ou « je suis un tuberculeux ». Pour tout avouer, je ne suis pas devenu cynique par apprentissage, influence  ou par mimesis, en lisant Gogol ou en buvant, jusqu’à la lie, Mirbeau et Schopenhauer et puis encore moins en suivant la philosophie abrasive du célèbre objecteur de conscience Diogène de Sinope, dont les rapporteurs de l’époque disaient qu’il était « Socrate devenu fou ». Ce grand troubadour, parfaitement saint d’esprit et physiquement apte  aimait  être simple et détestait  tout ce qui est clinquant et brillantine. Il faisait de son malpropre tonneau un château de luxe où les moisissures seraient des dorures et les ratures des tentures de soie. L’homme-philosophe  s’érigeait contre la vanité humaine, la cupidité et l’égoïsme  dont le pouvoir de possession est la pierre angulaire,  la clef de voûte de tout un édifice en équilibre instable. Le moindre vacillement le fait ébranler. Le moindre tressaillement le fait gueuler dans son lit de mort.   
Pour ce qui me concerne, ce sont les intimes et ceux qui, par étourderie et puis par excès de crédulité, je prenais pour des amis,  m’y ont poussé. Ce cynisme que, par-dessus la morgue, je qualifierais de libérateur, me ravit. Je le sens circuler dans les veines qui irriguent le cerveau et les trippes. Je m’y complais, tant il m’épargne le vain et éreintant effort de marcher droit au milieu de gens qui zigzaguent et me sauve des élucubrations mensongères qui rendent l’homme esclave de son langage. Le moindre lapsus se traduit par du remord. La parole a son côté cynique. Même la plus aseptisée pourra causer des dégâts incalculables, si on a une langue déliée, une bouche sans sphincter, une canalisation sans clapet.
Face au pétrin que parfois le parler franc transforme en traquenard, l’on souhaite faire partie des muets et de ceux qui ont la langue fichue. Les langues fourchues sont, par nature, proches du guêpier. Le mutisme circonstanciel  a l’avantage d’éviter les inconséquences fâcheuses, surtout quand  on vit dans un coin où la liberté est bannie. Et puis, contrairement aux bavards, les muets n’engagent que leurs intraduisibles mimiques. Les juges de ces derniers temps, de plus en plus intéressés par les errements de la parole que par la gravité des actes commis, ne trouvent rien à incriminer chez les muets. C’est le seul cas où l’incomplétude s’apparente à une vertu et le handicap à un bouclier protecteur.     
On ne naît pas cynique, on le devient et un cynique cultivé est mieux qu’un cynique inculte. La trahison est une vile affaire et la mort est la chose la plus sérieuse qui soit. Que l’on soit cynique ou non, riche ou pauvre, elle guette tout le monde. Ainsi, quand on a la malchance existentielle et chromosomique de vivre  dans un bled arriéré où les iconoclastes de tout poil brillent par leur incurable stupidité, leur minable idiotie et leur effronterie liberticide, outrancièrement exhibée à tous les étages de la société, dans le but de museler les voix sincères jaillissant de têtes bien  nées  et prendre en otage les têtes endurcies que l’air biscornu égare en permanence , cela devient une calamité. Elle s’ajoute aux autres perfidies imposées par la doxa dominante que le génial George Orwell rattache au mystérieux et ténébreux  Big Brother, un tyran sans pitié et sans scrupule. Ce « Contr’un » est contre tous. Il inverse les valeurs, en les transformant en contresens. Tout un cycle d’attaques nocives et de brimades visant la dénaturation de la nature humaine, par le domptage forcé des gens, notamment ceux qui ne veulent pas penser bête ou du moins tenter d’en voler l’apparence, car  quand tout est galvaudé, il y a risque de confondre les profils et les rôles, les sentiers et les destinations. La pensée libre a besoin d’un espace adéquat pour s’épanouir. Un champ fertile où il n’y a ni tournants, ni entraves, ni cloisonnements, ni épines.  
Le dire vrai est plus reposant que la dire flou.  Le reste n’est que verbiage déviant. Cependant, ce qui mérite d’être rappelé, c’est  d’éviter les pièges tendus par les assassins de la parole débridée, les brigades du conformisme et les fossoyeurs de toute belle chose en l’homme. La pensée en est la plus primordiale.
La chambre 101 où l’innocent Winston a subi le formatage dirigiste et unidirectionnel attend et guette les amoureux de la parole libre. Ce sont les unijambistes qui freinent les coureurs et ce sont  les conformistes qui brisent l’élan des novateurs.
L’image est une arme. Au lieu de divertir et d’instruire, la télévision mise au service de la minorité dominante  est acculée  à faire la sale besogne, d’abêtir la populace, et au besoin,  de l’ameuter dans une chasse aux sorcières sans gloire aucune. Quand elle tombe en panne, elle tend la main aux contribuables, qu’elle n’a que trop mal servis. Cette servitude volontaire mettrait en colère Etienne de la Béotie qui voyait dans la soumission aveugle une absurdité.
Les acculés au mutisme forcé traquent les diseurs de bonnes vérités. Asservi par embrigadement prémédité, le rectangle de plasma devient un perfide œil de surveillance, de délation, un fouet de flagellation et une paire de menottes. Les tyrans se servent de cet instrument  de torture pour mâter le peuple. Le dressage passe par les yeux avant de se concentrer sur les habitudes. Les aèdes engagés et les chantres de vérité sont mis au cachot, tandis que les idiots se moquent d’eux, en toute liberté. Il y en a qui, poussant la bêtise à son paroxysme, veulent les rééduquer « ministériellement » en utilisant l’outillage sanguinaire de « la chambre 101 ». Interdit de chanter, interdit de se solidariser avec autrui , interdit de rire,  interdit de prédire, interdit de s’exprimer librement, interdit de faire et interdit de ne pas faire , interdit de plaire et interdit de ne pas plaire , interdit de sentir, interdit de respirer, interdit d’aimer… Vous devinez dans quelle jungle on vit.
Qui  a encouragé ces potentats  à commettre de telles bavures et à lancer de tels provocants défis ? Qu’un ministre du bétail adresse son discours animalier aux habitants de poulaillers, de basses-cours et des enclos d’équidés, cela pourrait se comprendre. On est dans le même  contexte sémantique.  Mais en  s’adressant à ceux qui  paient les salaires de son ministère,  cela s’appelle UBU-ministre. C’est du Caligula déguisé en berger.  
Etant donné qu’on parle zoo, il serait opportun de rappeler que si les animaux,  venus après l’avènement darwinien de l’Evolution, avaient saisi le sens profond de ses révélations, ils auraient échappé au massacre. Ce qui est navrant, c’est de remarquer que les poules n’arrêtent pas de pondre des œufs, malgré le carnage qui les attend. On dirait qu’elles y éprouvent un plaisir masochiste. Si elles avaient su qu’après la décapitation, on les  plonge dans l’eau bouillante et on leur ôte les plumes, elles auraient  fait d’un duvet un puissant organe de vol et de décollage, pour échapper au massacre. Les dindes sont encore plus stupides que les poules.  Comme des arriérées de l’espèce animale, elles se laissent faire. Les narines pleines de morve et les ailes paralysées, elles ne servent qu’au Toussaint  chrétien et à « Hagouza », la petite fête musulmane. Les souris sont plus rusées que ces volatiles qui marchent paresseusement, au lieu de faire  usage de leurs organes de propulsion,  comme font les aigles, avec fierté et orgueil. Encore une fois, il ne faut pas  confondre  aérotype et « morveux-type ».
Le savoir qui ne se traduit pas en actes est un savoir obsolète, une coquille vide. Les malins de la politicaillerie ont vite compris le subterfuge : il ne faut pas cultiver les gens, car un peuple cultivé  est un peuple dangereux et imprévisible. Les requêtes et les revendications sont proportionnelles au  degré de conscience atteint. Il faut coûte que coûte que cette imprévisibilité et cette soif revendicative soient circonscrites précocement et tuées dans l’œuf, afin d’éviter les pépins du futur.
Le stéréotype est une vilaine  machinerie. Ceux qui prônent ce système d’uniformisation savent à quoi s'en tenir, dans leur ruée cabalistique. Mais ils oublient que la richesse émerge de  la diversité et ne résulte pas  de  l’uniformisation. Cette dernière est la source de tout endettement. Quand le cumul de la dette extérieure atteint des proportions effrayantes, le pire serait à attendre. Le colonialisme y a trouvé les motifs pour son expansion. Il n’y a qu’à relire les pages de l’Histoire. Soit payer les arriérés, soit perdre sa souveraineté, telle est la leçon à tirer du passé. 
Ainsi, si pour le machinisme, cette uniformisation mécanique pourrait générer du profit, à  l’échelle humaine, elle  est contreproductive,  puisqu’elle réduit tout à un conglomérat de pantins  exerçant les mêmes mouvements et agissant de la même façon, sous la contrainte. La charge punitive extrême, en est le retour au moule de fabrication et au four de réajustement où on enlève les excroissances, on rabote les bosselures, on colmate les brèches à colmater, comme retouches nécessaires  au cycle comportemental. Les animaux sont les premiers à servir de cobayes pour un tel remodelage effectué sous pression. Il suffisait de les dompter par le coup de fouet. Quand les sévices n’aboutissent à rien, on tente  la voie digestive. Pavlov en a esquissé des pistes prometteuses, en expérimentant des procédés de servage sur les quadrupèdes qui aboient. Entre l’espèce animale et la race humaine, il y a des recoupements physiologiques insoupçonnés. 
Au stéréotype, j’oppose l’aérotype, un concept sorti de mon imagination déjà bourdonnant de mille projets. Ainsi, si le stéréotype se limite à une seule gamme et à un seul label, l’aérotype est  intrinsèquement né pour la liberté d’être et pour la diversité d’approches. Doué d’une sensibilité à toutes épreuves et à fleur de peau, l’aérotype trouve son élan dans l’étendue spatiale. Pour les êtres humains qui portent cette noble étiquette, la spiritualité spatiale est plus vaste que la vastitude cosmique. Icare fut une incarnation physique de cet aérotype visionnaire. Il voulait concrétiser un rêve qui n’intéressait que  les dispos au rêve. Ibn Farnass  le berbère et Léonard de Vinci ont repris le flambeau de l’aérotype bien décidé à percer les mystères de l’aérosphère, parce qu’ils étaient des rêveurs éveillés qui aimaient respirer l’air libre et planer dans l’espace, comme bon leur semblait.
Au niveau comportemental, ils formaient  deux aérotypes de type goéland. La propreté de leur caractère respectif transparait à travers la propreté de ce qu’ils faisaient ou projetaient comme projets à léguer à la postérité  
Le goéland est une créature merveilleuse. Digne de tous les éloges, cet aérotype est un grand séducteur. D’ailleurs comme on peut aisément le vérifier linguistiquement, on trouve dans  l’architecture de son nom  les entités « go » et « elan ». C’est du pur turbo haute cylindrée. Quant aux chauves-souris et aux mouettes, on trouve des entités dégradantes : « souris », « chauve » et « mou ». Tout cela pour dire que l’on n’a pas  la finesse et le même goût que le goéland. L’aveuglement et les immondices d’ici-bas les enlaidissent. Le relent des déchets ingurgités leur empestent l’haleine. C’est pour cela que leur plumage cache à peine leurs pourritures nauséabondes. Elles sont nées pour les saletés, les mesquineries et les bassesses. On en trouve des nuées dans les dépotoirs publics,  les marécages d’eaux usées et insalubres. Cependant, l’on se demande quelle immunité microbienne les aide à proliférer démesurément. Leurs déjections usent le métal et leur acidification efface les peintures et dénature les revêtements pigmentaires les plus résistants.
Les créatures ailées ne sont pas toutes des aérotypes au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire des  types singuliers qui aiment l’air libre et qui ne laissent personne leur cacher les rayons du soleil. Ils réagissent aux assaillants, qu’ils soient des  rois ou des  empereurs. Diogène notre « cynique en chef »,  en plaçant bien la réplique qu’il fallait et au  moment propice, avait ôté l’impérialité à Alexandre le Grand, quand ce dernier voulut le séparer de son tonneau et l’emmener au palais comme hôte distingué. Diogène  vit dans cette main tendue non pas un parasol d’acclimatation et de sauvetage  mais un voile, un prélude à une véritable mainmise.  Laissons  le soleil aux aérotypes et les l’espaces exiguës aux stéréotypes.

No comments: