Thursday, April 20, 2006


CES INTRUS DE CINEMA QUI NOUS ENCHANTENT


«Le métier de cinéaste ne s’apprend ni à l’école ni à l’université pas plus que dans les livres », disait Henry Hathaway, le réalisateur californien qui est né en 1898, c’est-à-dire dans la même décennie qui a vu naître le cinématographe. Ce cinéaste fécond qui dirigea les acteurs les plus célèbres (John Wayne, Gary Cooper, Henri Fonda, Lee Marvin, James Stewart, Kirk Douglas, Robert Mitchum …) donne une définition toute particulière au 7ème art : « Le cinéma, c’est en soi qu’on le porte et on y réussit avec l’aide de la chance. C’est une force qui vient de la volonté intérieure, d’un talent qui naît de la persévérance et d’une puissance de résistance aux modes et aux goûts du jour. Lesquels n’arrivent qu’à vider les salles de projection les unes après les autres».
Ainsi, en feuilletant les biographies et autobiographies des grands cinéastes qui ont marqué l’histoire du cinéma, l’on constate notamment chez les «old-timers» (anciens) cette conjonction spectaculaire entre le hasard, la chance et la persévérance. Un encouragement en somme pour les nouveaux arrivants. Même sans formation préalable, l’espoir reste permis. Pourvu qu’ils aient de la bonne intuition et de la félicité, pour guider leurs pas et actes créatifs vers des horizons inédits.
Fritz Lang était un étudiant dans une école d’architecture de Vienne, avant de se consacrer à la peinture. Fuyant le nazisme, il alla construire son œuvre cinématographique ailleurs, loin du regard policier de Goebbels et des SS hitlériens qui ne voyaient dans sa créativité, que de l’art dégénéré. Il voyagea beaucoup avant de s’installer aux USA. La dégénérescence liberticide dont il était la cible se transforma, par le labeur et l’abnégation, en une éblouissante régénérescence de ses idées esthétiques et de ses recherches formelles. Les réalisations se succédèrent à un rythme soutenu, jusqu’à la consécration finale qui avait fait de lui le Fritz Lang qu’on connaît. L’expressionnisme allemand lui doit la perspicacité et l’originalité des sujets traités cinématographiquement. N’a-t-il pas créé avec Murnau, Bapts et Robert Wiene tout un mouvement expressif, entré dans les annales du 7e art par la grande porte?
Ces créateurs singuliers puisant dans la force qui vient de «la volonté intérieure» ne faisaient pas du cinéma pour passer le temps, parce que justement le temps était leur principal rival. Alfred Hitchcock, le maître du suspense, débuta sa carrière comme un simple dessinateur d’interlignes. Plus tard, ses graphismes deviennent les signes d’une narration à couper le souffle. George Gukor était introduit au cinéma en tant que dialoguiste amateur. A la fin de sa carrière, il devient un philosophe du 7eart: «Au cinéma la spontanéité relève de la science».
Sergei Eisenstein, lui aussi né en 1998, fut inscrit à l’Ecole des Travaux Publics, en vue de devenir un ingénieur en Génie Civil, pour satisfaire sa famille. Lors de la bolchévisation de la Russie, il s’enrôla dans l’Armée Rouge et mit ses dons de dessinateur-inné au service de la révolution prolétarienne. Plus tard, il fut salué par les critiques du monde entier, comme un novateur de cinéma, doublé d’un théoricien qui savait de quoi il parlait. ’’Le Cuirassé Potemkine’’ qu’il a réalisé après ’’La Grève’’, film d’avant-garde où le héros n’est autre que la masse, l’a hissé au rang convoité de sommité du 7e art. Il en fut de même pour ceux que l’on pourrait appeler les cinéastes en «Ov» à savoir : Vertov, Koulechov, Protazonov, Vladimir Petrov, MikhailKalatozov et Serge Guessimov … quoique ces derniers fussent moins percutants par comparaison au grand maitre qui fut admiré par l’Américain Orson Welles.Certaines rétrospectives, organisées par des centres culturels rattachés aux ambassades accréditées au Maroc, nous ont permis de situer le talent de chacun et d’apprécier leur apport respectif.
En France, ceux qui ont pris la relève après George Méliès, ce génie de cinéma qui créa aussi bien le premier studio de cinéma du monde, que l’art de la miseenscène cinématographique, ont eu des itinéraires aussi variés qu’incongrus. Abel Gance était un versificateur proche des poètes symbolistes. René Clair était lui aussi tenté par une carrière littéraire. Jean Renoir apprenait le métier de céramiste. Marcel Carné voulait être photographe. Jean Vigo et Marcel Pagnol obtinrent leur baccalauréat en philosophie. Delluc était un chroniqueur de cinéma. Quand il a pris le viseur, il créa l’impressionnisme de cinéma,un genre qui n’avait rien à voir avec l’impressionnisme de Renoir et Claude Monet et puis dont on trouve, par imitation, des survivances chromatiques même au Maroc. Un prix porte son nom, récompensant les meilleurs films français. Le ’’Prix Louis Delluc’’ se voudrait un lebel de qualité. Les jurys endosseront la responsabilité, si des navets s’insèrent dans les verdicts.
Revenons aux hollywoodiens qui engraissaient le box-office d’antan, Robert Siodmack fit des études à l’université avant de se lancer dans les affaires. L’échec l’a jeté dans les bras consolateurs du cinéma. En débarquant surla planète Hollywood, il vit sa carrière prendre un envol inespéré. Du simple travail de sous-titreur de films étrangers, il devient un cinéaste attitré qui voit dans les remakes ce que d’autres ne voient pas: «Le remake est tout à la fois une école de dextérité et une leçon d’humanité».
Jacques Tournier, le plus hollywoodien des réalisateurs français, était un garçon de courses à la MGM (Métro Golden Mayer). John Huston abandonna ses études pour devenir un boxeur professionnel. Le cinéma l’avait reconverti de si bien drôle de manière: il lui ôta les gants sanglants de boxe et lui remit un viseur.
Fred Zinnemann voulut être violoniste, mais il devient l’instrument d’une caméra qui signait des partitions imagées. Elia Kazan, ce cinéaste d’origine turque, était un simple accessoiriste. Quand sa signature a pris la dimension du grand écran, il passa vite à la postérité en fondant avec Cheryl Crawford et Robert Lewis ’’l’Actor’s Studio’’ d’où sont sortis des acteurs devenus des célébrités d’interprétation: Marlon Brando, James Dean, Robert de Niro, Al Pacino …
William Whitney était un simple coursier lui aussi. Samuel Fuller fit ses études dans la presse tout comme Richard Brooks, Robert Mulligan, Fellini, Robert Altman et Robert Aldrich. Ray Bradbury était nouvelliste. Richard Fleischer a suivi des études de médecine. Orson Welles se révéla dans le dessin et la caricature. Roger Carmon voulut être un ingénieur en Génie Mécanique. Les études de la cinématique (étude scientifique des mouvements) l’ont mené tout droit à la cinémathèque.Giovanni Pastrone qui créa une de ses «pastronades» les plus apaisantes pour l’œil: le travelling, était autodidacte. Jerry Lewis était chanteur et fantaisiste de Music-Hall. A force de faire rire, il voulait que d’autres le fassent à sa place, devant sa caméra.Il trouve Eddy Murphy pour perpétuer le genre, revu et corrigé pas ses soins d’acteur devenu réalisateur. Mel Brooks était un batteur dans une formation de jazz .Woody Allen, cet humoriste de talent et excessivement intellectuel a fait du journalisme, lui aussi et à sa manière. Il se spécialisa dans les chroniques humoristiques. Il a de la chance de n’être pas né au Maghreb ou au Chili des années de braise; autrement, il serait mis à l’ombre ou mis dans une posture délicate. Charlie Chaplin, était un petit farceur errant.Il n’a acquis de l’expérience qu’en regardant les autres travailler. Mais dès qu’il s’est mis à faire son cinéma, il devient un mythe vivant. En créant le personnage hilarant du vagabond qui ne quitte jamais ses grosses chaussures trouées et sa canne tordue, il devient le roi du rire et conquiert les cœurs de tous les habitants de la planète.
Il ya d’autres «intrus» de cinéma qui se sont révélés des autodidactes , plus habiles que ceux qui ont suivi une formation de réalisateur, dans un institut de hautes études cinématographiques ou dans d’autres institutions académiques. Ils ont vu le jour soit dans des petits patelins en province ou dans des métropoles cosmopolites. Ils ont vécu dans des familles aristocratiques ou dans des demeures modestes, mais qui ont laissé l’intuition leur dicter ce qu’elle avait à dicter. Ils ont pour noms : Bergman, Visconti, Max Ophuls, Pasolini, Vim Wenders, Vittorio de  Sica, Luis Buñuel, Akira Kirozawa, Andezej Wajda, Yash Chopra, Roman Polanski, Salah Abou Saif, Satyajit Ray…Ils rejoignent le cortège des faiseurs d’images instinctifs. Leurs lanternes éclairaient nos nuits monotones. Ils voyaient le monde à travers une petite fente rectangulaire et ils le transposèrent sur une succession de photogrammes narratifs bien séquencés.
Les uns s’expriment, les autres adaptent. Les uns mettent en image des histoires épiques ou véridiques, d’autres se déploient dans la poésie lyrique, les uns aiment filmer dans des sites pittoresques, d’autres s’enferment dans des studios aux décors fastidieux, un monde enchanteur et onirique nous est offert. Il suffit de se laisser entraîner par ses effluves, ses senteurs exotiques et ses frissons. Bref, c’est l’odyssée humaine, l’empire des sens, l’aventure du regard jamais assouvi. C’est aussi l’instant interrogatif et intriguant d’un être en perpétuel devenir.
Ils nous ont fait rire ou pleurer. Ils nous ont instruit ou diverti et comble de sacrifice: ils ne se sentent fiers que d’une chose: signer une œuvre réussie. Certains sont entrés dans la mythologie du cinéma, d’autres cherchent toujours un raccourci, une passerelle. Si l’on s’amusait à mettre bout à bout toutes les bobines magiques ainsi réalisées dont le sésame tiendrait à deux mots: «Moteur» pour le filmage et «Coupez» pour son arrêt,  l’on aurait de quoi relier les côtes de l’Océan Atlantique à celle du Pacifique par une longue ceinture de cellophane chargée de tatouages multicolores, de visages qui nous sont familiers, de décors ahurissants et de message toujours vivaces.Ces bobines portent la trace indélébile du génie humain.
De Hollywood à Cinecittà et de Hollywood à Bollywood, les passassions de consignes technico-artistiques se sont faites en douceur, sans heurt ; des fois dans l’émulation, mais jamais dans la rancœur et l’adversité. Ce triptyque restera à jamais comme le laboratoire idéal où l’imagination et la quête existentielle arpentent le même cheminement transcendantal.C’est grâce à ce tri-pôle de créativité que le rêve humain a pris forme. Aux générations futures d’en créer d’autres de plus scintillants.
RAZAK

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