CES INTRUS DE CINEMA QUI NOUS ENCHANTENT
«Le métier de
cinéaste ne s’apprend ni à l’école ni à l’université pas plus que dans les
livres », disait Henry Hathaway, le réalisateur californien qui est né en 1898,
c’est-à-dire dans la même décennie qui a vu naître le cinématographe. Ce
cinéaste fécond qui dirigea les acteurs les plus célèbres (John Wayne, Gary
Cooper, Henri Fonda, Lee Marvin, James Stewart, Kirk Douglas, Robert Mitchum …)
donne une définition toute particulière au 7ème art : « Le cinéma, c’est en soi qu’on le porte et on y réussit avec l’aide de
la chance. C’est une force qui vient de la volonté intérieure, d’un talent qui
naît de la persévérance et d’une puissance de résistance aux modes et aux goûts
du jour. Lesquels n’arrivent qu’à vider les salles de projection les unes après
les autres».
Ainsi, en feuilletant les biographies et autobiographies des grands
cinéastes qui ont marqué l’histoire du cinéma, l’on constate notamment chez les
«old-timers» (anciens) cette conjonction spectaculaire entre le hasard, la
chance et la persévérance. Un encouragement en somme pour les nouveaux
arrivants. Même sans formation préalable, l’espoir reste permis. Pourvu qu’ils
aient de la bonne intuition et de la félicité, pour guider leurs pas et actes
créatifs vers des horizons inédits.
Fritz Lang était un étudiant dans une école d’architecture de Vienne,
avant de se consacrer à la peinture. Fuyant le nazisme, il alla construire son
œuvre cinématographique ailleurs, loin du regard policier de Goebbels et des SS
hitlériens qui ne voyaient dans sa créativité, que de l’art dégénéré. Il
voyagea beaucoup avant de s’installer aux USA. La dégénérescence liberticide
dont il était la cible se transforma, par le labeur et l’abnégation, en une
éblouissante régénérescence de ses idées esthétiques et de ses recherches
formelles. Les réalisations se succédèrent à un rythme soutenu, jusqu’à la
consécration finale qui avait fait de lui le Fritz Lang qu’on connaît.
L’expressionnisme allemand lui doit la perspicacité et l’originalité des sujets
traités cinématographiquement. N’a-t-il pas créé avec Murnau, Bapts et Robert
Wiene tout un mouvement expressif, entré dans les annales du 7e art
par la grande porte?
Ces créateurs singuliers puisant dans la force qui vient de «la
volonté intérieure» ne faisaient pas du cinéma pour passer le temps, parce que
justement le temps était leur principal rival. Alfred Hitchcock, le maître du
suspense, débuta sa carrière comme un simple dessinateur d’interlignes. Plus
tard, ses graphismes deviennent les signes d’une narration à couper le souffle.
George Gukor était introduit au cinéma en tant que dialoguiste amateur. A la
fin de sa carrière, il devient un philosophe du 7eart: «Au cinéma la spontanéité relève de la
science».
Sergei Eisenstein, lui aussi né en 1998, fut inscrit à l’Ecole des
Travaux Publics, en vue de devenir un ingénieur en Génie Civil, pour satisfaire
sa famille. Lors de la bolchévisation de la Russie, il s’enrôla dans l’Armée
Rouge et mit ses dons de dessinateur-inné au service de la révolution
prolétarienne. Plus tard, il fut salué par les critiques du monde entier, comme
un novateur de cinéma, doublé d’un théoricien qui savait de quoi il parlait. ’’Le Cuirassé Potemkine’’ qu’il a réalisé
après ’’La Grève’’, film
d’avant-garde où le héros n’est autre que la masse, l’a hissé au rang convoité
de sommité du 7e art. Il en fut de même pour ceux que l’on pourrait
appeler les cinéastes en «Ov» à savoir : Vertov, Koulechov, Protazonov,
Vladimir Petrov, MikhailKalatozov et Serge Guessimov … quoique ces derniers
fussent moins percutants par comparaison au grand maitre qui fut admiré par
l’Américain Orson Welles.Certaines rétrospectives, organisées par des centres
culturels rattachés aux ambassades accréditées au Maroc, nous ont permis de
situer le talent de chacun et d’apprécier leur apport respectif.
En France, ceux qui ont pris la relève après George Méliès, ce génie
de cinéma qui créa aussi bien le premier studio de cinéma du monde, que l’art
de la miseenscène cinématographique, ont eu des itinéraires aussi variés qu’incongrus.
Abel Gance était un versificateur proche des poètes symbolistes. René Clair
était lui aussi tenté par une carrière littéraire. Jean Renoir apprenait le
métier de céramiste. Marcel Carné voulait être photographe. Jean Vigo et Marcel
Pagnol obtinrent leur baccalauréat en philosophie. Delluc était un chroniqueur
de cinéma. Quand il a pris le viseur, il créa l’impressionnisme de cinéma,un
genre qui n’avait rien à voir avec l’impressionnisme de Renoir et Claude Monet
et puis dont on trouve, par imitation, des survivances chromatiques même au
Maroc. Un prix porte son nom, récompensant les meilleurs films français. Le
’’Prix Louis Delluc’’ se voudrait un lebel de qualité. Les jurys endosseront la
responsabilité, si des navets s’insèrent dans les verdicts.
Revenons aux hollywoodiens qui engraissaient le box-office d’antan,
Robert Siodmack fit des études à l’université avant de se lancer dans les
affaires. L’échec l’a jeté dans les bras consolateurs du cinéma. En débarquant
surla planète Hollywood, il vit sa carrière prendre un envol inespéré. Du
simple travail de sous-titreur de films étrangers, il devient un cinéaste
attitré qui voit dans les remakes ce que d’autres ne voient pas: «Le remake est tout à la fois une école de
dextérité et une leçon d’humanité».
Jacques Tournier, le plus hollywoodien des réalisateurs français,
était un garçon de courses à la MGM (Métro Golden Mayer). John Huston abandonna
ses études pour devenir un boxeur professionnel. Le cinéma l’avait reconverti
de si bien drôle de manière: il lui ôta les gants sanglants de boxe et lui
remit un viseur.
Fred Zinnemann voulut être violoniste, mais il devient l’instrument
d’une caméra qui signait des partitions imagées. Elia Kazan, ce cinéaste
d’origine turque, était un simple accessoiriste. Quand sa signature a pris la
dimension du grand écran, il passa vite à la postérité en fondant avec Cheryl
Crawford et Robert Lewis ’’l’Actor’s
Studio’’ d’où sont sortis des acteurs devenus des célébrités
d’interprétation: Marlon Brando, James Dean, Robert de Niro, Al Pacino …
William Whitney était un simple coursier lui aussi. Samuel Fuller fit
ses études dans la presse tout comme Richard Brooks, Robert Mulligan, Fellini,
Robert Altman et Robert Aldrich. Ray Bradbury était nouvelliste. Richard
Fleischer a suivi des études de médecine. Orson Welles se révéla dans le dessin
et la caricature. Roger Carmon voulut être un ingénieur en Génie Mécanique. Les
études de la cinématique (étude scientifique des mouvements) l’ont mené tout
droit à la cinémathèque.Giovanni Pastrone qui créa une de ses «pastronades» les
plus apaisantes pour l’œil: le travelling, était autodidacte. Jerry Lewis était
chanteur et fantaisiste de Music-Hall. A force de faire rire, il voulait que
d’autres le fassent à sa place, devant sa caméra.Il trouve
Eddy Murphy pour perpétuer le genre, revu et corrigé pas ses soins
d’acteur devenu réalisateur. Mel Brooks était un batteur dans une formation de
jazz .Woody Allen, cet humoriste de talent et excessivement intellectuel a fait
du journalisme, lui aussi et à sa manière. Il se spécialisa dans les chroniques
humoristiques. Il a de la chance de n’être pas né au Maghreb ou au Chili des
années de braise; autrement, il serait mis à l’ombre ou mis dans une posture
délicate. Charlie Chaplin, était un petit farceur errant.Il n’a acquis de
l’expérience qu’en regardant les autres travailler. Mais dès qu’il s’est mis à
faire son cinéma, il devient un mythe vivant. En créant le personnage hilarant
du vagabond qui ne quitte jamais ses grosses chaussures trouées et sa canne
tordue, il devient le roi du rire et conquiert les cœurs de tous les habitants
de la planète.
Il ya d’autres «intrus» de cinéma qui se sont révélés des autodidactes
, plus habiles que ceux qui ont suivi une formation de réalisateur, dans un
institut de hautes études cinématographiques ou dans d’autres institutions
académiques. Ils ont vu le jour soit dans des petits patelins en province ou
dans des métropoles cosmopolites. Ils ont vécu dans des familles
aristocratiques ou dans des demeures modestes, mais qui ont laissé l’intuition
leur dicter ce qu’elle avait à dicter. Ils ont pour
noms : Bergman, Visconti, Max Ophuls, Pasolini, Vim Wenders, Vittorio
de Sica, Luis Buñuel, Akira Kirozawa,
Andezej Wajda, Yash Chopra, Roman Polanski, Salah Abou Saif, Satyajit Ray…Ils
rejoignent le cortège des faiseurs d’images instinctifs. Leurs lanternes
éclairaient nos nuits monotones. Ils voyaient le monde à travers une petite
fente rectangulaire et ils le transposèrent sur une succession de photogrammes
narratifs bien séquencés.
Les uns s’expriment, les autres adaptent. Les uns mettent en image des
histoires épiques ou véridiques, d’autres se déploient dans la poésie lyrique,
les uns aiment filmer dans des sites pittoresques, d’autres s’enferment dans
des studios aux décors fastidieux, un monde enchanteur et onirique nous est offert. Il suffit de se laisser entraîner
par ses effluves, ses senteurs exotiques et ses frissons. Bref, c’est l’odyssée
humaine, l’empire des sens, l’aventure du regard jamais assouvi. C’est aussi
l’instant interrogatif et intriguant d’un être en perpétuel devenir.
Ils nous ont fait rire ou pleurer. Ils nous ont instruit ou diverti et
comble de sacrifice: ils ne se sentent fiers que d’une chose: signer une œuvre
réussie. Certains sont entrés dans la mythologie du cinéma, d’autres cherchent
toujours un raccourci, une passerelle. Si l’on s’amusait à mettre bout à bout
toutes les bobines magiques ainsi réalisées dont le sésame tiendrait à deux
mots: «Moteur» pour le filmage et «Coupez» pour son arrêt, l’on aurait de quoi relier les côtes de
l’Océan Atlantique à celle du Pacifique par une longue ceinture de cellophane
chargée de tatouages multicolores, de visages qui nous sont familiers, de
décors ahurissants et de message toujours vivaces.Ces bobines portent la trace
indélébile du génie humain.
De Hollywood à Cinecittà et de Hollywood à Bollywood, les passassions de consignes technico-artistiques se
sont faites en douceur, sans heurt ; des fois dans l’émulation, mais jamais
dans la rancœur et l’adversité. Ce triptyque restera à jamais comme le
laboratoire idéal où l’imagination et la quête existentielle arpentent le même
cheminement transcendantal.C’est grâce à ce tri-pôle de créativité que le rêve
humain a pris forme. Aux générations futures d’en créer d’autres de plus
scintillants.
RAZAK
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