Wednesday, May 17, 2006

Fascinant Tornatore


FASCINANT TORNATORE !
Lui il est sicilien de pure souche , mais ses enfants devenus adultes et éloignés du bercail , ont presque cessé de l’être .Lui a la nostalgie du pays et du temps qui passe , eux ont la fureur de vivre. L’ensemble se retrouve sur un petit morceau de papier en couleurs : une photo. Le père entouré de sa progéniture. Cette photo va faire un périple.
Matteo Scuro (Marcello Mastroianni) l’homme au chapeau noir et au manteau lourd et à la moustache broussailleuse est un vieux retraité d’une mairie. Sa tache consistait à enregistrer les naissances et occasionnellement à dépouiller les bulletins de vote. Des milliers de noms de siciliens ont défilé sous ses yeux. La vue s’est amenuisée. Les verres optiques ont grossi .Cinq d’entre eux sont son trésor. Il les affectionne outre mesure parce qu’ils forment sa descendance et il est fier d’en être le géniteur .Trois hommes et deux femmes : Canio est députée à Rome , Tosca est mannequin , Norma est employée dans les télécommunications , Guglielmo joue dans une orchestre philharmonique , mais Alvaro reste un mystère. Derrière la scintillante façade se cache une réalité morne. L’épuisement est au bout du chemin. Une tombe de sa défunte femme. Un homme au bord des larmes. Le Drama s’insère entre Eros et Pathos .
« Je vous prie demandez-moi qui sont ces personnes qui m’entourent dans cette photo » Cette phrase articulée par un solitaire de 74 ans , avide de retrouvailles familiales et de paroles intimes, devant des personnes inconnues que la hasard des voyages a rassemblées, est devenue presque un code grâce au talent et à la maestria de Giuseppe Tornatore
« Ils vont tous bien » (Stanno tutti bene) est presque une comédie italienne aigre douce. Tornatore s’y révèle un chroniqueur émérite.
« Demandez-moi où je vais » vers le succès mister Tornatore . Ce cinéaste âgé d’à peine 35 ans est un fabriquant de rêves. Puisant dans les souvenirs d’enfance, il fait aussi le reportage d’une Italie bouillonnante et extenuée par le train-train de la vie quotidienne .Obsession, nostalgie, mélancolie, tels sont les ingrédients de son alchimie. Le film se développe selon trois axes : social, documentaire et humaniste .Pas besoin d’aller visiter Rome, Torino et Napoli , Tornatore, dans son film , en a dévoilé les secrets et dédales .
Comblé d’honneur, ce jeune cinéaste sicilien étonne, fascine. Le néo-réalisme italien avec lui devient pointilleux .Rien n’est négligé dans son film (voir aussi Cinéma Paradisio, primé en 1998 à Cannes).Les figurants ne se contentent plus de figurer. Perfectionniste, il leur donne une autre dimension, une fantaisie et une manière d’être. Photographe avant d’être cinéaste, Tornatore est un virtuose du zoom et des prises de plans serrés. La camera suit des chemins presque hélicoïdaux. Les recoins sont scrutés avec délicatesse et les flash-back sont des leçons du cinéma suggestif. Quel réalisme imprégné de symbolisme. Bravo Marcello Mastroianni .Cet acteur italien que nous aimons au-delà de tous joue admirablement. Regorgeant de douceur, son génie d’acteur à de multiples facettes. Le tandem Tornatore-Mastroianni a fonctionné à merveille .Et pourtant, le jour de leur première rencontre, l’un n’avait que deux films à son actif , l’autre plus de 150. Jamais deux sans trois, devions-nous oublier Ennio Morricone et sa musique qui a ajouté sa couleur à cette palette chatoyante. Gageons que ce trio de beauté nous fasse voir d’autres merveilles. Tazi , le réalisateur du film Badis a été comme nous fasciné par ce chef-d’œuvre où un jeune donne la parole aux vieux. Ce genre de films pourrait servir d’exemple pour ceux qui ont un manque d’inspiration.
« Le néo-réalisme italien est pour moi la grande école », nous confie ce réalisateur « En ce qui me concerne, je me sens beaucoup plus proche du cinéma italien parce que les sujets sont proches de notre réalité. Ils peuvent se passer au Maroc également. Pour moi c’est une inspiration même si elle est de l’ordre du subconscient. Pour le spectateur, le film est abordable parce qu’il y’ a cette préoccupation d’abord du récit, de la narration et de raconter quelque chose sans que ce soit une thèse. Il y ‘ a aussi le côté gag .C’est merveilleux ».
RAZAK
Paru dans la presse écrite le 22 Octobre 1991
NOTE DE L’ AUTEUR: Mastroianni le très candide fou de cinéma est décédé à Paris le 19 décembre 1996 , Ennio Morricone quelque peu affaibli par le poids des ans n’a plus le dynamisme de l’époque des Westerns Spaghettis ( Le Bon, la brute et le truand , Il était une fois dans l'Ouest …) . Son nom se voit de moins en moins sur les génériques de films . Une de ses dernières bandes-son est dédiée à Kill Bill. Quand à Tornatore la cadence est au ralentie. On annonce qu’il prépare un film intitulé Leningrad. Dommage pour ce trio de choc que le destin a désarticulé prématurément.

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