Thursday, May 04, 2006

LEOS CARAX, L ‘AUTRE CINEMA


LEOS CARAX, L ‘AUTRE CINEMA
Dans la filmographie de Leos Carax , Les Amants du Pont Neuf peut être considéré à juste titre comme une référence sérieuse. Le film est d’une rare générosité. Le zoom sur une réalité sordide montre une France d’underground. Celle des paumés, des SDF (Sans Domiciles Fixes) et de reclus de la société. Comparé à d’autres fabricants d’images hexagonaux, Carax semble se démarquer du tas d’abord par la manière de penser ses images, ensuite en mettant de l’humain dans ses bobines. Dans cette histoire d’amour peu ordinaire qu’il nous propose, on devine ses intentions. L’auteur se solidarise avec tous ces laissés pour compte que le destin maltraite. Le film est plein d’effets spéciaux mais on n’y voit que contrastes: ruines à côté d’édifices neufs, propreté et immondices, joie et peine, espoir et désespoir, lumière et obscurité. Dès les premières images, le son grave d’un violoncelle annonce le ton et le film « s’ouvre » sur un passage souterrain. Un tunnel dont nous ne voyons pas l’autre bout, comme si le réalisateur voulait nous dire : « Veillez entrer dans la grotte des curiosités humaines et SVP suivez le guide ». Le guide n’est autre que la caméra. Elle nous emmène sur un vieux pont et de là elle nous retransmet les péripéties d’un autre monde où des êtres humains se débattent pour survivre. Ils ne vivent ni de RMI (Revenu Minimum d’Insertion ) ni des resto du cœur mais d’un tout-venant de nourriture. Le film parle d’un couple de clochards : une fille plasticienne atteinte d’une maladie des yeux incurable et un cracheur de feu qui se rencontrent par hasard sur le pavé mais qui s’éprennent l’un de l’autre jusqu’à nous monter une Roméo et Juliette de la crasse.Le film aurait dû être primé haut la main à Cannes mais on devine l’empêchement. Montre-t-il trop de linge sale. Dérange-t-il les mœurs aristocratiques. En tout cas ce grand film a eu notre suffrage et cela n’est que justice rendue à un défenseur de l’art. La beauté est menacée par la laideur, tel pourrait être le message de ce film véridique jusqu’à la laideur.

RAZAK
(Paru dans la presse écrite le 6 Août 1994 )

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