Thursday, May 11, 2006

L’ACTOR’S STUDIO PERD UN DE SES FONDATEURS



L’ACTOR’S STUDIO PERD UN DE SES FONDATEURS
L’Actor’s Studio vient de perdre un de ses co-fondateurs les plus influents. Elia Kazanjoglous, connu plus sous le diminutif bi-syllabique Kazan que sous son nom grec . Ce cinéaste américain d’origine turque , avec des racines grecques , s’éteint à l’âge de 94 ans . Les autres co-fondateurs et animateurs de cet atelier d’art dramatique, devenu l’un des grands fournisseurs d’acteurs de cinéma , se sont , un à un , éclipsés , mais le fruit de leur collaboration demeure . C’est l’une des pépinières les plus luxuriantes où de jeunes premiers ont aiguisé leurs armes de séduction , avant de devenir des monstres sacrés du cinéma : Marlon Brando , James Dean, Al Pacino , Harvey Keitel , Elli Wallach , Robert de Niro , Grégory Peck , Paul Newman , Ben Gazzara , Meryl Streep, Montgomery, Faye Dunaway , Marilyne Monroe . On connaît Elia Kazan et son histoire rocambolesque ponctuée de sorties tonitruantes , de prises de position incongrues et de polémiques (Oscar spécial qui lui a été décerné en 1999…) On connaît les itinéraires des compagnons de route ( Cheryl Crawford , Robert Lewis ) et les motivations qui les avaient poussés à unir leurs efforts, mais Lee Strasberg reste un personnage discret .Un guerrier de l’ombre .Un bosseur et un façonneur de figures. C’est lui qui , en suivant les sillons du grand dramaturge russe Constantin Stanislavski , finit par imposer son style . L’Actor’s Studio était connu par la rigueur .L’entrée y était extrêmement difficile . Lee Strasberg y enseignait la « Méthode » , librement inspirée du système psychotechnique de Stanislavski , dont le but recherché est la vraisemblance dans le jeu interprétatif . Jusqu’à sa mort en 1982 , Lee Strasberg régnait en maître absolu sur ces ateliers où il a souvent répété à ses élèves, cette phrase attribuée à Goethe ; « La carrière de l’acteur s’accomplit publiquement , mais son art se développe dans son intimité ». L’intimité, voila le mot-clef . Pour ce faire, il mit l’accent sur l’abondance des exercices physiques , physionomiques et sur l’exploration psychologique. L’acteur doit d’abord combattre sa timidité et paraître moins vulnérable . Et comme disent ceux qui en ont appris le métier d’acteur , Strasberg mettait l’accent plus sur le processus que sur le résultat . Avec le temps , l’Actor’s Studio est devenu un vivier de créativité et une source d’inspiration intarissable. Un carrefour de sensibilités et une institution crédible.
« C’est la richesse du travail qui fait toute la valeur de l’Actor’s Studio » disait un des lauréats de cette école implantée à New York au 432 Ouest , 44eme rue . Elia Kazan , fustigeant la prolifération de cours privés concurrentiels , inspirés de son école pionnière , croyait que son institution allait être phagocytée et enterrée avec la disparition de Strasberg . « Il avait tort », réplique Ellen Burstyn , un ex-apprenant devenu un transmetteur de savoir à son tour. « Dès la disparition de Lee Strasberg , Al Pacino et moi-même avons pris le relais ; il nous a simplement fallu du temps pour découvrir ce que nous étions et ce que nous pouvions faire sans Strasberg . Nous avons investi du temps et de l’argent pour assurer la transition . Nous avons traversé des périodes difficiles , mais aujourd’hui, nous retrouvons la contact avec les acteurs de la nouvelle génération ».
Suivre un cours de Lee Strasberg , n’était pas donné au plus commun des aspirants . L’Actor’s Studio procédait par un dépouillement très poussé des dossiers de candidature . Jack Nicholson a tout fait pour y être admis , en vain. Mais en se fiant à ses propres ressources et en s’auto défiant, Nicholson a pu percer. Aujourd’hui , il évoque cet atelier sélectif avec un peu d’amertume :« Je fais souvent ce rêve formidable : je suis admis à l’Actor’ Studio ».
Les anciens apprentis sont devenus à leur tour des formateurs . Ils ont ouvert leur propre institution pédagogique , et pour prouver la solidité de leur formation, ils exhibent souvent leur ancienne carte délivrée par l’ « A.S » , qui n’est autre qu’un petit rectangle de papier garni , aux couleurs éteintes et aux bords effrités par la temps , et puis rehaussé par le dessin logographique de l’institution. En bas, à droite, on peut contempler sur ce document administratif , la belle signature de Lee Strasberg .
« La carrière de l’acteur s’accomplit publiquement , mais son art se développe dans son intimité » Goethe était-il psychologue ? Nous aimons répéter à satiété cette maxime à souligner en traits gras parce qu’elle vaut son pesant d’or . Dommage que nos moniteurs d’art dramatique aient omis de l’inculquer aux jeunes comédiens en apprentissage. Si j’étais directeur d’un institut d’art dramatique je la graverais à l’entrée principale de la bâtisse pour que l’on sache en faire un motif , un label et un leitmotiv perfectionnistes . Ainsi , quand on revoit les films où les ex –élèves « A.S » sont au générique, l’on comprend le vrai sens de cette assertion : Robert de Niro ; le flingueur-moralisateur de « Taxi Driver » et le boxeur défiguré de « Raging Bulls » était plus vrai que le personnage fictionnel , Al Pacino de « Scarface » crevait l’écran , Marlon Brando trônait dans « Apocalypse Now » et « Le Parrain » après avoir brillé de mille feux dans « A Streetcar Named Desir » ( Un Tramway Nommé Désir) , Paul Newman explosa son talent dans « Le Verdict » et « L’ Incroyable Evasion » Elli Wallach était épatant dans « Le Bon , la Brute et le Truand » , Grégory Peck se distingua brillamment dans « Quand siffle la dernière balle » , Meryl Streep, l’héroïne de « Sur la Route de Madison » était exquise , James Dean , la nouvelle coqueluche de « A l’Est d‘ Eden » se révéla l’idole de toute une « jeanération » (pensez au blue-jean délavé et à la chemise nouée au niveau de la ceinture ).Ils se sont fait remarquer de manière , si j’ose dire, « asséenne » .Ils étaient la matière vivante avec laquelle les réalisateurs les plus talentueux ont pétrifié et façonné leurs héros favoris .
En considérant la prestance et la malléabilité de ces acteurs-comédiens , véritables outils d’incarnation théâtrale et de narration cinématographique , l’on se dit : « Sacrée école , pourquoi n’a-t-on pas une filiale ou une annexe dans notre pays ? »
Kazan est mort , mais ses propos amers demeurent . Certaines confidences ont été publiées par Eric Leguèbe , critique cinématographique au Parisien , dans son livre intitulé « Confessions, Un siècle de cinéma américain, par ceux qui l’ont fait ». Il regroupait des interviews exclusives des plus grands noms du cinéma américain. Dans la causerie kazanienne , on apprend comment il envisageait son œuvre. Aussi , certains aveux pouvaient paraître contradictoires ou d’une intentionnalité provocatrice . Ce faiseur d’image avait dit à propos des critiques de son pays : « Les critiques américains sont surtout des amuseurs (entertainers) .Ils ne savent pas résister à la tentation de faire des « mots » ; ce sont des « vaudevillistes » .Pourtant, c’est un métier sérieux que celui de journaliste , de critique .Ils ont ainsi la manie de vouloir , à leur tour, « faire des films ». Ils me font penser à ces vielles femmes qui furent belles et qui continuent à s’exhiber . Ce sont des frustrés ». Interrogé sur le meilleur conseil à donner aux novices et débutants , il leur dit : « N’entrez pas dans mon sillage , ne subissez aucune influence . »
Et pourtant , en y regardant de plus près , l’Actor’s Studio n’était-il pas entré dans le sillage de Stanislavski avant de devenir une usine à fabriquer des acteurs selon un modèle préconçu ? Kazan , qui parlait ainsi, n’avait-il pas subi l’influence de S.M. Eisenstein ? Le réalisateur américain devenu écrivain (America America , L’Arrangement , Les Assassins, Le Monstre Sacré, parus respectivement en 1962, 1967, 1972 ,1974) affirmait, tout de même et sans détour, avoir été influencé par le grand maître du cinéma soviétique. « Parmi ceux qui m’ont certainement , à un moment influencé, il faut que je cite S.M. Eisenstein, surtout Le Cuirassé de Potemkine » disait-il dans cette confession rendue publique par Leguèbe . Décidément sa « kazanitude » n’avait pas de limite . Dors en paix Mister Kazanjoglous .
RAZAK
(Paru dans la presse écrite le 4 octobre 2003)
NOTE DE L’AUTEUR : La mort de ce grand réalisateur aurait été l’occasion de rouvrir le débat cinéphile autour des années parano du maccartisme . Une rétrospective de son œuvre cinématographique aurait suffi pour en déclencher l’étincelle . On enterre bien les cinéastes qui ont de la veine et quelque chose dans les tripes .

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